Mohammed Moussaoui, invité sur RMC.
Le président du Conseil français du culte musulman a accordé un entretien à Mizane.info dans lequel il considère que le CFCM est toujours en lice et qu’une réforme sur une base départementale le sauverait de la disparition.
Mizane.info : A la prochaine assemblée générale extraordinaire, allez-vous proposer une autodissolution du CFCM, en écho à vos propos tenus dans l’Opinion ?
Mohammed Moussaoui : Dans la tribune, je n’ai pas indiqué que la solution était l’autodissolution. J’ai précisé qu’il fallait faire émerger une nouvelle forme de représentation. Cette nouvelle forme ne passe pas nécessairement par l’autodissolution du CFCM.
Le terme a été employé dans la tribune ce qui signifie que cette autodissolution rentre pour vous dans le champ des possibles…
Tout à fait. Il y a deux options. Concrètement, soit nous réformons le CFCM pour permettre une émergence de l’instance nationale, c’est à dire l’assemblée générale extraordinaire actuelle. Soit elle est remplacée par une assemblé générale qui émane des départements, ce qui constitue l’option 1.
L’assemblée générale actuelle est formée par une moitié nommée par les fédérations et une autre moitié formée par les CRCM. Il faudrait que cette assemblée soit remplacée par une autre formée par des conseils départementaux, ce qui nécessite une modification des statuts pour permettre ce changement.
Ce serait l’idéal car nous n’aurions pas besoin de dissoudre le CFCM. Son contenu changerait complètement. La question de savoir si l’on conserve le même nom ou pas est accessoire pour moi. La vraie question est de savoir si nous acceptons de donner la parole aux conseils départementaux pour qu’ils élisent la nouvelle instance, ou pas.
Le 4 juillet 2021, les quatre fédérations constituant la Coordination avait dit non à cette réforme que j’avais proposé, grâce à leur majorité de blocage. J’espère qu’à la prochaine assemblée générale, les choses changeront car le contexte a changé. Il n’y avait pas le Forif à cette époque.
Le ministre de l’Intérieur a pourtant clairement dit que le CFCM était mort et que lui-même ne recevrait plus d’acteurs musulmans au titre du CFCM.
C’est l’expression du ministre en réponse à une question du journaliste. Dans les faits, ce n’est pas ce qui s’est passé. J’ai été reçu à la présentation des vœux du président de la République en tant que président du CFCM, pas en tant que président de l’UMF. Le ministre de l’Intérieur m’a reçu récemment, le 5 janvier, en tant que président du CFCM. La commission sur les actes antimusulmans mandatée par le ministère m’a aussi invité en tant que président du CFCM.
Comment expliquez-vous cette contradiction ?
Je fais la différence entre une réponse du ministre à un journaliste et une position officielle. Je n’ai reçu aucun document officiel établissant que le dialogue des autorités était rompu avec le CFCM. Rien. C’est le contraire qui s’est déroulé puisque j’ai été reçu par le président de la République et le ministre de l’Intérieur. Avec ce dernier, nous avons réfléchi à la manière dont nous pourrions établir des liens entre le CFCM et le Forif.
L’avez-vous interrogé sur ses propos au Grand Jury RTL ?
Oui. Dans son esprit, le CFCM dans son état actuel n’est plus viable. Et ce constat, je le partage.
Ce n’est pas ce qu’a dit le ministre Darmanin. Il a tenu des propos assez clairs sur la mort du CFCM, sur le fait qu’il représentait un islam consulaire que le gouvernement ne voulait plus.
Si on veut faire une lecture littérale des propos du ministre, on peut également parler de ces propos sur le fait que je n’ai pas signé la charte (ce qui est faux, ndlr) ou que l’islam consulaire concernait l’Algérie et le Maroc et pas la Turquie. Le littéralisme ne mène pas nécessairement à l’exactitude des faits. C’était un langage approximatif. Je ne peux pas dire plus que cela.
Vous estimez donc que le ministre de l’Intérieur considère toujours que le CFCM est l’instance représentant le culte musulman et qu’il l’a reçu à ce titre-là ?
Oui, bien sûr. Les faits sont là pour le prouver. Maintenant, ce qui est sûr c’est que le président de la République et le ministre de l’Intérieur ne veulent plus du CFCM en l’état actuel des choses. Si le CFCM change son ADN et au lieu d’un CFCM sous tutelle des fédérations, fasse émerger un CFCM émanant des départements. Si ce changement a lieu, je ne vois pas pourquoi les pouvoirs publics souhaiterait la mort d’un CFCM qui s’est métamorphosé en répondant aux attentes des musulmans de France et des pouvoirs publics.
D’autres conditions étaient posées par les pouvoirs publics. Parmi elles, ouvrir l’islam de France à sa diversité naturelle, en invitant des représentants de courants minoritaires…
Ce que je dis correspond à ce constat. Une réforme du CFCM permettra à tous les acteurs de terrain de participer. Aujourd’hui, les fédérations se sont fermées sur elles-mêmes.
Quelles sont les conditions prévues par les statuts pour réformer le CFCM sur une base départementale ?
Une assemblé générale extraordinaire doit renouveler les statuts complètement sur la base d’une proposition faite par le bureau. Pour que cette réforme puisse aboutir, il est indispensable d’associer les fédérations à cette proposition. Si un accord aboutit avec les fédérations, la réforme pourrait passer à l’assemblé générale. Si cet accord n’a pas lieu, la réforme ne sera pas votée et dans ce cas les conseils départementaux créés ou en cours de création pourraient constituer une nouvelle instance nationale au terme de la réunion d’une assemblée constitutive.
Selon vous, le Forif n’a pas pour vocation de lancer les bases d’une nouvelle instance de représentation du culte musulman ?
Pour l’instant c’est un espace de discussion. Par contre, une réflexion sur la représentation du culte musulman est à l’œuvre au sein des ateliers de travail. Si le Forif doit entamer cette réflexion, il ne peut pas le faire seul. Il doit le faire avec les acteurs départementaux.
Mais ce travail a déjà été fait au cours des assises territoriales où les acteurs musulmans locaux ont été consultés…
Oui, mais il n’y avait pas de conseils départementaux du culte musulman dans ces assises. Il y a eu des acteurs qui ont été choisis par les préfets en concertation avec les CRCM dans certaines régions. On peut considérer que ces assises sont un premier pas vers la départementalisation du culte musulman. Mais ce n’est pas une départementalisation telle que nous la proposons, c’est à dire avec la participation de tous les lieux de culte qui se réunissent en départements et proposent leurs représentants.
Vous refusez donc que les préfets trient sur le volet les participants à ces assises et vous prônez plutôt une participation de tous les acteurs locaux et mosquées…
Tout à fait. D’ailleurs, le ministre de l’Intérieur l’a dit clairement. La vocation de l’Etat n’est pas d’organiser un culte, c’est aux musulmans de s’organiser. S’ils veulent une instance représentative, c’est à eux de le faire.
Avez-vous encore des relations avec les fédérations de la Coordination ? Estimez-vous possible un changement de cap vers une réforme ?
Avant la signature de la charte par les trois fédérations (CIMG, CCMTF, Foi et pratique), la Coordination campait sur sa position, refusant de se réunir avec ces trois fédérations non signataires. Le contexte a changé. Les trois fédérations ont signé la charte.
La situation ayant changé, nous avons appelé donc les fédérations de la Coordination à nous réunir pour discuter ensemble de l’avenir de la représentation de l’islam de France. Malheureusement, la Coordination n’a pas daigné réagir, comme si la signature de la charte était un non-événement.
Tout laisse donc à penser que la Coordination ne soutiendra pas cet appel à des discussions et ne votera pas en faveur de cette réforme. Le scénario d’une autodissolution du CFCM semble donc probant…
Le prétexte d’un refus de réunion ayant été levé avec la signature de la charte, j’espère que les fédérations vont changer d’avis.
Ne pensez-vous pas que les acteurs de la Coordination ont pris acte des propos du ministre de l’Intérieur sur le caractère irréversible de la mise à l’écart du CFCM, malgré les arguments que vous avez avancés ?
Ce serait contradictoire car si le gouvernement ne veut pas d’un CFCM qui s’appuie sur huit fédérations, il ne voudra pas d’une Coordination qui ne s’appuie que sur quatre fédérations. Le gouvernement a bien rappelé qu’aucune instance aujourd’hui n’a la prééminence dans le dialogue avec les pouvoirs publics.
Le fait de quitter le CFCM, de créer seul le Conseil national des imams et d’aller seul à la rencontre du gouvernement est une position de division pour la Coordination. Il n’y a pas de volonté d’unir mais une volonté de diviser et d’aggraver la division. Les instances musulmanes ne sont plus opérationnelles.
Avez-vous personnellement, ou bien un responsable de l’UMF, été associé aux travaux du Forum de l’islam français ?
J’ai été associé à la réunion plénière. Un livret de 64 pages, avec toutes les propositions de l’UMF, est sur la table du Forif. Des membres de l’UMF participent également à ces ateliers. Mais les pouvoirs publics l’ont bien dit : ils ne veulent pas que les personnes interviennent au nom de leur fédération mais en tant qu’acteurs. Ce qui rejoint la position de l’UMF depuis 2015.
Sur les instances communes, les membres doivent être affiliés à la mission qu’ils exercent au sein du culte musulman, pas en fonction de leur affiliation à une fédération ou à leur rattachement à tel ou tel pays. C’est la condition sine qua non d’une émergence de l‘islam de France. Quelqu’un au sein du Conseil national des imams ne doit pas être présent parce qu’il est membre d’une fédération mais parce qu’il est imam. Même chose pour les présidents de mosquées.
N’est-ce pas un double jeu de se présenter au niveau départemental comme imam ou président de mosquée tout en participant à des fédérations qui ont leurs propres agendas, stratégies et objectifs particuliers à poursuivre ?
Pas du tout. On ne va pas appeler à la dissolution des fédérations. Ce n’est pas le but. Les fédérations apportent quelque chose à l’islam de France. De toute manière, les choses seront différentes puisque ce seront les acteurs départementaux qui choisiront leurs représentants, ils ne seront pas imposés. Ils se sentiront impliqués dans ces institutions car c’est eux qui les construiront.
Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Un président de fédération peut désigner 9 personnes sans condition. Si nous ne faisons pas ce pas, nous serons encore ramenés durant de longues années à nos origines. Si le statu quo est maintenu, le CFCM ne sera plus l’interlocuteur des pouvoirs publics.
Est-il réellement dans l’intérêt de la Coordination de revenir dans le giron du CFCM, objectivement parlant ?
Ce serait dans l’intérêt de tout le monde car sans réforme le CFCM ne sera plus l’interlocuteur des pouvoirs publics, ni même des musulmans. Personne n’a intérêt au statu quo. L’intérêt du culte musulman et des musulmans de France devrait amener la Coordination à considérer qu’il est temps d’unifier nos efforts. Personne ne peut réunir à lui seul l’ensemble des fédérations. J’espère qu’ils saisiront cette dernière chance.
Propos recueillis par la rédaction