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dimanche 24 novembre 2024

Le fiqh est-il réellement un droit ?

fiqh

Notion amplement développée dans les disciplines islamiques, le fiqh a acquis une centralité et une importance que beaucoup jugent excessive dans les débats contemporains. Mais qu’est-ce que le fiqh ? Le terme arabe est communément traduit par « droit et jurisprudence islamique ». Cette traduction correspond-elle à l’essence conceptuelle du fiqh ? Pour le savoir, Mizane.info vous propose une contribution de Nordine Aïssou, diplômé en théologie et en droit en langue arabe à l’Institut européen des sciences humaines, et auteur d’une recherche sur le principe de pénibilité en droit.

Qu’est-ce que le fiqh ? Le fiqh, terme arabe souvent traduit par « droit » mais désignant plus exactement une compréhension, un entendement, une clairvoyance, une assimilation et enfin une matière ou discipline musulmane, traite des différents statuts juridiques liés à tous les actes de la vie du musulman et de la musulmane, dans ses rapports avec le Divin ainsi qu’avec tout ce qui est autre que Dieu, que cette chose soit animée ou inanimée.

D’après cette définition succincte, est-il possible de considérer l’assertion du professeur G.H. Bousquet comme exacte, qui en première page de son opuscule intitulé « Le droit musulman », souligne avec force, que « Le droit musulman n’existe pas ».

Le professeur Bousquet explicite par une note en bas de page ce qu’il entend par droit, à savoir la matière enseignée dans les facultés de ce nom (page 1, avant propos, G-H. Bousquet Armand Colin, Paris, 1963).

Plus loin dans l’ouvrage page 37, il écrit : « Nous avons, jusqu’ici examiné les choses presque uniquement comme le font les docteurs, et il nous apparaît alors, je tiens à y insister, que le fiqh n’est pas du droit aux yeux de l’islam, mais une déontologie, je dirais volontiers : un catéchisme ».

Quoi penser de ces dires émanant d’un professeur émérite, qui de surcroît a traduit un nombre d’ouvrages important dans ce domaine, tels que la Mudawanna de l’imam Sahnun et autres ?

Les champs d’application du fiqh

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Ignaz Goldziher.

Pourtant, le pionner de l’orientalisme, Ignaz Goldziher a bien intitulé un de ses ouvrages « Le Dogme et la Loi en Islam », faisant ainsi référence à la dimension juridique du fiqh, tout comme le renommé professeur Robert Brunschvig qui opta pour titre de son second tome d’études d’islamologie : « Thème unique : Droit Musulman ».

Comment donc percevoir la divergence, pour ne pas dire la contradiction de professeurs, dont les travaux sont reconnus, sur cette question de la qualification du fiqh comme étant un droit ?

Il serait peut-être opportun de faire un tour de table rapide des différents sujets que traite ces ouvrages dit de « fiqh », afin de nous donner une vision générale sur l’objet de cette matière.

Généralement les ouvrages de fiqh sont scindés en deux grandes parties, une traitant du rituel ‘ibadates ; ablutions, prière, jeûne, dîme aumônière, pèlerinage.

Même si a vrai dire, ce qui est considéré comme de l’ordre du rituel ne l’est pas exactement ou bien exclusivement, puisqu’en l’occurrence la dîme aumônière (zakat) a une incidence sociale et politique, pouvant entraîner sanction temporelle, en même temps qu’une incidence spirituelle forte.

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Le deuxième grand volet appelé en arabe « al mu’amalat », autrement dit « le juridique », traite des contrats divers, du patrimoine, du statut personnel, de la réglementation des corps de métiers ; artisans et commerçants et autres ; en somme des droits et obligations de l’homme en société, et incluent par moment le droit public, en traitant de la fiscalité, de l’administration, de la défense (djihad), du pénal, de la consultation juridique (mufti) et de la judicature (Qadha) etc…

D’autres ouvrages de fiqh s’appliqueront à établir une doctrine politique, tels que l’ouvrage d’al Mawardi mort en 1058, mais pas seulement lui, car al Juwayni écrit aussi sur l’élection, la place et le rôle du califat, en somme une sorte de droit constitutionnel.

A titre d’exemple, voici quelques titres de chapitres définissant le domaine d’application du fiqh pouvant nous éclaircir quant à nos interrogations ; la vente, la préemption, le labourage, le domaine de l’eau, le prêt financier, les dettes, la faillite, les différents types de litige, les objets trouvés etc…

Les raisons d’un malentendu

A ce moment de notre introduction, comment dès lors saisir le propos du professeur G-H. Bousquet, au vu de cette présentation de ce qu’on appelle fiqh en islam ?

A la page 80 de son ouvrage, après citations de divers exemples, ce dernier écrit : « Nous voyons par ce nouvel exemple, non point l’illustration d’une thèse qui me serait propre, mais l’expression même des faits, concernant la nature du fiqh, son extension (dans l’islam théorique, et en grande partie dans la réalité) à l’ensemble de la vie musulmane classique, et à la nécessité absolue, si on veut comprendre le système dans son ensemble, de renoncer en principe à l’idée d’un droit musulman. Toutefois, il faut reconnaître qu’on trouve dans la Loi beaucoup de matières juridiques, traitées juridiquement. »

Ainsi la question se corse, puisque d’une part les ouvrages de fiqh présentent une pléthore de cas singuliers traités de façon juridique (voir la mudawanna, la bidaya, titres d’ouvrages classiques du droit musulman, ndlr), ceux-ci présentant une armature efficace dans ces sujets qu’elle traite.

Le juriste musulman (fiqh) comme le juriste français (droit positif) sont toujours en proie à rechercher une précision dans les textes, de sorte que l’élaboration du jugement soit construite sur un élément non sujet à l’interprétation. Raison pour laquelle certains doctes se sont fait connaître par leur refus catégorique de l’interprétation, d’autres pour une interprétation débordante et même capable de noyer tout sens premier dans celle-ci, et d’autres qui ont su marier sens obvies et sagesses ou significations sous-jacentes au terme ou à la notion discutée, en neutralisant l’interprétation.

Même si la connexion entre eux n’est pas forcément indiquée, ces ouvrages parlent de droits, clarifient des notions juridiques telles que la responsabilité en matière de vente, de prêt, de donation, de louage, de commodat, de gage, et analysent ou élaborent des concepts tels que celui de la propriété (voir al- Kassani, Sarakhsi, Tahhawi et autres).

Mais malgré cela, le professeur Bousquet n’entends pas la chose comme étant du droit.

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Afin d’apporter un peu de lumière et de fraîcheur à cette question, il serait judicieux de s’enquérir d’ouvrages plus récent, à la page 51 de l’Histoire Juridique de la Méditerranée, l’auteur Jeanine Ladjili-Mouchette dit :

« Au 7e siècle, les Arabes qui apportent avec eux le principe de création d’un droit nouveau, le droit musulman, vont porter l’attention au texte à son apogée, texte d’abord oral, puis écrit : la science du droit musulman est une science de l’étude du texte, de l’exégèse, puisque les juristes comme les théologiens ont édifié le corpus du droit musulman sur les versets du Coran révélés et sur les paroles et comportement du Prophète Muhammad, que l’on prendra soin de fixer dans les textes écrits. »

Dans un deuxième temps les recueils de traditions prophétiques, tels que le Muwatta de l’imam Malik né entre 708 et 716 et mort en 795 ou 796, donc relativement proche de la période prophétique qui prit fin en 632.

Nous pensons humblement, sans offense à la place qu’occupe le professeur Bousquet dans nos esprits, qu’il y a eu de sa part une certaine focalisation sur certains points de droits circonstanciels d’ordre socio-économique (période primaire de l’islam) enchevêtrés sur le rituel et une considération partielle de tout ce qui traite de la méthodologie du droit musulman, qui comme le souligne le professeur Brunschvig : «…entendons que les usul al fiqh, qui étudient les sources du droit (ce dernier mot au sens le plus large) et en enseignent la méthodologie… », sont à considérer in fine comme outils d’exégèse.

Maqasid ashari’a, les finalités du droit

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Tahar ibn ‘Achour.

Aussi, l’innovation juridico-philosophique des objectifs et finalités de la législation islamique, Maqasid achari’a, introduite par Juwayni et al Ghazali, développée et instaurée comme discipline à part entière par al Maqari et Ashatibi, puis développée et argumentée de façon brillante par le savant érudit Ibn ‘Achour en cette fin du 20e siècle, semble totalement lui avoir échappée.

Le professeur Louis Milliot dans son introduction à l’étude du droit musulman indique que « les concrétions du droit positif de l’islam n’ont rien d’absurde, car le fond du droit est partout le même, s’expriment, au contraire, dans un système juridique complet, bien coordonné et construit, parfaitement adapté au système social qu’il prétend réglementer ».

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Il semble ici difficile de nier la réelle présence d’un droit en islam au vu de cette petite introduction, cependant il est bien évident que le côté quelque peu primitif de certains passages, ainsi que certaines gloses de certains commentateurs ajouté à l’enchevêtrement du rituel sur le juridique, a pu en dérouter plus d’un.

Sans parler ici d’une méconnaissance de ce qu’on appelle communément maqasid shari’a, les finalités de la loi musulmane comme indiqué plus haut, qui sont les principes généraux de celle-ci, en conjonction avec des universaux, tels que la préservation de l’espèce humaine en société et la pérennité de cette dernière.

Le dernier propos du professeur Milliot nous intéresse plus particulièrement, «  adapté au système qu’il prétend réglementer ». En effet, après avoir introduit cette question de la dénomination ou non par droit du terme fiqh en arabe, une question d’ordre plus importante en l’état actuel des choses est à poser.

Comment doivent agir les citoyens français de confession musulmane dans une société régie par une législation différente sur certains points de la législation musulmane ?

Ou du moins qu’est-ce qui, dans ce droit musulman appelé « fiqh », est incompatible avec le droit positif français ?

Le statut de l’interprétation

Prétendre répondre à cette question par le biais de quelques lignes me semble incongrue. Cependant nous pouvons apporter une définition plus précise et plus réel de cette matière appelé fiqh, afin que tout à chacun réfléchisse à la problématique posée de façon plus sereine.

Après avoir traité les différents thèmes qu’aborde le fiqh, il serait judicieux de se représenter un peu plus la méthodologie en vigueur dans cette matière.

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En effet, peut être que beaucoup de musulmans pensent que l’ensemble des choses qu’ils pratiquent de façon quotidienne sont le pur fruit des textes scripturaires, en somme un écrit incontestable, indiscutable qui a entière légitimité aux yeux de la communauté.

Le travail d’adaptation du droit musulman aux différentes contrées où les musulmans vivent n’est point inconnu des juristes musulmans (…) Au vu des clefs dont dispose la législation islamique, dont l’élan et l’expression furent universellement partagés par toutes sortes de nations, il n’est pas impossible de faire valoir ce droit, à condition que les érudits musulmans s’imprègnent de l’histoire et particulièrement de l’histoire juridique de France afin de mettre en exergue les fondamentaux concernant l’Islam, sans en trahir le sens profond.

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Et bien la réalité est tout autre, car en droit musulman les textes sont de deux sortes :

-Formelle et catégorique dans sa provenance, c’est-à-dire irréfutable du point de vue de l’authenticité, tel que le Coran.

-Autre catégorie, dont la provenance et donc l’authenticité, est discutée par les doctes de la loi : une partie de la tradition prophétique considérée, au vu de certains critères, comme rejetée ou acceptée comme telle, (voire la terminologie des sciences du hadith).

Ensuite, un point extrêmement important doit être souligné : celui de l’univocité et de l’équivocité des textes. Le juriste musulman comme le juriste français sont toujours en proie à rechercher une précision dans les textes, de sorte que l’élaboration du jugement soit construite sur un élément non sujet à l’interprétation.

Raison pour laquelle certains doctes se sont fait connaître par leur refus catégorique de l’interprétation, d’autres pour une interprétation débordante et même capable de noyer tout sens premier dans celle-ci, et d’autres qui ont su marier sens obvies et sagesses ou significations sous-jacentes au terme ou à la notion discutée, en neutralisant l’interprétation.

Si donc certains textes sont formels et catégoriques dans leur portée, tout en faisant preuve d’authenticité, ce genre de prescription sera à considérer comme légitimement applicable.

Par contre si certains textes sont dans leurs portée et significations, plurielles et diverses, car polysémiques, alors leur légitimation sera discutée, refusée, ou suspendue.

Le foisonnement des sources juridiques

Ceci dit, il est bon d’ajouter ici que le droit musulman possède un panel de ressources ou plutôt de sources juridiques plus importantes que le musulman du commun ne peut le penser.

En dehors du Coran et de la tradition prophétique (sunna), le droit musulman dispose du consensus même si celui-ci est revendiqué par certains et refusé par d’autres ou bien discuté dans sa nature (maratib al ijma’ chez Ibn Hazm). Autre exemple, l’analogie, qui est un raisonnement juridique découlant d’un rapprochement entre un cas d’espèce non statué, non vêtu d’une loi ou d’une norme à un cas d’espèce déjà traité et statué juridiquement par le biais d’un lien de causalité, en somme par un motif légal (‘illa).

Outre ces quatre mères, s’ajoutent dans l’argumentaire des juristes ; le consensus des gens de Médine, le consensus des gens de Koufa, le syllogisme apodictique, l’avis d’un compagnon du Prophète, l’intérêt public non mentionné (maslaha mursala), la préemption de continuité de l’état de choses ou d’une situation légale ( al-istishab),  la présomption d’innocence originelle, les mœurs, l’induction, la sanction répressive ou préventive (sadd dzari’at), l’option préférentiel (istihsane), le recours au moins pénible, l’infaillibilité (al ‘isma, pour les duo-décimains), le consensus des dix compagnons, le consensus des quatre premiers califes (voir Amali –dilalat wa majali-l-ikhtilafat–Ben Bya, page 21, dar minhaj, 2007 Liban).

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Bien entendu il est bon de rappeler ici que le recours a ces diverses sources s’effectuera en l’absence de textes explicites, univoques, et ne résultent donc pas d’avis et de discussions opinâtives, ou peuvent aussi accompagner un texte faisant argument d’autorité.

Ainsi les sources de la législation sont multiples et ne peuvent qu’engendrer une source intarissable d’avis, surtout lorsqu’on sait que les consultations juridiques (fatawas) peuvent, par un panel de principes juridiques voir théologico-juridique, qui impliquent davantage de probité, remédier à ces derniers en cas de contradiction entre un texte expressément explicite et une situation donnée (voir le travail d’al-Wancherisi).

En somme le travail d’adaptation du droit musulman aux différentes contrées où les musulmans vivent n’est point inconnu des juristes musulmans, bien au contraire. L’imam Ashafi’i (mort en 820) opta pour des solutions en Irak différentes à bien des égards de celles qu’il avait adopté en Egypte (madh’ab al qadim/madh’ab al djadid).

Au vu des clefs dont dispose la législation islamique, dont l’élan et l’expression furent universellement partagés par toutes sortes de nations, il n’est pas impossible de faire valoir ce droit, à condition que les érudits musulmans s’imprègnent de l’histoire et particulièrement de l’histoire juridique de France afin de mettre en exergue les fondamentaux concernant l’Islam, sans en trahir le sens profond.

Nordine Aïssou

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