Comment garantir une réinsertion équitable et efficace pour la société des personnes précédemment condamnées ? C’est le sujet d’un article du sociologue et chercheur Marwan Mohammed que Mizane.info reproduit avec son aimable autorisation. Retrouvez toutes les références des écrits de Marwan Mohammed sur son blog Les Trois marches.
Tout récemment, j’ai eu une discussion avec un ancien détenu, appelons-le Jean, qui, après une période de privation de liberté de 18 mois, s’est soigneusement soumis aux obligations liées à sa libération conditionnelle. Bien décidé à tourner la page après un assez long parcours délinquant, il a entamé des démarches de formation avec l’aide d’amis d’enfance, d’un agent de pôle emploi très au fait des questions de justice et de membres de sa famille. Il a ensuite trouvé un poste de brancardier vacataire dans un hôpital public qui en manquait. Il a donné pleine satisfaction pendant plusieurs mois et le service des ressources humaines a voulu pérenniser son embauche. Un tournant sachant que la pérennisation des sorties de délinquance repose bien souvent sur l’emploi stable.
Mais cela n’a pas pu être possible en raison de son casier judiciaire. Le volet B2 est en effet obligatoire pour accéder à certains emplois, sans compter qu’il est parfois demandé sans qu’il soit légalement nécessaire, sans oublier que pour certains métiers de la sécurité, le seul fait d’être mis en cause, sans même avoir été condamné, suffit à éloigner des milliers d’opportunités. Mutuellement frustrés, l’hôpital et l’ex-brancardier se sont séparés, laissant d’un côté un service hospitalier en tension et en sous-effectif et de l’autre un ex-détenu sans emploi, sommé de payer des amendes et des dommages intérêts se chiffrant à plus de 10 000 euros, sans compter les charges de la vie quotidienne.
Se sentant à nouveau « fragile face à la tentation », son état m’a rappelé ce que m’ont raconté de nombres personnes croisées lors de mes recherches ou au gré des rencontres, dont la récidive dans une délinquance rémunératrice visait à financer leur transition biographique ou à rembourser une dette pénale. C’est une situation aberrante qui incarne bien le sort fait à la question de la réinsertion, du devenir des sortants de prison et plus largement de ceux qui tentent de sortir de la délinquance dans le contexte français.
Les politiques pénales françaises reposent théoriquement sur deux piliers. On peut lire dans l’article 130-1 du code pénal qu’afin « d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions : 1° De sanctionner l’auteur de l’infraction ; 2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ».
Le législateur a estimé que la finalité du pénal – protéger la société – nécessite que les sorties de délinquance soient l’objet d’une politique conséquente et de dispositifs intelligents. Et malgré son imperfection comme variable analytique, le taux de récidive est souvent utilisé pour mesurer la capacité du pénal et notamment de la réponse carcérale à protéger la société. Pour les sortants de prison, il oscille autour de 60 % et il est plus élevé pour les courtes peines. En France le bras droit de la sanction pénale a toujours effacé le bras gauche de la « réinsertion ». L’asymétrie est considérable et précède l’avènement contemporain du néolibéralisme autoritaire.
Mais surtout ça ne fonctionne pas et en plus de ne pas être efficace, cette politique est injuste et contre-productive.
Injuste car une personne avec un casier judiciaire pour un délit mineur ne peut devenir fonctionnaire de police, brancardier ou agent municipal en charge des espaces verts mais peut devenir ministre de l’Intérieur, député ou maire de sa commune. Le maire de Draveil George Tron n’est-il pas en détention pour des faits criminels tout en maintenant sa fonction ? Injuste car une sanction prononcée par un tribunal devrait se limiter à son énoncé et non perdurer au-delà en raison des antécédents judiciaires. On a coutume de dire qu’un individu ayant effectué sa peine a « payé sa dette à la société ». C’est faux ! La dette se perpétue, parfois s’amplifie, elle s’impose au sanctionné et à ses proches bien au-delà du temps de la sanction. Au Canada, sous certaines conditions, le passé judiciaire est un motif reconnu de discrimination au même titre que le sexe ou l’origine.
Il est évident que la société doit se protéger de certains risques et ne pas autoriser par exemple un pédophile à travailler auprès d’enfants ou un ex-condamné pour terrorisme d’être en charge de la sécurité d’une centrale nucléaire. C’est du bon sens. D’autres restrictions seraient surement nécessaires, mais ne concernent qu’un nombre très limité d’individus placés sous-main de justice. Mais pourquoi une personne condamnée pour des cambriolages effectués il y trois ans, ne pourrait pas devenir brancardier dès qu’une opportunité se présente ? Le casier judiciaire ferme aujourd’hui des millions d’emplois à des dizaines de milliers de personnes et réduit leurs chances de passer à autre chose, voire même les décourage d’essayer en réduisant leur champ des possibles. Selon les données du ministère datant du 1er janvier 2021, 235 000 personnes sont prises en charge par l’administration pénitentiaire, plus de 75 000 personnes sous écrou et 160 000 personnes sont suivies en milieu ouvert. C’est considérable.
L’inefficacité du système pénal à protéger la société est patente et ne concerne pas uniquement le casier judiciaire. C’est la manière de penser la sécurité publique et la paix civile qui devraient être mis en examen, non pas seulement en évaluant les dispositifs d’insertion ou le rôle du casier judiciaire, mais également en mettant en cause la place des institutions pénales dans la vie sociale.
Selon moi, la meilleure politique de sécurité demeure la justice sociale, c’est-à-dire une politique d’égalité et d’inclusion qui permettrait de réduire le vivier humain de la délinquance et une politique de sécurité qui cesserait de générer des lignes de casier judiciaire chez les pauvres, notamment minoritaires, par des stratégies de ciblage et de criminalisation qui épargnent souvent les classes moyennes et supérieures. Au cercle vicieux du durcissement et de la dégradation de la société alimentée à la fois par l’accroissement des inégalités et de la pauvreté liés aux choix d’économie politique ainsi que le populisme pénal, dont les échecs sont patents depuis 20 ans, il faut opposer une approche qui mise sur le cercle vertueux de l’égalité réelle et des politiques de production sociale, locale, humaine de sécurité – il faut en effet en parler – pour tous-toutes.
Mais à court terme, étant donné l’état du champ politique, des œillères idéologiques et du manque d’audace, notamment chez une partie de la gauche honteuse, suiviste, réduisant la production de sécurité à un soutien aveugle aux forces de police (jusqu’à manifester sa solidarité aux côtés de l’extrême droite politique et syndicale), la stratégie des petits pas est inévitable. La création en 2018 de l’Agence du travail d’intérêt général (TIG) et de l’insertion professionnelle au sein du ministère de la Justice va dans le bon sens.
Un petit pas supplémentaire aux effets non négligeables pourrait être de réduire « l’effet casier » en limitant l’accès des recruteurs au casier judiciaire, en limitant la discrimination légale dans l’accès à l’emploi, y compris public, ou, a minima, en mettent en place un système d’effacement probatoire à effet immédiat pour des personnes ayant une offre d’emploi et un casier judiciaire, sauf bien entendu, en cas de risque ou d’inadéquation manifestes.
Marwan Mohammed