Capture d’écran d’un prêche de l’imam Mehdi écarté de la mosquée de Gennevilliers.
A peine votée, la loi contre le séparatisme montre déjà ses effets. Durcissement administratif, politique, multiplication des agressions contre les mosquées : la question de la sécurité et des libertés cultuelles se pose désormais avec acuité pour les imams et les fidèles de la seconde religion de France. Editorial.
Que se passe-t-il en France ? Les semaines se suivent et avec elles leur lot d’actualités religieuses plus inquiétantes les unes que les autres. Alors que les agressions de mosquées se sont multipliées cette année (vandalisme, profanations, tentatives d’incendie), le ministère de l’Intérieur a mis en place depuis quelques mois, par l’intermédiaire des préfectures, ce qu’il convient d’appeler une police des imams. Cette police intervient désormais directement, sur ordre du ministère, dans la relève et la mise à l’écart d’imams, de responsables associatifs, pour demander la levée d’une subvention ou empêcher le financement d’une école privée musulmane, tout cela au prétexte de propos tenus sur la pudeur, sur tel ou tel point de l’orthopraxie islamique, pour avoir soutenu les associations CCIF ou BarakaCity, dissoutes par l’actuel gouvernement, ou encore de la mise aux normes sécuritaires des bâtiments, ou d’autres motifs de même nature. Tous les prétextes sont bons.
A Gennevilliers, Saint-Chamond, Pantin, Strasbourg, les exemples de l’arbitraire d’état se multiplient charriant dans leur sillage la crainte d’un effondrement « discret » de l’ordre institutionnel français, ordre fondé initialement sur la séparation des pouvoirs, l’état de droit et les libertés civiles. Un effondrement aussi efficace qu’il serait le résultat d’une politique du fait accompli, de la banalisation des violations juridiques et plus grave, de l‘intégration dans la production législative d’une logique d’apartheid à l’instar du texte de loi contre le séparatisme voté le 23 juillet qui vise clairement les structures et les fidèles de l’islam en France.
Béance et fracture nationale
« Le texte en discussion pose problème à bien des égards. En ciblant les musulmans, il les stigmatise intrinsèquement, augmentant la suspicion et suggérant indirectement un lien entre ce groupe et les menaces étrangères ou terroristes. (…) Ironiquement, un projet de loi destiné à protéger les valeurs constitutionnelles, y compris la dignité humaine et l’égalité des sexes, leur porterait en fait gravement atteinte. (…) Je suis profondément préoccupé par le fait que ce projet de loi servira à légitimer encore davantage la marginalisation des femmes musulmanes et contribuera à instaurer un climat de haine, d’intolérance et, en fin de compte, de violence contre les musulmans ».
Ces mots sont de Momodou Malcolm Jallow, le rapporteur général de l’organisation sur la lutte contre le racisme et l’intolérance à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, tenus le 20 avril dernier. Et ils illustrent assez fidèlement ce qui se passe en France à propos de l’état des libertés religieuses et de la sécurité des musulmans et de leurs lieux de culte.
La répression administrative et politique de tous les acteurs institutionnels locaux ou nationaux, qu’ils soient imams, prédicateurs, présidents d’association ou de fédérations régionales ou nationales, directeurs d’écoles confessionnelles musulmanes, éducateurs ou animateurs dans des associations ou des clubs sportifs, est une très grave dérive et le signe manifeste d’une sortie de l’état de droit en France. En Europe, la France est une exception culturelle en ce domaine.
Cette politique répressive qui vise au contrôle direct de tous les lieux de culte et espace de sociabilité fréquentés par des Français de confession musulmane aujourd’hui ne se limite plus à cela. Elle fait bien plus en désignant la composante musulmane française comme cible à abattre, danger, cinquième colonne, menace pour l’intégrité nationale, etc. Des mosquées sont régulièrement profanées, endommagées. Le nombre des attaques contre les lieux de culte musulmans s’est intensifié en 2021, en plein débat sur le séparatisme.
Après avoir multiplié les leviers d’actions contre le port du foulard dans la société française au nom d’une laïcité dévoyée qui diminue un peu plus chaque jour, le pouvoir d’état et certains de ses relais médiatiques investissent à présent sur une offensive contre les structures religieuses.
Un sursaut civique est-il envisageable ?
Les voix dénonçant ces dérives sont rares, aussi bien chez les religieux (à l’exception de la voix précieuse du rabbin Gabriel Hagaï) que chez les laïcs. Et pourtant, ces voix sont nécessaires et salutaires. Plus que jamais, la société civile doit contrebalancer l’irrationalité politique de nos élus qui ont choisi, à la logique de la cohésion nationale qui se construit sur le long terme, celle du gain électoral populiste à court-terme, plus rentable à l’approche des présidentielles et législatives de 2022.
Mais à quel prix ? Le fossé entre les institutions politiques et le peuple, béant avec l’ensemble de la communauté nationale comme l’a montré l’abstention aux dernières élections (67 %, un record), est en train de devenir abyssal avec les citoyens de confession musulmane.
Pris entre le marteau de l’exécutif français et l’enclume des activistes racistes, les Français musulmans voient le spectre d’une répression nationale s’allonger chaque jour un peu plus. Et avec lui, l’espoir d’une normalisation de leur foi dans une société rongée par les divisions, le plus souvent instrumentalisées par des acteurs politiques au plus haut sommet de l’état.
Un sursaut de la société française est donc attendue. Si certains le jugent improbable, à cause de l’amalgame entretenu entre terrorisme et islam, amalgame allant jusqu’à justifier pour certains la répression politique subie par les imams et clercs musulmans, d’autres l’estiment possible et même nécessaire. Le débat devrait, à défaut d’être tranché, être relancé par les prochaines échéances électorales. Des échéances vitales pour la cohésion nationale.
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