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mardi 03 décembre 2024

Abdelali Mamoun : « Si les imams ont des devoirs, ils ont aussi des droits »

Abdelali Mamoun.

Imam depuis 30 ans en France dans une quinzaine de mosquées, mufti référent sur Beur FM où il anime l’émission « L’islam au présent », président de la commission déontologie du Conseil national des imams (CNI) inauguré dimanche dernier, Abdelali Mamoun a répondu aux questions de Mizane.info sur le lancement de cette nouvelle institution.

Mizane.info : Dans quelles conditions avez-vous rejoint la dynamique lancée par la coordination autour du Conseil national des imams ?

Abdelali Mamoun : J’ai rejoint l’équipe organisatrice au mois de mai. J’ai participé aux réunions de travail qui ont permis de travailler les supports indispensables à la mise en place d’une organisation structurée dans notre contexte et à la lumière des besoins que les imams rencontrent dans le cadre de leur vocation. L’imamat n’est pas une profession mais avant toute chose une vocation. On n’est pas imam pour gagner de l’argent mais pour servir Dieu et ses fidèles dans la mosquée. Ces supports comprenaient les statuts de l’association loi 1905. Les statuts de l’imam : l’imam ratib qui accomplit les cinq prières, l’imam khatib qui prêche le vendredi et l’imam conférencier qui est un imam référent. La détermination des critères pour chaque catégorie (l’ancienneté, l’expérience, la compétence), et celle de son parcours, son évolution, son cursus. L’objectif est de rendre l’imam apte à officier dans les cérémonies de mariage, les enterrements, etc. De cette manière-là, il saura répondre aux attentes des fidèles. Nous avons également élaboré un code déontologique dans la commission déontologie que je préside.

Que répondez-vous au CFCM qui accuse la Coordination d’utiliser des documents lui appartenant pour son Conseil national des imams ?

Primo, quand je suis arrivé, il y avait effectivement déjà un certain nombre d’éléments mais rien n’était finalisé, il y avait encore beaucoup de choses à élaborer. Secundo, je ne rentre pas dans ces guerres qui sont des guerres d’individus entre M. Moussaoui d’une part et M. Hafiz et Kbibeche d’autre part, qui ne s’entendent pas et ne souhaitent pas travailler ensemble pour des raisons qui les regardent. Ce que je dis à M. Moussaoui est la chose suivante : pourquoi n’a-t-il pas continuer ce travail, auquel cas il aurait pu nous appeler et nous proposer de le rejoindre avec d’autres imams. Il aurait été alors rassembleur pour réunir les imams et leur demander de commencer à initier ce travail. Il ne l’a pas fait. Une fois les quatre fédérations sortis du CFCM, il ne restait plus que l’UMF comme fédération signataire de la charte. Les autres fédérations étaient considérées comme des fédérations non grata, ce qui signifiait que l’Etat ne reconnaitrait pas leurs travaux. Toute fédération qui refusera de signer la charte sera totalement exclue de la scène officielle du Conseil national des imams.

N’est-ce pas là une atteinte flagrante à la laïcité ?

Bien sûr, il y a atteinte à la laïcité, mais il faut comprendre qu’il y a eu les attentats, que des musulmans ont tué au nom de l’islam, et que l’Etat a frappé très fort sur la table qu’il n’était plus tolérable que l’islam soit le mobile de meurtre, d’assassinat ou d’actes terroristes en France. L’Etat a demandé aux musulmans de faire le nécessaire. Ils l’ont fait en rédigeant une charte dans laquelle ils ont condamné toute forme d’extrémisme, que ce soit l’islamisme des Frères musulmans, des salafistes ou du Tabligh. Tous ces courants qui viennent de l’étranger n’ont rien à faire sur le territoire national.

Les auteurs d’attentats en France n’ont pas été influencés par des imams ou des mosquées françaises…

Que les choses soient claires, aucun imam en France n’est responsable de ces attentats. Mais nous sommes coupables d’avoir laissé le terrain vide et la nature a horreur du vide. Si nous ne comblons pas ce vide par un encadrement islamique conforme aux réalités françaises, il sera comblé par des idéologies, comme le salafisme ou l’islamisme des Frères musulmans, importées de l’étranger.

Musulmans de France fait pourtant partie de la coordination, malgré ses liens affectifs avec les idées de Hassan al Banna (fondateur de la confrérie des Frères musulmans, ndlr)…

Eh bien figurez-vous que dimanche dernier (à l’inauguration du CNI, ndlr), Amar Lasfar me disait ceci, les yeux dans les yeux : « Il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis. Nous nous sommes trompés. Nous étions dans l’erreur. Nous ne sommes plus aujourd’hui des Frères musulmans. Musulmans de France n’est pas une organisation qui a de quelconques liens organiques avec la confrérie des Frères musulmans. Nous sommes une organisation française, citoyenne d’abord et ensuite musulmane. » Ils ont tourné la page, et s’ils le disent en tous les cas, pourquoi les démentirais-je ? Ils représentent plusieurs centaines de mosquées et d’associations en France et ils prouvent, par le travail qu’ils font, leur engagement.

Etes-vous confiant sur la manière dont ce Conseil national des imams a été posé ?

Je ne vous cache pas que je ne savais pas que le Conseil national des imams allait être fondé avec les trente personnes qui avaient participé à la quinzaine de séances de réunion de travail. C’est avec eux que le matin même de ce dimanche, à la Grande mosquée de Paris et en présence du ministre de l’Intérieur (Gérald Darmanin, ndlr), le CNI a officialisé l’assemblée générale constitutive, alors que j’espérais que cela se déroule l’après-midi en présence de tous les imams. L’idéal aurait été de faire connaître préalablement ce travail, de le diffuser dans les médias comme le vôtre, et que les participants discutent et puissent, le cas échéant, améliorer ce travail, et pourquoi pas d’organiser des réunions de consultation locale en province. Sauf que cela aurait été techniquement très difficile puisqu’il aurait fallu fournir à tous les participants tous les documents pour qu’ils les étudient et approuvent les statuts. Cela aurait été une vraie usine à gaz. Nous n’avions ni le temps, ni les moyens de le faire.

Estimez-vous qu’il y a eu une précipitation dans ce lancement ? La coordination était-elle dans une course de vitesse avec le CFCM ?

Non, car Moussaoui n’a rien fait, il s’est contenté de réagir. Le lancement prochain du CNI du CFCM n’était pas quelque chose de programmé. En ce qui concerne la coordination, tout ce qui a été fait correspond à un calendrier qui a été décidé depuis le mois de mars, date à laquelle cette coordination informelle s’est constituée. Des réunions de travail ont été organisées, avec des moyens financiers alloués et une règle importante a été déterminée : aucun membre laïque des quatre fédérations ne pourra faire partie du bureau du CNI. Ils n’interviendront que sur les volets politiques, logistiques, financiers, etc. Je suis moi-même président de la commission déontologie qui a donné lieu à la définition d’un code de la déontologie pour les imams. Des séances de formations et d’informations seront menées pour que tous les imams prennent connaissance de ce code et l’adoptent. Le CNI fournira aux préfectures la liste des imams homologués, ceux qui auront le droit d’exercer les rites religieux et d’encadrer les fidèles. Pour ceux qui ont des carences, nous leur proposerons des formations adaptées (éducation civique, français, histoire de l’islam en France…) car si les imams ont des devoirs, ils ont aussi des droits.

Quels sont les critères exigés pour l’homologation de l’imam ?

Une grille de certification de l’imam ratib et des mourchidate, par exemple, prévoit une maîtrise du français et de l’arabe littéraire niveau 1, disposer d’un diplôme d’imam ou équivalent, avoir suivi une formation théologique, ou disposer d’une expérience dans l’exercice de l’imamat ou bien encore connaître par cœur quelques hizbs (parties codifiées du Coran, ndlr) pour diriger la prière. Avoir connaissance des fondements de l’une des principales écoles juridiques de l’islam et reconnaître l’égale légitimité des autres. Savoir analyser une situation pour y apporter une réponse adaptée à notre contexte. Savoir exploiter les connaissances théologiques acquises. Connaître les contextes d’énonciation des avis juridiques classiques pour savoir les adapter à notre époque. Favoriser la médiation au sein de sa communauté, etc. A chaque niveau supérieur, les critères sont plus exigeants.

Ces critères sont-ils réalistes et applicables, étant donné le niveau plutôt faible des cadres religieux, à l’échelle nationale ? 

Oui, je pense qu’ils le sont, même si leur application ne sera pas immédiate. Nous sommes là pour accompagner les imams et non pour faire un travail de flicage. Leur proposer un bilan de compétence pour évaluer leur force et leurs carences et leurs proposer des formations adéquates pour y remédier.

Le CNI va-t-il lui-même proposer ces formations aux imams qui souhaitent évoluer d’un statut à un autre ?

Tout à fait, c’est notre objectif : permettre à des imams au bout d’un certain nombre d’années de passer d’un statut à un autre. Nous avons déjà les centres de formations existant pour le faire, comme l’institut Al Ghazali, l’IESH de Château-Chinon et de Saint-Denis, et un autre institut à Strasbourg. Des formations continues seront proposées aux imams en exercice et des formations pour les nouveaux candidats qui souhaitent devenir imams. Des accords et des conventions ont déjà été passées avec des universités publiques pour les matières profanes telles que la pédagogie, le management, etc.

Avec quel argent le CNI va-t-il financer ces formations ?

Nous allons créer une fondation d’utilité publique, avec un agrément de l’Etat que nous espérons, et qui permettra de recevoir des mécénats et des donations, dans un premier temps. Une commission va travailler sur d’autres solutions comme le financement via le pèlerinage ou la viande halal. Les centres de formation existent déjà, les fédérations les prennent en charge financièrement avec la participation financière des étudiants car il y a une prise en charge en internat pour l’IESH de Château-Chinon, par exemple. Nous espérons également que l’Etat créera un climat de confiance au sein de la communauté musulmane pour que nous puissions récolter les fonds nécessaires à ce projet sous la forme d’une sadaqa jariyya (aumône permanente, ndlr).

Les imams devront-ils signer la charte des principes de l’islam pour avoir le droit à une homologation du CNI ?

Si ces imams sont membres d’une fédération signataire, la fédération aura souscrit cet engagement en leur nom. Par contre, s’ils sont des imams indépendants, ils devront signer cette charte.

Certains avançaient les difficultés de signer une charte qui mentionne la condamnation de l’homophobie sans plus de précisions. Cela implique-t-il, outre la condamnation de violence, celle de la condamnation morale religieuse de la pratique de l’homosexualité ?

Non. La condamnation religieuse de l’homosexualité que l’on retrouve dans le Coran n’en fait pas partie. Il ne s’agit pas de viser tel ou tel individu, mais d’une condamnation de principe. D’ailleurs, certains individus ne choisissent pas de devenir homosexuels. Il faut donc associer à la condamnation morale, en tant que telle, une tolérance concernant le choix des individus.

Les imams non homologués par le CNI auront-ils encore le droit d’officier dans leurs mosquées ?

Nous sommes dans un pays de droit. La loi de 1905 sur la laïcité s’impose y compris à l’Etat qui ne doit pas s’ingérer dans les affaires internes des mosquées. Mais pour les associations de loi 1901 qui sont sous la tutelle des préfectures, si l’imam, outre son incompétence, ne préserve pas les âmes de ses fidèles et prône un discours de haine ou de rupture avec la société française, alors la préfecture pourra interpeller l’association en réclamant un imam compétent ou la menace de fermeture de la mosquée. Le Conseil national des imams pourra, par exemple, intervenir et proposer à l’association un autre imam, compétent. L’islam est compatible avec les valeurs républicaines. Nous ne devons pas avoir de problème avec cela.

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