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lundi 23 décembre 2024

Pédophilie : les passages clés du rapport sur l’implication de l’Église

Le rapport Sauvé sur les crimes sexuels commis dans les Eglises françaises et établissements d’enseignements (de l’Église catholique) depuis 1950 a fait l’effet d’un séisme de magnitude 10. Mizane.info publie quelques passages clés de ce rapport volumineux de 536 pages.

« L’enquête de l’Inserm (intitulée « Les violences sexuelles dans l’Église catholique France 1950-2020 », ndlr) aboutit à une estimation du nombre de victimes mineures d’agressions sexuelles commises par des prêtres, diacres, religieux ou religieuses, qui s’établit à 216 000 personnes sur la période allant de 1950 à 2020, selon l’enquête en population générale menée auprès de 28 010 personnes âgées de 18 ans et plus, représentatives de la population française, selon la méthode des quotas.

En élargissant l’analyse à l’ensemble des personnes en lien avec l’Église (personnel des établissements d’enseignement ou internats catholiques, laïcs assurant le catéchisme ou des services en aumônerie, animateurs de mouvements scouts ou d’autres mouvements catholiques de jeunesse), le nombre estimé de victimes mineures s’établit à 330 000 sur l’ensemble de la période.

Il en résulte que plus d’un tiers des agressions sexuelles dans l’Église catholique ont été commises, non par des clercs ou des religieux, mais par des laïcs.

Par ailleurs, faute de certitude scientifique suffisante, la commission a renoncé à évaluer le nombre de personnes victimes d’agressions sexuelles dans l’Église alors qu’elles étaient majeures. Plus délicate est l’estimation du nombre des clercs et religieux agresseurs sur l’ensemble de la période considérée.

Les recherches archivistiques dans les fonds de l’Église, de la justice et de la presse, qui ont été menées par l’EPHE avec rigueur et un grand souci d’exhaustivité et complétées par les données de l’appel à témoignages, permettent d’estimer entre 2 900 et 3 200 le nombre des agresseurs. Cette fourchette constitue un plancher dans la mesure où toutes les agressions n’ont pas été connues de l’Église et toutes celles qui ont été connues n’ont pas fait l’objet de l’ouverture d’un dossier. Elle conduit à un ratio de 2,5 % et 2,8 % de l’effectif des clercs et des religieux de 1950 à nos jours (115 000 clercs et religieux environ).

Ce ratio est inférieur aux résultats publiés par les commissions étrangères, compris entre 4,4 % et 7,5 %, mais il n’est pas incompatible avec celui, encore plus faible, qui résulte des travaux de la commission Deetman aux PaysBas.

Il est vrai qu’il impliquerait un nombre très élevé de victimes par agresseur. Mais un tel résultat n’est pas impossible au regard de la littérature scientifique qui montre qu’un prédateur sexuel peut effectivement agresser de très nombreuses victimes, spécialement ceux qui s’attaquent aux enfants de sexe masculin, comme c’est très majoritairement le cas dans l’Église catholique.

Pour prolonger la réflexion, la commission, partant des conclusions contradictoires de la littérature scientifique, a établi d’autres hypothèses correspondant à des taux d’agresseurs de 5 % et 7 %. Car elle est consciente de la profonde disparité entre les profils d’agresseurs : ceux qui ne passent à l’acte qu’un petit nombre de fois et les multirécidivistes compulsifs.

En définitive, tout en mesurant la difficulté de connaître le nombre réel des clercs et des religieux abuseurs à partir d’un travail principalement fondé sur les archives, cette difficulté valant bien sûr pour les recherches de même nature menées ailleurs, la commission aboutit à la conclusion qu’en France un taux aux approches de 3 % de clercs et de religieux auteurs d’agressions sexuelles constitue une estimation minimale et une base de comparaison pertinente avec les autres pays.

L’état des lieux ainsi dressé révèle donc que le phénomène des violences sexuelles dans l’Église catholique en France de 1950 à nos jours est massif, en diminution dans le temps mais toujours présent, qu’il repose sur des mécanismes pluriels, clairement identifiés, et présentant un caractère systémique. Le traumatisme des victimes est aggravé par la qualité des auteurs.

De 1950 à 1970, dominent chez cette dernière (L’Eglise catholique) la volonté de se protéger du scandale tout en essayant de « sauver » les agresseurs, ainsi que l’occultation du sort des personnes victimes, invitées à faire silence.

De 1970 à 1990, la question des violences sexuelles passe au second plan, derrière la crise sacerdotale, qui accapare davantage les structures internes de prise en charge des clercs « à problèmes ». Cela vaut y compris dans le domaine clinique, qui est une voie de traitement des cas signalés abandonnée à la fin de cette période.

À partir des années 1990, l’attitude de l’Église catholique change progressivement, avec la prise en compte de l’existence des personnes victimes, qui toutefois ne vaut pas encore reconnaissance.

Celle-ci émerge à compter des années 2010, avec le développement des dénonciations à la justice, des sanctions canoniques et du renoncement au traitement purement interne des agresseurs.

Il résulte de ces observations une qualification des faits par la commission qui peut se résumer dans les termes d’occultation, de relativisation, voire de déni, avec une reconnaissance toute récente, réellement visible à compter de 2015, mais inégale selon les diocèses et les congrégations.

Si l’on combine cette analyse avec ce qui a été dit en première partie de la prévalence des violences sexuelles sur mineurs et personnes vulnérables, alors s’impose la notion de phénomène systémique.

Non que les violences aient été organisées ou admises par l’institution (ce qui s’est cependant produit dans certaines communautés ou institutions très peu nombreuses), mais l’institution ecclésiale n’a clairement pas su prévenir ces violences, ni simplement les voir, et moins encore les traiter avec la détermination et la justesse requises.

Une partie de l’inadéquation des réponses apportées par l’Église aux cas lui ayant été signalés réside dans les lacunes de ce droit, sur tout conçu en vue de la protection des sacrements et de l’amendement du pécheur – la personne victime étant la grande absente – et largement inadapté, dans son volet pénal, à la répression des violences sexuelles, qu’il ne nomme d’ailleurs jamais en tant que telles. La commission conclut à l’inadéquation du droit canonique aux standards du procès équitable et aux droits de la personne humaine dans la matière si sensible des agressions sexuelles sur mineurs.

En second lieu et plus fondamentalement, sont étudiés les dévoiements, les dénaturations et les perversions auxquels ont donné prise la doctrine et les enseignements de l’Église catholique, susceptibles d’avoir favorisé la survenue des violences sexuelles : le « cléricalisme » fustigé par le pape François dans sa Lettre au peuple de Dieu d’août 2018, qui comprend l’excessive sacralisation de la personne du prêtre ; la survalorisation du célibat et des charismes chez le prêtre ; le dévoiement de l’obéissance lorsqu’elle confine à l’oblitération de la conscience ; le détournement des Écritures.

La commission, s’appuyant sur les témoignages reçus, s’est aussi attachée à identifier ce qui, dans les textes issus de la Tradition de l’Église, comme le Catéchisme de l’Église catholique, pouvait avoir malheureusement entretenu ce terreau favorable : l’insuffisante attention aux atteintes aux personnes, derrière les « offenses à la chasteté », ou la vision excessivement taboue de la sexualité.

En matière de sanction, à l’aune du constat sévère dressé dans la deuxième partie du rapport, et tout en tenant compte de la réforme du volet pénal du code de droit canonique qui entrera en vigueur le 8 décembre 2021, la commission plaide pour une vaste remise à niveau du droit canonique en matière pénale dans le traitement des infractions étudiées par la commission.

Cela passe d’abord par une claire définition de ces infractions dans le code de droit canonique et ses textes d’application, à la fois en précisant les normes de référence applicables, en établissant une échelle de gravité des infractions et en diffusant un recueil de jurisprudence en cette matière.

Cela passe ensuite par une refonte de la procédure pénale canonique, pour la rendre respectueuse des règles essentielles du procès équitable et pour faire une place aux victimes dans la procédure, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Ces réformes devraient donner ainsi sa pleine efficacité à la création, annoncée par la CEF au printemps 2021, d’un tribunal pénal canonique interdiocésain, lequel doit présenter toutes les garanties de compétence et d’impartialité nécessaires, notamment par l’intégration en son sein de juges laïcs spécialement formés.

Cela passe aussi par une meilleure articulation avec la justice pénale étatique, c’est à dire une reconnaissance de la prééminence de cette dernière dans le traitement pénal des infractions en cause, qui inclut l’absence d’interférence dans ses enquêtes et procédures. À cet égard, la signature de protocoles analogues à celui conclu le 5 septembre 2019 entre l’archevêque et le procureur de la République de Paris peut favoriser un traitement efficace et diligent des cas signalés.

Cela passe enfin par l’édiction par l’Église de directives précises aux confesseurs sur le secret de la confession qui ne peut pas permettre de déroger à l’obligation, prévue par le code pénal et conforme, selon la commission, à l’obligation de droit divin naturel de la protection de la vie et de la dignité de la personne, de signaler aux autorités compétentes les cas de violences sexuelles infligées à un mineur ou à une personne vulnérable.

Il ne s’agit pas de remettre en cause le secret de la confession en tant que tel mais, seulement dans le champ des violences sexuelles sur mineurs, de rappeler la lettre et l’esprit de la loi de la République (articles 2236, 22614, 4341 et 4343 du code pénal) qui s’impose à tous sur le territoire de la République.

Dans le domaine de la formation également, avant d’évoquer la mise en place de sessions spécifiques à la pédocriminalité et aux violences sexuelles sur personnes vulnérables – qui sont évidemment nécessaires et gagneraient d’ailleurs à être coorganisées avec des associations de personnes victimes –, la commission recommande d’aller au fond des choses. Elle préconise ainsi d’exploiter l’incitation figurant dans les textes de référence de l’Église (la ratio, édictée par le Saint Siège et mise en œuvre à l’échelon national), consistant à procéder à une évaluation psychologique des candidats à la vie sacerdotale ou religieuse, ainsi qu’à accorder un suivi en ce domaine, s’il est souhaité.

Le contenu de la formation elle-même pourrait être plus ouvert aux sciences humaines, dispensé par des experts aux profils plus variés qu’actuellement, et mettre davantage l’accent sur les enjeux du développement et de l’affectivité des enfants et des jeunes, sur le droit (droit canonique, droit étatique, dont les droits de l’enfant), ainsi que sur l’importance de l’esprit critique, au regard des questions d’autorité et d’obéissance. »

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