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vendredi 22 novembre 2024

Les acteurs de la renaissance islamique

Le Palais de Chantilly, architecture française issue de la Renaissance. 

La question de la réforme est tout autant une figure de style récurrente, dans les débats contemporains sur l’islam, qu’un serpent de mer théorique. Si la problématique consiste le plus souvent à s’interroger sur ce qui est entendu par réforme et sur l’objet de cette réforme, la question de savoir qui doivent être les acteurs de cette réforme et quelles sont les conditions de leur élection semble négligée. Mizane.info publie un texte remanié de Fouad Bahri dans lequel l’auteur y pose les limites des approches propres à chaque catégorie d’acteurs musulmans et en tire les conclusions nécessaires quant à l’émergence d’une catégorie hybride.

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Le changement islamique ne viendra pas des castes religieuses que sont les fonctionnaires du culte, imams, oulémas ou fouqahas (juristes) car, dans les faits, leur fonction est d’enseigner, de transmettre et de préserver la tradition religieuse, non nécessairement de renouveler sa compréhension.

Outre leur fonction, il faut également souligner que ces fonctionnaires sont soumis à toutes sortes d’injonctions (politique, associatives, communautaires) et de contraintes, implicites ou explicites, qui généralement leur interdisent toute innovation utile et toute initiative créatrice.

Cela signifie donc qu’une classe d’intellectuels, de penseurs, de leaders d’opinions éclairés doivent se saisir des rênes de l’histoire pour en orienter le cours vers une destination raisonnable, sage et fidèle à l’image, la seule, que l’on puisse se faire de l’islam : une religion de paix, de vérité et de justice.

Mais la première condition n’est pas suffisante. Le problème n’est pas seulement une question de statut, c’est aussi une question de valeurs, de principes et de qualités qu’il est impératif de pouvoir porter. Outre la rigueur, le courage est indéniablement l’une d’elles et celle-ci suppose la liberté et l’indépendance.

On connaît trop bien le coût qu’une authentique liberté responsable mais créatrice impose à ceux qui s’aventureraient à l’exercer.

Cette exigence d’autonomie et de liberté implique immédiatement une autre condition : les intellectuels musulmans qui ont à cœur de faire renaître culturellement l’Islam se doivent de prendre leurs distances avec toute sorte d’Etats ou d’organisations politico-religieuse s’ils veulent pouvoir obtenir des résultats et échapper à des agendas qui ne sont pas les leurs.

Le principe de prudence intellectuelle est aussi indispensable à cette entreprise de refondation belle et noble, mais risquée : il garantira la préservation de toute forme de dogmatisme qui a fait tant de mal aux musulmans.

Le renoncement théologique des chercheurs 

Si le changement ne viendra pas des castes religieuses, il ne viendra pas non plus des universitaires musulmans et des chercheurs académiques, emmurés dans les geôles savantes de l’agnosticisme séculier, ligotés par toutes sortes de méthodologies matérialistes qui restreignent leur rapport à la connaissance et à la vérité.

Évoluant sous le contrôle permanent des autorités politiques qui n’hésitent plus à faire sous-traiter aux chercheurs le renseignement sur l’islam et toutes sortes de considération sécuritaires en débloquant des fonds à cette fin, tout en encourageant à coups de financements les études de courants alternatifs à l’islam orthodoxe, les universitaires ont perdu toute forme de liberté en liant leur recherches à des considérations professionnelles, des stratégies de plan de carrière qui reposent toutes sur des validations académiques, et en dernière instance, politiques.

Assujettis politiquement par l’université, les chercheurs musulmans le sont aussi scientifiquement puisqu’ils ne peuvent s’émanciper de l’agnosticisme positiviste en vogue dans les universités et qui a imposé ses conventions jusque dans leurs méthodologies.

Cette approche idéologiquement orientée mène de toute évidence, y compris sur un plan purement sapiental, à une clôture dogmatique de la connaissance et de la vérité, clôture impossible et impensable car la continuité de la connaissance ne peut être rompu, Dieu et la Vérité étant une seule et même chose considérées sous de multiples rapports (rapport à l’Être, à la Volonté, au Savoir).

L’inadaptation profonde des sciences humaines à l’étude du champ religieux de la Révélation est déterminée par leur mise à l’écart méthodologique et principielle de toute référence à la métaphysique et au sacré, et par leur réductionnisme matérialiste, autant d’éléments qui font des sciences humaines des disciplines philosophiquement et axiologiquement orientées.

Les sciences humaines ont été historiquement élaborées dans un contexte épistémologique marqué par l’agnosticisme positiviste et séculier, cette doctrine qui considère que l’absolu est inaccessible à l’esprit humain, que tout objet d’étude (historique, linguistique, etc.) relève de l’humain et seulement de l’humain, et qui a imposé ses conventions jusque dans les méthodologies des chercheurs.

Du même auteur, à lire : Manifeste pour un islam radical

Ce réductionnisme méthodologique, qui nie dans son principe la Révélation, restreint manifestement le rapport à la connaissance et à la vérité, fait obstacle à une approche principologique, inaccessible de fait, et téléologique, exclu par principe, en imposant aux chercheurs de renoncer à toute forme de régime de vérité théologique.

Ce qui est fondé sur des principes a-thées et a-religieux ne peut mener qu’à des conséquences a-thées et a-religieuses.

Par cette approche séculière exclusivement intellectualisante, les sciences humaines, davantage qu’un outil, font figure de projet alternatif, avec en toile de fond la refondation d’un nouvel homo islamicus, simple avatar de l’Homme prométhéen, dont la conversion aux règles du modernisme et son ancrage aux forceps dans la culture européenne sécularisé doit être accomplie, et ceci quel qu’en soit le prix.

Une perception des sciences humaines inaugurant, dans un messianisme inversé, l’aube d’un nouvel âge du salut pour la figure musulmane contemporaine.

Cette approche idéologiquement orientée mène de toute évidence, y compris sur un plan purement sapiental, à une clôture dogmatique de la connaissance et de la vérité, clôture impossible et impensable car la continuité de la connaissance ne peut être rompu, Dieu et la Vérité étant une seule et même chose considérées sous de multiples rapports (rapport à l’Être, à la Volonté, au Savoir).

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Les sciences humaines, par ailleurs, n’ont jamais été capable de définir ce qu’était l’Homme qui est pourtant l’objet de leur étude.

Une discipline incapable de définir son objet peut difficilement revendiquer le statut de science.

L’Homme est un sujet et ne peut devenir stricto sensu un objet d’étude. Sa complexité et l’irréductibilité de son libre-arbitre, le mystère entourant ses origines et sa destinée font de lui un être qui échappe fondamentalement à toute forme ultime de prétention déterministe.

La part de déterminisme propre à l’humain ne relevant que d’une dimension superficielle, écume conjecturale et fondamentalement sans intérêt pour comprendre la nature humaine.

De ce point de vue, la prétendue neutralité axiologique des sciences humaines, dans son principe comme dans ses effets, est un leurre manifeste destiné à asseoir une position d’autorité masquée sous le costume pompeux de la « science ».

A la recherche d’un nouveau paradigme post-moderne

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Cette conclusion ne doit pas exclure cependant un quelconque emploi des sciences humaines dans l’étude des sources religieuses.

Une telle étude nécessitera néanmoins une adaptation méthodologique et une redéfinition du cadre théorique de ces sciences, afin de déterminer précisément leur champ d’application et d’harmoniser leur usage, grâce à un filtrage idéologique préalable qui préservera leur potentiel scientifique.

Cette approche de réconciliation entre religion et sciences humaines pourrait s’opérer en deux temps ou deux étapes : un temps interne caractérisé par l’identification et la valorisation d’une Raison religieuse, ce que Weber définissait comme la rationalité religieuse des prophètes de l’Ancien Testament.

Une Raison appliquée en contexte de Révélation et qui développera le champ de sa cohérence dans ce cadre précis, de la même manière qu’il existe une Raison adaptée à chaque discipline telle que la Raison juridique, la Raison politique, philosophique, etc.

Qui sont ces acteurs de la Renaissance ? Des Hommes libres de toute entrave dans leur accès aux sources de la connaissance et qui auront à cœur de réhabiliter de droit le rapport au Transcendant dans les études contemporaines, en créant si besoin un autre langage, de nouveaux paradigmes et des méthodologies plus ambitieuses qui leurs permettront de dépasser les apories conventionnelles imposées par d’antiques profanateurs.

La rationalité n’étant pas monolithique, son usage et son application sont toujours déterminés par son champ d’étude. La religion n’en fait pas exception.

Les prétendues études islamologiques sont le parfait contre-exemple de cette démarche que nous proposons dans la mesure où elles impliquent une soumission forcée des textes à une approche réductrice de type agnostique et désacralisante, approche qui à l’évidence ne permet pas d’accéder au sens et à la connaissance des textes révélés.

La seconde étape sera plus ambitieuse car elle s’emploiera à définir théoriquement et pratiquement les conditions de possibilité d’une approche globale de la connaissance qui associe la science du visible et celle de l’invisible, un peu à la manière des scientifiques en quête d’une théorie du tout synthétisant théorie de la relativité et mécanique quantique.

A la différence que ces derniers ne restent encore que très en deçà du champ indéfini du visible et ne peuvent même pas espérer toucher du doigt la frontière de l’invisible (al-ghayb).

A lire aussi : Pourquoi la laïcité « égalitaire » est une imposture intellectuelle !

Une rigoureuse approche principologique et téléologique en fournirait le cadre général avec au centre une large place faite aux descriptions et à l’étude des interactions permanentes au sein du réel et ceci dans un but bien déterminé : le dévoilement du sens des signes (ayats) à l’œuvre dans le Monde, et par induction, la connaissance de Dieu, Principe premier, Infini, Absolu, Omniscient et Omnipotent, Législateur, Ordonnateur, Source de l’harmonie et de l’Infiniment Beau, etc.

Une exploitation et une réinterprétation judicieuse des connaissances de la physique, de l’astrophysique ou de la biologie contemporaine pourrait, dans cette perspective, enrichir de nouvelles études théologiques islamiques.

Partiellement abordée par des auteurs islamiques contemporains, cette perspective est souvent restreinte au champ éthico-juridique alors que ses possibilités sont immenses et débordent largement ce cadre.

Les limites gnoséologiques de l’approche universitaire

Très éloignés de cette approche, la plupart des chercheurs musulmans périssent dans le conformisme laïc de l’université qui leur impose ses dogmes et finissent, au terme d’un parcours de schizophrénie plus ou moins mal vécue, par renoncer à toute prétention théiste dans la formulation et la construction de leur objet de connaissance, Dieu ayant été écarté de l’espace universitaire et l’ensemble des catégories religieuses étant parfaitement irrecevables dans cette perspective profane, réductrice et aveugle.

Cette dichotomie les mène à déclasser le rang des vérités supérieures de la religion, à les bannir très loin des chaires publiques de l’université jusque dans les tréfonds de la conscience personnelle, ces ténèbres au sein desquelles elles sont seulement tolérées.

Le manque de courage de l’universitaire, sa lâcheté et son louvoiement, sa hantise d’assumer la moindre conviction de peur d’être enfermé dans une étiquette et de perdre sa fonction rémunératrice, sauf lorsque cette conviction relève et participe de l’idéologie dominante, toutes sortes d’attitudes justifiées au nom d’une illusoire neutralité axiologique relevant de l’imposture, est un des traits marquants caractérisant la conscience d’un universitaire.

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Ce n’est donc pas du côté des chercheurs que viendra le changement et le renouveau tant attendu, ceux-ci étant incapables de porter le Message, dès lors qu’ils ont publiquement renoncé au régime théologique de vérité véhiculé par l’islam.

C’est d’une autre catégorie d’acteurs, intermédiaire, hybride, que nous pouvons peut-être espérer voir surgir en ce domaine des projets, des visions, des pensées et des actions de nature fondatrice.

Des acteurs suffisamment rigoureux pour maintenir une cohérence principielle avec les sources religieuses et suffisamment courageux et créatifs pour entrevoir sous son vrai jour la nature des problèmes et des obstacles qui obèrent la renaissance islamique.

Des Hommes de connaissance accomplis dans la réalisation de la Voie et qui ne sont liés par aucune autre considération que le respect, l’amour et la quête de la vérité.

L’histoire peut être un piège redoutable, tant les adeptes du conservatisme traditionaliste que les modernistes la sacralise, les uns figeant l’histoire, les autres vénérant son écoulement permanent. L’histoire ne crée pas la religion, elle ne fait qu’en refléter les manifestations supra-humaines et doit être, à ce titre, resituée à sa juste place.

Des Hommes libres de toute entrave dans leur accès aux sources de la connaissance et qui auront à cœur de réhabiliter de droit le rapport au Transcendant dans les études contemporaines, en créant si besoin un autre langage, de nouveaux paradigmes et des méthodologies plus ambitieuses qui leurs permettront de dépasser les apories conventionnelles imposées par d’antiques profanateurs.

Ces Hommes seront de nature, par l’authenticité, la force, l’élévation et la qualité de leur démarche, à faire office de pont pour réunir et attirer, dans leur sillage, religieux et universitaires, afin que la fidélité des uns et les analyses savantes des autres puissent alimenter et enrichir un processus qui ne pourra faire l’économie ni des uns ni des autres.

La réforme comme revivification

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Une élite capable de penser la connaissance depuis un point de vue transversal qui la libère des ornières des productions atomisées qu’une spécialisation disciplinaire a imposé aux chercheurs.

Un point de vue à même de réconcilier théoriquement les différentes approches de la connaissance, à les articuler, à les hiérarchiser et à les agencer en vue des finalités supérieures de l’Homme.

Par ailleurs, il serait grand temps de ne plus penser la question du renouveau (tajdid) en terme de réforme mais bien plutôt de revivification (ihya) créatrice.

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La réforme implique, en effet, une continuité quasi linéaire dans le projet porté par les agents de l’histoire qui tentent d’inscrire l’actualisation de leur relecture de l’islam dans une cohérence principielle et historique d’ensemble.

La revivification créatrice est une manière de repenser autrement le rapport historique aux sources et de se libérer intellectuellement de l’emprise des acquis de l’histoire en concevant cette revivification comme une création originale, personnelle, dont les ressorts plongeraient dans les méandres complexes de la subjectivité d’un être face au monde bien plus que de la revisite d’un corpus de notions, de normes et d’orientations juridiques ou rituelles, légué par l’histoire.

La verticalité devra reprendre ses droits dans ce processus créateur qui trop souvent fait la part belle à l’horizontalité de l’héritage civilisationnel.

L’histoire spirituelle, psychologique, morale et intellectuelle de l’acteur engagé dans ce travail de production conceptuelle entrera autant en ligne de compte que la grande Histoire.

On pourrait penser que la théorie cyclique d’Ibn Khaldoun serait peut-être plus utile à cette tâche que la conception chrétienne et linéaire de l’histoire.

Mais en définitif, la seule garantie que nous offre l’histoire de la connaissance est qu’elle n’en fournit jamais aucune.

L’histoire ne crée pas la religion

L’histoire peut être un piège redoutable, tant les adeptes du conservatisme traditionaliste que les modernistes la sacralise, les uns figeant l’histoire, les autres vénérant son écoulement permanent.

L’histoire ne crée pas la religion, elle ne fait qu’en refléter les manifestations supra-humaines et doit être, à ce titre, resituée à sa juste place.

La religion, cette forme relationnelle d’ordre spirituel et métaphysique entre Dieu et l’Homme, est pourrions-nous dire en langage philosophique, ce mésocosme qui relie le phénomène au noumène.

L’étincelle originelle de cette forme étant méta-historique, son point de rencontre spatio-temporel avec l’humain ne doit pas nous faire oublier cette vérité initiale et donc primordiale.

Réduire le champ de la religion à une expérience historique serait une erreur, un réductionnisme trompeur aux conséquences des plus néfastes.

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Le nihilisme qui a accompagné et suivit les vagues de sécularisation en Europe est là pour nous le rappeler.

Il n’y a pas à proprement parler de moment coranique car le Coran, de par sa nature divine, échappe précisément aux déterminations temporelles qui l’ont vu naître, au sens où il ne s’y réduit jamais, ce qui rend cette expression de « moment » assez ambiguë sous ce rapport.

Revivre cette expérience du lien immédiat avec l’Unique et intensifier notre conscience de Dieu (Allah) tout en assumant notre humanité nous semble par ailleurs bien plus nécessaire à la réussite de cette entreprise que nous faire les agents d’un ordre liberticide, puritain, rigide et suffoquant, tel que les communautés musulmanes en offrent parfois l’image.

La double pratique de la méditation (de l’extérieur vers l’intérieur) et de la contemplation (de l’intérieur vers l’extérieur) sont plus importantes dans ce travail de renaissance que la technicité juridique de catégories qui ont épuisé depuis longtemps l’énergie intellectuelle et spirituelle qui leur ont donné naissance.

Renouer avec les sentiers perdus de notre âme et en offrir le témoignage à nos contemporains pourrait nous permettre de franchir plus rapidement et plus authentiquement l’immense espace qui nous sépare d’eux et qui nous sépare de Dieu, car cet espace n’est jamais que le nôtre.

Faire sien, par un déploiement énergétique conséquent, le processus créateur de revivification islamique, voilà la voie qu’il nous faut expérimenter, en toute humilité, sans orgueil mais sans crainte. La perfection est à Dieu, l’effort est à l’homme.

Fouad Bahri

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