Trois organismes de certification halal (GMP, GML, GME) estiment que la nouvelle directive sur l’abattage impose des conditions non conformes au sacrifice rituel (halal). Une information inexacte, estime l’Union française des consommateurs musulmans. Mizane.info a pris connaissance de la directive et s’en est entretenu avec Kamel Kabtane, le président de la Grande mosquée de Lyon, signataire du communiqué. Décryptage.
L’abattage rituel halal des volailles est-il compromis par la dernière note d’instruction technique émanant du ministère de l’Agriculture publiée le 23 novembre ?
C’est ce qu’affirment trois organismes de certification du halal, la Grande Mosquée de Paris, d’Evry et de Lyon, dans un communiqué commun.
« Cette instruction (…) impose désormais des conditions d’abattage ne permettant pas de répondre aux principes dogmatiques et fondamentaux de l’abattage rituel halal », écrivent-elles, avant d’indiquer « qu’à compter du mois de juillet 2021, l’abattage rituel halal de volaille en France ne sera plus autorisé ».
Une affirmation inexacte, répond pour sa part l’Union française des consommateurs musulmans qui fait valoir que la directive technique ne fait que supprimer l’électronarcose atténuée en usage, en durcissant ses conditions. L’électronarcose par le recours à un bain d’eau électrifié est une méthode courante d’assommage des bêtes avant leur abattage.
« Ce procédé était pourtant en pratique toléré par les vétérinaires. Ce type d’abattage est très pratique car le système de contention n’y est pas obligatoire. Aujourd’hui, cette directive ministérielle fait disparaître le cas 3 à partir de juillet 2021 », explique l’UFCM, dans un communiqué.
Un renforcement des contrôles
Mizane.info a pris connaissance de la note d’instruction technique du ministère de l’agriculture, publiée le 23 novembre. Cette note impose des process techniques drastiques de contrôle établissant l’inconscience de la bête avant son abattage, pour garantir qu’elle ne souffrira pas.
Du personnel qualifié, du matériel et le respect d’indicateurs et de signaux établissant ou non un état de conscience vital sont exigés. Les méthode d’étourdissement d’une bête peuvent être mécanique, électrique (électronarcose par bain d’eau ou électrocution crânienne) ou gazeuse.
Pour les trois organismes de certification, ces nouvelles normes condamnent à terme la filière du halal en France.
C’est la position de Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon et signataire du communiqué qui s’en est expliqué dans un entretien qu’il nous a accordé.
Kamel Kabtane estime que le procédé de recours à l’électronarcose atténuée (la bête est inconsciente mais vivante) était un bon compromis respectant le caractère halal du sacrifice et les impératifs de protection animale.
Le durcissement des procédures de contrôles et des injonctions techniques de cette note technique provoqueraient d’après lui la mort de l’animal avant l’abattage.
« Cette directive a été établie en catimini. Nous ne l’avons appris qu’en janvier. Depuis, on nous a imposé le fait que les bêtes ne bougent plus du tout, en augmentant la dose de voltage. Auparavant, les bêtes étaient assommées mais au bout de deux minutes redevenaient mobiles. En testant ces nouvelles normes, sous contrôle huissier, toutes nos bêtes étaient mortes ! ».
Il faut préciser que la directive du ministère n’interdit pas l’abattage rituel sans étourdissement, exclusivement préconisé par d’autres organismes de certifications halal comme AVS.
Mais elle le conditionne à la mise en place d’équipement de contention pour maintenir la tête de la bête et éviter qu’elle prolonge sa douleur en gesticulant. L’achat et l’installation d’équipements de contention étant, dans les faits, refusés par la plupart des abattoirs en raison de son coût.
Une bonne initiative pour l’UFCM
Pour l’Union française des consommateurs musulmans, cette note technique va obliger les trois organismes de certification à se repositionner sur l’électronarcose, jugée religieusement illicite par certains avis juridiques, quand d’autres l’autorisent si la bête est bien vivante.
« Ce texte apporte de la clarté et imposera à chacun d’assumer clairement ses positions. Ils (les organismes de certifications halal, ndlr) devront s’attacher à un respect plus rigoureux et plus exigeant de la norme halal, telle qu’elle est établie par nos Textes, c’est-à-dire sans prendre le moindre risque de tuer la bête avant qu’elle ne soit saignée (excluant totalement l’électronarcose) ».
Les opposants à l’électronarcose, même atténuée, estiment qu’il n’est pas possible de garantir systématiquement le caractère vivant de la bête par ce procédé, et choisissent donc le principe de précaution. Ce qui les contraints à recourir à l’importation de viandes sacrifiés selon leur cahier des charges.
La contrainte de contention réduit en effet considérablement les capacités techniques de production et ne répond pas à la demande des consommateurs, d’après M. Kabtane qui estime qu’il faudrait une dizaine d’abattoirs indépendants et consacrés au sacrifice par contention pour répondre à la demande nationale. Un immense investissement financier, peu rentable étant donné les cadences de production.
« Le système de contention ne permet pas plus de 1500 à 2000 abattage de volailles de l’heure contre 7 à 8 000 actuellement. Or, les musulmans mangent autour de 25 kg de volailles, par personne et par an. Multiplier ce nombre par 6 ou 7 millions de musulmans et vous comprendrez que ce n’est pas avec ces normes que nous pourrons assurer la consommation de viande des musulmans. »
Une problématique qui ne se poserait dans les mêmes termes aux juifs, étant moins nombreux, et qui auraient recours, tout comme les musulmans, à l’importation.
Le risque d’une législation européenne
M. Kabtane estime que cette norme est le résultat du travail mené par les associations de protections animales, en première ligne sur le sujet et résolument hostile au sacrifice rituel, et qu’elle obéit également à l’air du temps et à l’image violente accolée à la religion musulmane.
« Si nous ne tirons pas la sonnette d’alarme, nous allons vers une catastrophe ! », ajoute-t-il.
Les trois organismes de certification, qui n’excluent pas un recours judiciaire, ont demandé dès janvier à être reçu par le ministre de l’agriculture Julien Denormandie. Ils n’ont toujours pas obtenu de réponse.
Pour le moment, certains organismes de certification halal ont choisi d’investir pour différentes raisons (juridiques, commerciales) sur l’externalisation de leurs process de contrôle dans des pays à la législation compatible avec l’abattage sans étourdissement et sans contention, comme AVS (Pologne, Espagne, Hongrie) ou l’ARGML (Pologne, Irlande).
Mais un alignement européen des législations, dans un sens restrictif, créerait à terme une rupture majeure des modes de consommation des musulmans et une redéfinition du cadre éthique et religieux de leurs pratiques de consommation.
Le marché de la viande halal est l’un des plus juteux de France. « Le marché s’établissait à 5,5 milliards d’euros en 2010, dont 4,5 milliards en produits alimentaires et 1 milliard en restauration hors domicile (kebab, fast-food, pizzeria) », selon Le Monde.
A lire aussi :