Suite de la série de chroniques consacrées à l’affaire Iquioussen et à ses nombreuses leçons. Aujourd’hui, épisode 2 : islam politique, antisémitisme et déchéance de nationalité au menu. A lire sur Mizane.info.
Bien sûr, il nous faut tout de suite préciser une chose pour bien comprendre ce point cardinal de la relation entre islam et politique dans le discours public. Il y a, au moins, deux sens au mot politique dans ce contexte d’énonciation. Le politique et la politique comme le définissent des politologues.
Le politique renvoie à la polis, la Cité, l’espace public et par extension à la citoyenneté, c’est-à-dire, au régime d’appartenance à la Cité. Tout fait, évènement, acte, discours ou pratique accompli dans l’espace public comporte de ce fait un caractère politique consubstantiel et inextricable. Aussi, on le comprendra mieux, il est impossible de séparer islam et politique au sens général de ce terme.
Le second sens, cette fois-ci de la politique, renvoie dans l’usage à toute pratique institutionnelle de la politique, une pratique partisane, électorale ou électoraliste, ou encore une adhésion à une idéologie politique particulière (socialiste, communiste, nationaliste, libérale, écologique, etc). En ce sens précis, il est possible de parler de séparation entre islam (cette fois au sens institutionnel) et politique.
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Un imam qui utiliserait la tribune du prêche du vendredi, ou un président d’une Grande mosquée qui utiliserait ses locaux pour inciter les fidèles à voter explicitement pour Macron par exemple en invitant des politiques, violerait cette règle (et ces politiques également puisqu’en tant que politiques, ils n’ont pas à faire campagne dans les locaux d’un lieu de culte). Un tel ministre du culte enfreindrait le régime juridique de la laïcité française, en exerçant une pression et une influence politique sur l’opinion des fidèles.
Mais un imam qui appellerait les fidèles à aller s’inscrire sur les listes électorales pour aller voter sans indication de vote, ne violerait aucunement cette règle.
Vous avez dit antisémite ?
Qu’en est-il alors, pour sortir de France, de la question palestinienne ? Puisque Hassan Iquioussen a été condamné pour antisémitisme comme l’imam de la mosquée de Toulouse, et puisque l’antisionisme est couramment présenté comme de l’antisémitisme déguisée, la question mérite d’être soulevée.
Un imam qui parlerait de la Palestine, du martyr et de l’oppression vécus par le peuple palestinien, des atteintes à la liberté religieuse sur la mosquée d’Al Aqsa, violerait-il la règle (et non le principe) de séparation entre islam et politique ? A strictement parler, non. Pour deux raisons.
Les religions sont porteuses d’une éthique et d’une vision morale de l’existence qui ont nourries leur conception d’un humanisme religieux. Dénoncer les violences faites par des Hommes contre d’autres Hommes est donc en ce sens un devoir religieux et moral pour toute autorité religieuse de l’islam qui se respecte.
En appeler à la libération des lieux saints est tout autant une exigence religieuse puisque la mosquée Al Aqsa et toute la parcelle de territoire qui l’environne est le troisième lieu saint de l’islam, a fortiori lorsque l’accès libre aux lieux saints est régulièrement interdit aux fidèles. En tant qu’autorité religieuse, l’imam ne peut se soustraire à cette obligation qui lui incombe, s’il souhaite l’évoquer au cours de son prêche, et l’Etat ne peut pas non plus le lui interdire, au risque de violer juridiquement le pacte laïque de non-ingérence dans les affaires d’une religion.
Tout comme il ne peut pas reprocher à un imam de prier pour le salut des croyants de l’islam dans tel ou tel pays, y compris la Palestine. La référence à des troubles à l’ordre public est exclu, dès lors que l’imam n’exhorte pas les fidèles à la violence, à prendre des armes ou à attaquer des citoyens de confession juive par exemple. Toute autre interprétation de la notion de trouble à l’ordre public serait abusive.
Par ailleurs, étant donné la relation d’affinité que le judaïsme entretient avec Israël, l’exécutif français peut-il garantir qu’aucune synagogue française ni aucun rabbin en exercice n’appelle à soutenir les autorités israéliennes, à récolter des fonds pour ses soldats ou toute autre initiative similaire, afin de garantir un traitement politique et judiciaire équitable de ce sujet ?
Les illusions du contre-pouvoir judiciaire
Un autre enseignement capital doit être évoqué. Ce n’est pas la première fois que cela est dit mais les choses importantes doivent être répétées. Le droit ne garantit pas toujours la justice et plus important, la séparation des pouvoirs garantie théoriquement par la Constitution ne l’est pas toujours en pratique, bien que des garde-fous sont ou pourraient être consolidés à cette fin.
La question se pose notamment pour le Conseil d’état puisque c’est la juridiction qui a validé successivement trois décisions du ministre de l’Intérieur : la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France, la suppression de l’arrêté autorisant le port du burkini dans les piscines de Grenoble et l’expulsion du prédicateur Hassan Iquioussen.
Comme le soulignait le politologue François Burgat dans nos colonnes, la première décision (dissolution du CCIF) par sa gravité symbolique augurait du pire et ouvrait la porte aux décisions suivantes.
Le Conseil d’état, comme toute institution humaine, est poreux ou perméable aux influences politiques, que ces influences émanent de responsables politiques, de ministres, de députés, de think tanks et plus généralement du traitement médiatique des chaînes d’informations dont les lignes éditoriales sont de plus en plus orientées.
Dans le cas de Hassan Iquioussen, Gérald Darmanin n’a pas hésité à faire preuve d’un interventionnisme médiatique pour le moins contestable pouvant même s’assimiler à une violation relative de la séparation des pouvoirs. Le ministre, secondé par Olivier Véran, avaient en effet mis en garde le Conseil d’état que toute décision qui irait dans le mauvais sens l’obligerait, via son groupe parlementaire, à modifier la loi.
Il faut se rappeler que la loi du 15 mars 2004 excluant les jeunes filles musulmanes portant le foulard de l’école avait été le résultat d’un consensus politique entre la droite chiraquienne et la gauche socialiste et que cette loi avait été elle-même votée après que le Conseil d’état ait rendu un avis favorable au port du foulard dans les écoles, au nom de la liberté de conscience.
Le politique a toujours gardé la main dans ce type d’affaire et a prévalu sur le droit. Pour le comprendre et pour élargir la réflexion, ajoutons que la référence au maintien de l’ordre public, référence présente dans de très nombreux textes de loi, est une dénomination juridique destiné à garantir en toutes circonstances la suprématie politique de l’Etat sur le pouvoir des juges. Raison pour laquelle les troubles à l’ordre public sont mal définies comme l’ont indiqué des juristes.
Le tout judiciaire ou le sentiment qu’il existerait en France des contre-pouvoirs solides aux dérives politiques et à l’extrémisme possible d’un responsable politique qui disposerait des manettes de l’état est donc une illusion.
La même logique d’indécision sémantique se trouve à l’œuvre derrière la notion de peuple, qui doit garantir également la suprématie ethnoculturelle des autochtones, nationaux de longue ascendance, sur les natifs récents, perçus comme des citoyens de seconde zone, des faux Français.
L’exclusion des Français de confession musulmane ne pouvant se faire directement au nom de leur non-appartenance nationale comme elle l’a été pour Hassan Iquioussen, se fera au nom de leur dérive idéologique extrémiste supposée, qui les placera dans un statut permettant de les condamner, de les persécuter médiatiquement et administrativement, enfin, de les excommunier publiquement de la Nation française.
Islam et déchéance de nationalité
Il est impossible de croire que cette évolution politique française qui vient de loin, se tarirait d’elle-même et prendrait fin, dès lors que les causes qui l’ont rendu possible sont toujours opérantes. Cette évolution annonce probablement une prochaine étape qui sera la déchéance de nationalité, déjà proposée par François Hollande au moment des attentats de 2015.
On peut raisonnablement supposer qu’en cas de nouveaux attentats, une loi sera présentée et votée par l’alliance politique Renaissance (LREM)/Rassemblement National en ce sens, avec de nouvelles conditions d’application qui dépasseront le cas gravissime des attentats. Un acte de délinquance quelconque, un propos « séparatiste », une accusation d’antisémitisme pourrait valoir une déchéance de nationalité.
A priori, cela n’a pas l’air crédible ou fortement exagéré, mais nous l’avons dit, la situation politique actuelle ne s’inscrit pas dans une logique de rationalité politique particulièrement soucieuse du respect des institutions, du droit et même d’un quelconque souci des intérêts de la France, bien compris.
Nous sommes dans un autre cas de figure. Le duel Macron/Marine a fait place au duo. L’extrême droite, et le fait est suffisamment grave pour qu’on le souligne, gouverne pour la première fois ce pays. Et tout est possible.
Fouad Bahri