Jean-Louis Bianco est le président de l’Observatoire de la laïcité.
Proie de toutes les attaques politiques, critiquée pour sa neutralité juridique et son manque de passion religieuse, l’institution phare de la laïcité en France, présidée par Jean-Louis Bianco, vient de livrer son rapport annuel 2019/2020. Mizane.info en a pris connaissance. Compte-rendu.
L’Observatoire de la laïcité est sous la sellette. Ses membres le savent. Récemment encore, la ministre déléguée chargée de la citoyenneté Marlène Schiappa déclarait sur les ondes de Radio J : « Le premier ministre m’a demandé de lui faire des propositions d’évolution sur le portage de la laïcité dans l’appareil d’État. J’ai fait des propositions au Premier ministre pour faire évoluer l’Observatoire de la laïcité, pour renforcer le rôle d’une structure, qui ne serait pas forcément un observatoire, mais une structure qui porterait la parole de l’État. »
Une déclaration qui reprenait en substance celle du Premier ministre Casteix en octobre dernier.
« L’observatoire de la laïcité, disait-il, doit évoluer, parce qu’on ne peut pas se contenter de publication de rapports et de guides pédagogiques pour accompagner l’action du gouvernement ».
Vers une laïcité de combat
Depuis de nombreuses années, l’institution a été vue par l’exécutif comme un contre-pouvoir symbolique gênant.
Sa position de neutralité religieuse conforme au droit et sa réticence à embrasser la néo-laïcité idéologique théorisée par les différents gouvernements successifs depuis Jacques Chirac lui a valu la haine des milieux républicanistes incarné par le Printemps républicain.
Son staff actuel finira son mandat jusqu’en avril 2021, à la suite de quoi une autre structure, de combat laïque cette fois, devrait émerger. Ce qui semble confirmer que la lutte contre l’islam et le combat pour la néo-laïcité, redéfinie en bouclier de défense contre le terreau du terrorisme comme le démontre la loi confortant les principes républicains, sera bien le thème de campagne de Macron pour 2022.
De son côté, l’Observatoire de la laïcité tente, tant bien que mal, de ménager la chèvre exécutive et le chou législatif. Y parvient-il toujours ?
Dans son dernier rapport 2019/2020, l’Observatoire avance plusieurs propositions réaffirmant l’importance ou la nécessité d’une formation à la laïcité pour les enseignants, acteurs de terrains et clercs religieux.
Des chiffres intéressants tirés d’un sondage Viavoice sont aussi avancés sur le rapport des Français à la laïcité.
On apprend notamment que 68 % des répondants estiment que « la laïcité est trop souvent instrumentalisée par les personnalités politiques ».
A la question de savoir si la laïcité protège les libertés religieuses, les réponses varient d’une confession à l’autre.
« 72 % des protestants et 60 % des catholiques considérant que la laïcité protège en théorie » contre seulement 45 % des musulmans. Un écart que l’on peut attribuer notamment aux discriminations : 48 % des musulmans citent les « discriminations que subissent des citoyens à raison de leur religion supposée » parmi les principaux enjeux liés à la laïcité, contre « seulement » 38 % des protestants et 34 % des catholiques. »
Rééquilibrer son équilibrage laïque
Un coup d’œil approfondi sur le dernier rapport de 636 pages de l’Observatoire de la laïcité a pu néanmoins faire apparaître certaines reculades imposées.
Une touche plus répressive, caractéristique de l’approche politique du gouvernement et de ses prédécesseurs en matière de laïcité, était perceptible.
L’Observatoire de la laïcité s’est ainsi félicité « que sa préconisation d’inviter les procureurs à poursuivre et porter plainte au nom de la République chaque fois que nécessaire les auteurs de comportements contraires aux exigences minimales de la vie en société, en se basant sur un rappel du cadre légal précisé dans un guide spécifique, ait été reprise par la circulaire du 10 janvier 2020 du ministère de la Justice. Il se félicite également de la reprise de plusieurs de ses avis dans le cadre du projet de loi visant à conforter le respect des principes de la République. »
Dans ses 20 propositions, l’Observatoire accompagne et soutient plusieurs dispositions de la loi dite contre le séparatisme, en allant jusqu’à mentionner trois propositions sur le financement du culte.
-Renforcer l’obligation de transparence et de contrôle de l’origine des financements pour la construction d’un lieu de culte.
– Renforcer la transparence par un contrôle financier effectif des associations loi 1905.
– Étendre les obligations de contrôle financier aux associations loi 1901
Même chose pour l’enseignement à domicile, avec la préconisation d’un renforcement du « contrôle de l’enseignement à domicile en amont de son éventuelle stricte limitation. »
L’Observatoire préconise également de « mettre en œuvre l’ensemble des préconisations de l’Observatoire de la laïcité en Alsace-Moselle », département jouissant d’un statut juridique exceptionnel et dans lequel, à l’instar de territoires d’outre-mer, la loi de 1905 ne s’applique pas.
Laïcité et religion républicaine
Dernier élément mettant en exergue l’alignement politique de l’Observatoire sur la présidence Macron, la 18e et curieuse proposition consistant à « instaurer de nouveaux rites civils et républicains » qui rejoint on s’en souvient certains accents religieux du discours du président de la République aux Mureaux.
De quels rites s’agit-il ?
« Une obligation des municipalités de célébrer pour les citoyens qui en font la demande le parrainage civil et républicain
- Une obligation des municipalités de proposer aux couples ne s’étant pas mariés, à l’occasion de la naissance de leur premier enfant, d’organiser une cérémonie de remise du livret de famille
- Une obligation des municipalités de proposer d’agréger le parrainage civil républicain à l’éventuelle organisation d’une cérémonie de remise de livret de famille. »
L’Observatoire justifie cette proposition à la formulation tendancieuse par le rappel des « idéaux républicains » venus se substituer à ceux de l’Ancien régime, catholique.
« Les rites et les symboles républicains sont nécessaires pour faire vivre l’idéal républicain (…) L’une des premières préoccupations de la République fut de créer de tels rites et symboles pour remplacer ceux de l’Ancien Régime. De là nous viennent notre devise, notre drapeau et certaines fêtes. Ces moments de célébration ont toujours été des moments de rassemblement autour d’idéaux et valeurs communs. Ainsi, les rites républicains concourent à une logique de rassemblement de la Nation qui s’oppose aux replis de certains visant à se séparer de la société. »
Qu‘est-ce que la laïcité ?
Au-delà de cette politique de réajustement macronienne, l’Observatoire a également avancé des propositions plus positives.
Parmi elles, l’amélioration du statut des aumôniers et le recrutement d’aumôniers musulmans à temps plein et non plus à temps partiel.
Autre proposition : redonner l’importance qu’il mérite à l’enseignement de la colonisation.
« Ne pas occulter le passé colonial et prendre en compte toutes les cultures présentes sur le territoire de la République dans leur contribution à l’affirmation de la citoyenneté commune ». « L’Observatoire de la laïcité considère essentiel d’intégrer dans les programmes scolaires l’ensemble de ses composantes, sans préjugé et en parfaite objectivité ».
L’institution a également tenté de mettre en garde les politiques contre les dangers des répercussions d’une approche laïciste et liberticide de la laïcité, de neutralisation de la religion et contre les ingérences de l’Etat dans l’organisation du culte.
« L’Observatoire de la laïcité appelle à la vigilance quant à des dérives, déjà constatées dans certains discours, tendant à réduire les libertés que notre laïcité garantit et à rompre l’équilibre posé en 1905 entre libertés individuelles et nécessaire respect du cadre collectif. Car il en découlerait une accélération des replis identitaires aux répercussions dramatiques. En ce sens, l’Observatoire de la laïcité souligne les dangers d’une éventuelle « neutralisation », contre-productive, de l’espace social et partagé. Il rappelle enfin la non immixtion de l’État laïque dans la vie des religions dès lors qu’il n’en découle aucune atteinte à l’ordre public et au respect de la loi. »
Une laïcité dont l’Observatoire a fermement tenu à rappeler la définition.
« La laïcité garantit la liberté de conscience et la liberté de religion et de culte, de laquelle découle la liberté vis-à-vis de la religion, et celle de manifester des convictions, quelles qu’elles soient — religieuses ou non —, mais toujours dans les limites de l’ordre public. En France, l’on peut ainsi pratiquer et promouvoir une religion, mais l’on peut aussi la contester et la critiquer, dans les limites fixées par loi (incitation à la haine, discriminations, etc.). La laïcité suppose ensuite la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses. C’est de celle-ci que découle la stricte neutralité de l’État et de l’Administration publique (laquelle ne s’applique pas aux usagers) qui permet à toutes et tous, quelles que soient leurs convictions ou croyances, d’être égaux devant les services publics et la loi. Enfin, c’est de cet ensemble que découle notre citoyenneté commune, qui suppose les mêmes droits et les mêmes devoirs pour toutes et tous, et qui contribue à l’idéal républicain de fraternité. »
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