« Quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Une maxime de l’écrivain Amadou Hampâté Bâ devenu une ode universelle appelant à la préservation d’une culture ancestrale africaine que le philosophe n’a eu de cesse de nous conter à travers ses livres, ses poèmes et ses œuvres. Portrait d’une figure emblématique.
Il y a 31 ans, le 15 mai 1991, Amadou Hampâté Bâ rendait l’âme à Abidjan en Côte d’ivoire. Terre où il passa ses dernières années investis dans le classement des archives accumulées, durant sa vie, sur les traditions orales d’Afrique de l’Ouest. Une mission pour laquelle l’auteur se donnera corps et âme.
Né en 1901 au Mali dans la commune de Bandiagara, région de Mopti « le Pays dogon », Amadou Hampâté Bâ est le descendant d’une lignée peul noble, dernier fils de Hampâté Bâ et de Kadija Pâté Poullo.
Son père décédera durant sa petite enfance. Le jeune Amadou sera donc accueilli dans la famille du nouvel époux de sa mère, le dignitaire toucouleur Tidjani Amadou Ali Thiam.
Il vivra et s’imprégnera de la culture et des coutumes d’une Afrique traditionnelle encore peu touché par la colonisation française malgré leur présence prédominante dans la région.
Il gardera précieusement en mémoire (et le déclinera plus tard dans ses œuvres) les péripéties, les mœurs, les histoires, les croyances d’une tradition orale et ancestrale africaine.
Un parcours atypique ancré dans la tradition et la conservation culturelle
L’écrivain passera une partie de sa jeunesse sous le chaperonnage initiatique et religieux du sage de Bandiagara Tierno Bokar, Cheikh de la confrérie soufie tidjaniyya.
Il lui consacrera d’ailleurs un ouvrage entier « Vie et enseignement de Tierno Bokar » (1957), regroupant les adages et les anecdotes biographique de son maître spirituel :
« Une pure et haute figure non seulement de l’islam en Afrique noire, mais de la spiritualité universelle. »
Il sera par la suite, en 1915, envoyé à l’école française où il montrera une aisance remarquée dans l’ensemble des matières enseignées. Mais il n’y restera pas longtemps préférant retourner vivre auprès des siens et de sa mère particulièrement.
Il poursuivra ainsi ses études manquant de peu l’enrôlement dans l’armée française enlisée dans la première guerre mondiale.
Après son refus d’intégrer l’école normale William Ponty en Gorée, école renommée ayant formé la plupart des instituteurs, médecins et hommes d’Etat en Afrique de l’Ouest, Amadou sera affecté dès 1921 vers la république de Haute Volta (Burkina Faso). C’est à Ouagadougou qu’il sera cantonné à diverses taches scributaires sous l’administration coloniale jusqu’en 1932.
En 1942, l’auteur prend ses fonctions à l’institut de recherche IFAN (Institut Fondamental d’Afrique Noire) au Sénégal. A Dakar plus précisément, où il se consacre aux études ethnologiques et à l’archivage des traditions orales africaine.
Etudes qui l’amèneront, après quinze ans de recherche méticuleuse, à l’élaboration de l’ouvrage « L’empire peul du Macina » (1955) à laquelle s’ajoutera, dans le même registre, le livre « Vie et enseignement de Tierno Bokar » (1957).
Des œuvres historiques répondant à des aspirations profondes de reconstituer un savoir culturel et mémoriel d’une Afrique encore trop méconnue :
Une importante fraction de la jeunesse cultivée éprouve de plus en plus, depuis quelque temps, le besoin puissant de se tourner vers les traditions ancestrales et d’en dégager les valeurs fondamentales, afin de retrouver ses propres racines et le secret de son identité profonde. Amadou Hampâté Bâ
Distinctions, engagements et renommés
Les années 60 et 70 seront des années charnières dans l’écriture de plusieurs de ses ouvrages et la reconnaissance de sa fine plume à l’internationale. Certains de ses livres comme « L’étrange destin de Wangrin » publié en 1973 sera primé du Grand prix littéraire d’Afrique noire dès l’année suivante.
La création de son propre institut des sciences humaines, dès l’indépendance du Mali en 1960, couplée à ses différentes fonctions au sein de l’UNESCO, l’empêcheront de s’investir pleinement dans la rédaction littéraire.
Il se rattrapera, dès la fin de son mandat en 1970, avec la sortie de multiples livres qui marqueront plusieurs générations. Citons ces quelques titres célèbres :
Kaïdara, récit initiatique peul (1969), L’Étrange Destin de Wangrin (1973), L’Éclat de la grande étoile (1974), Jésus vu par un musulman (1976), Petit Bodiel (1976)…
Amadou Hampâté Bâ sera récompensé en 1975 par le Prix de la Langue Française, décerné par la prestigieuse académie française pour « services rendus au dehors à la langue française ».
Notre conteur passera les dernières années de sa vie à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Il se consacrera à l’archivage de ses notes et documents témoignant de la tradition orale d’Afrique de l’Ouest ainsi qu’à la rédaction de ses mémoires que nous avons tous eu, un jour, entre nos mains :
Ce que vaut la poussière (1987), Amkoullel l’enfant peul (1991) et Oui mon commandant ! (1994).
Le livre « Amkoullel, l’enfant peul » obtiendra également le Grand prix littéraire d’Afrique noire. Amadou Hampâté Bâ meurt à Abidjan le 15 mai 1991 et reste considéré comme une figure incontournable du monde littéraire et civilisationnel africain.
Une civilisation pour laquelle il n’a cessé d’œuvrer, jusqu’aux pupitres des conférences de l’Unesco, pour « que la sauvegarde des traditions orales soit considérée comme une opération de nécessité urgente au même titre que la sauvegarde des monuments de Nubie ».
Ibrahim Madras