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samedi 23 novembre 2024

Benzema et le mal-être français

La nouvelle a fait office de tsunami et de nombreuses parodies ont circulé sur Twitter. L’information du retour du meilleur attaquant français à l’étranger, Karim Benzema, en équipe nationale a été abondamment commentée. Un débat confrontant les partisans et les opposants à ce retour et qui reflète plus qu’aucun autre la nature du mal-être français. Billet.  

Benzema sous le maillot de l’équipe de France. ©Rani777

Benzema le desperado. Benzema le survivant du football français. Benzema le come-back inespéré ! Les titres et slogans témoignant de cet improbable retournement de situation que constitue le retour annoncé de Karim Benzema en équipe de France pourraient être multipliés indéfiniment.

Tous témoignent cependant de l’émotion intense qui a suivi cette annonce sur les réseaux sociaux de la part à la fois des nombreux fans du joueur madrilène comme de ses opposants farouches car pour tous ce monde, Benzema est bien plus qu’un simple joueur : c’est un symbole.

Le symbole d’une France métissée qui ne s’assume pas comme telle, une France déchirée et dont la division est alimentée par tous ces professionnels de l’audimat rompus aux méthodes de la pyromanie, mercenaires rêvant secrètement d’une guerre civile qui n’advient toujours pas.

Pour les fans du joueur, Benzema incarne mieux que quiconque la victime expiatoire de cette France qui dit non aux talents issus de l’immigration maghrébine, qui peut incidemment leur ouvrir la porte mais n’hésitera pas à la leur claquer au nez à la moindre anicroche. Une France dans laquelle seuls les plus forts ont leur place tant qu’ils brillent mais qui rejoignent trop vite le cimetière des oubliés quand la nuit pointe à l’horizon.

Dans cette France-là, Olivier vaut mieux que Karim et Matthieu a plus de crédit que Hatem.

Sauf lorsque leur aura brille tellement qu’elle en éblouie le pays et impose un changement de ligne.

C’est ce qui s’est passé dans le cas Benzema.

Depuis l’épisode de l’affaire Valbuena qui lui a valu d’être congédié en 2016 de l’équipe de France, alors même qu’aucune condamnation n’a été prononcée contre lui par la justice, Benzema a entamé une longue traversée du désert national vécue comme une suprême injustice par tous les binationaux et autres Français, expression exotique oblige, dits de la diversité.

Entretemps, la colère contre Deschamps a laissé des traces, les multiples épisodes avec la Fédération française de football et avec son président Noël Le Graët sont passés par là et au final une amertume persistante a tracé son sillon dans la psyché française : quelque chose s’est brisée et une nouvelle fracture s’est ajoutée à une série de longues blessures venues harceler un grand corps national malade.

L’implication personnelle de l’ancien Premier ministre Manuel Valls, activiste en chef de la Reconquista anti-Maures, farouche opposant à toute mention de l’islamophobie et grand défenseur d’Israël dans l’éternel, pleinement investi dans cette campagne de dénigrement et d’ostracisme a achevé de donner une dimension politique à l’affaire Benzema.

© Антон Зайцев.

Alors on se dit que l’Arabe ne peut triompher dans une France gangrénée par les héritiers de la nostalgie coloniale, hérauts de tous les pieds noirs s’agitant dans le sud de l’Hexagone, supporters d’une caste de parvenus au passé caché, dissimulé, lavé dans le bain patriotique de l’amnésie sélective. On se dit à demi-mots qu’être Français quand on est Arabe ou Noir, c’est l’être en sursis, dans la précarité d’un statut, dans la souffrance d’une condition partagée par les nomades d’un No man’s Land qui s’appelle la France.

Mais l’Arabe de France, mais l’Arabe en France ne réussit, ne peut réussir qu’en se hissant au summum de son art, en transcendant les limites étroites de la médiocrité de ses adversaires, en brillant par son intelligence, par sa force de conviction, par sa patience. Une qualité à laquelle Benzema n’aura pas démérité.

Elu meilleur joueur français de l’étranger, évoluant dans l’un des meilleurs clubs européens, le Real de Madrid, le royal Benzema est revenu la tête haute, s’imposant naturellement par la force de son art, et contraignant un Deschamps à le re-titulariser.

D’aucuns regrettent, parmi ses supporters, qu’il accepte l’inacceptable : réintégrer le giron de l’équipe nationale après toutes ces humiliations. D’autres craignent que son rappel soit une stratégie destinée, en cas d’échec de la France, à lui en faire assumer la responsabilité.

Mais Karim Benzema ne craint pas l’échec. Et ses épreuves, et sa grande expérience, lui ont enseigné plusieurs choses.

On ne gagne le mérite qu’à la force de l’épreuve, et une victoire ne se gagne pas seul, c’est une affaire de collectif. Au Real, le staff et le charisme d’un Zidane ont fait leurs preuves. En France, on ignore encore dans quelles conditions un retour de Benzema garantirait les mêmes conditions.

A Madrid, Zidane, mieux que personne, sait ce qu’il en coûte pour s’imposer en France. Et que le plaisir de faire claquer le clapet des Zemmouriens du dimanche (et du samedi aussi) ne se refuse pas à qui sait se l’offrir puisqu’à vaincre sans péril on triomphe sans gloire. Privilège des grands que Karim Benzema s’est offert mais qu’il devra conclure en renouant avec la gagne nationale du goal average.

Attendus au tournant par une masse vorace de commentateurs, de journalistes, d’éditorialistes, de politiques à l’hostilité féroce, Karim sait aussi qu’il est soutenu par une nouvelle France à son image, qui a soif de revanche et qui peut tracer sa propre voie vers son destin national. Une France qui le soutiendra quoi qu’il arrive et sur laquelle il pourra compter au Qatar.

Fouad Bahri

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