Dans sa dernière production que publie Mizane.info, Mohamed Bajrafil aborde le problème de la guerre en Ukraine dans ses conséquences migratoires. Pourquoi l’Europe accueille humainement l’Ukrainien quand elle refusa l’Afghan, le Syrien ou le Congolais ? « Accueillir l’Ukrainien aujourd’hui est un devoir. Mais, avoir refoulé l’Afghan, hier, est un crime, une honte, que l’histoire de l’humanité gardera indélébiles. », écrit-il.
La guerre en Ukraine, au-delà des morts et des millions de réfugiés qu’elle entraîne, dit tout du monde dans lequel on vit: un monde inégalitaire, fermé, bien qu’irréversiblement ouvert, aspirant à tout prix à la liberté de mouvement, de conscience, d’amour et de parole, devant des systèmes et des sociétés qui considèrent tout changement comme une tare et tout progrès comme une menace. Nous lisons partout des maximes, sans jamais en tirer les leçons qu’elles contiennent. Une d’elles résume à elle seule ce que le monde vit aujourd’hui : le mort d’un jour n’est jamais celui du lendemain.
Les limites de l’humanisme occidental
Les théories les plus fumeuses et les plus injustes sont avancées pour tenter de trouver une raison à la déraison qui, hier, a fait qu’on n’a pas voulu, ici, en Occident, accueillir nos frères et sœurs, humains – je rappelle que toutes les considérations, qu’elles soient religieuses ou scientifiques, soulignent l’unité de l’origine biologique des humains- au prétexte fallacieux qu’ils étaient différents de nous. Oui, ils étaient syriens, irakiens, afghans, congolais. Chrétiens, musulmans, agnostiques ou athées, peut-être. Mais, ils étaient avant et après tout humains.
Le crime de lèse-conscience dans lequel nous baignons allègrement est que, de fait, nous hiérarchisons les peines et les souffrances, en fonction de qui en fait l’objet. S’il est naturel de se sentir plus touché par le deuil de son voisin que par celui de quelqu’un que l’on ne connaît, il est contre-nature de laisser se noyer une personne, alors qu’on a un bateau dans lequel on peut le prendre à nos côtés. Cela a un nom: le racisme pur et dur, ou l’égoïsme.
Tout le monde sort la réplique d’un premier ministre français qui disait: “La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde”. Il est faux de dire que les 20000 morts en mer Méditerranéenne auraient changé un tantinet le sort et le devenir de l’Europe.
L’Ukrainien, plus proche du Français que le Malien ?
Pourtant, que n’a-t-on pas entendu? Pour les empêcher de rentrer en Europe, on a certainement plus dépensé qu’on aurait fait pour leur permettre de rester chez eux. C’est une folie de croire qu’on quitte chez soi pour le plaisir d’aller piquer le pain à l’autre, lui prendre sa terre. Surtout si on est enfant. On se sent déracinés et souvent on ne se fait pas à l’endroit où on a dû immigrer.
Ce sont des évidences que certains ne veulent pas voir, ni entendre. Pourtant, elles sont là, telles des montagnes, têtues, à leur parler, constamment. Accueillir l’Ukrainien aujourd’hui est un devoir. Mais, avoir refoulé l’Afghan, hier, est un crime, une honte, que l’histoire de l’humanité gardera indélébiles.
L’Ukrainien serait plus proche du Français que le Malien qui partage une histoire commune avec lui, celle, triste, de la colonisation, dont les effets encore persistants, comme la France-Afrique, doivent cesser, une langue, etc. C’est une foutaise que réfuterait un enfant de deux ans. Seul le racisme aveugle à ce point. L’Ukrainien est blanc, l’Ivoirien noir, en solde de toute raison. C’est bête, le racisme. C’est l’absence de jugeote. Et il est ridicule lorsqu’il veut se parer de logique.
« Le migrant ne pouvait jamais être un des nôtres »
Le monde est devenu un hameau dans lequel tout se confond. Les limites d’autrefois ont fondu. En Ukraine, l’islamophobe pro-russe est déboussolé en voyant les Tchétchènes se battre pour Moscou et l’islamophobe anti-russe perd la raison lorsqu’il voit des musulmans se battre pour l’Ukraine. Tel est le monde d’aujourd’hui: un mille-feuille. Le sarrasin d’autrefois est le fils, l’allié d’aujourd’hui. Le raciste veut un remake grandeur nature du monde de jadis, où les gens continueraient à s’appeler Jacques-Roubignoles et sarrasin.
Une fois cela dit, que faire? Faire en sorte qu’il n’y ait plus de Nord nageant dans une richesse insolente et de Sud qui vit une misère criante; cesser de dresser des murs face au migrant qui fuit la guerre ou craint pour sa vie. Ne serait-ce que par égoïsme. La vie est incertaine. Pour diverses raisons, on peut être le migrant de demain.
Dans l’inconscient collectif occidental, le migrant ne pouvait jamais être un des nôtres. Normal, nous sommes les “civilisés”et les autres les “sauvages”. Par ailleurs, l’histoire d’aujourd’hui, ne nous montre que des musulmans qui se bouffent entre eux et des Noirs qui se tuent à coup de machette.
Demain, les réfugiés climatiques
Les explications fumeuses de certains éditorialistes, ici, sont le reflet de cet inconscient collectif. Il y a pourtant à peine 70 ans une guerre qui a fait plus de morts que jamais les conflits du monde réunis n’ont faits, prenait fin au cœur de notre Europe “civilisée”; ton patronyme pouvait te conduire à Auschwitz, ou à Triblinka, les tristement célèbres camps de la mort qui ont théorisé et banalisé la Shoah.
Faut-il le rappeler? Le théoricien de la solution finale avait un patronyme bien occidental et le théâtre de cette théorie assassine n’était rien d’autre que l’Europe.
Aujourd’hui, on voit le climat se détériorer à vitesse grand V. Le migrant de demain le sera certainement pour des raisons climatiques. Encore que, quand certains montrent leurs muscles nucléaires, la raison du plus fort risque fort de continuer à faire des migrants. Dans tous les cas, le mort d’aujourd’hui ne mourra pas demain, il ne faut jamais l’oublier.
Humainement vôtre.
Mohamed Bajrafil est ambassadeur des Comores à l’Unesco, théologien, linguiste et écrivain