Quand l’être humain a toutes les raisons de cultiver le pessimisme au regard du théâtre du monde, comment comprendre l’optimisme fondateur de la vision portée par l’islam ? Dans une chronique en plusieurs parties, publiée en partenariat avec Mizane.info, l’institut Islam actuel nous explique en quel sens un optimisme est possible.
Selon le dictionnaire de Larousse, l’optimiste, c’est celui qui « est porté, par son caractère, à voir tout en bien, à s’estimer satisfait de ce qui arrive, à être confiant dans l’avenir ». A l’inverse, le pessimiste, c’est celui qui « a tendance par nature, à prévoir de préférence une évolution fâcheuse des événements ». Mais l’optimiste s’oppose aussi à une autre façon d’être : le fatalisme, c’est-à-dire la tendance à vivre de façon passive, en laissant d’autres forces agir pour soi. Est-ce qu’il suffit de choisir de « voir le verre à moitié plein » pour que la réalité ne soit plus aussi pleine d’injustices et d’épreuves ? Ne faut-il pas plutôt « voir le verre à moitié vide » pour éviter d’être déstabilisé face aux mauvaises surprises de la vie ? Il y a quelque chose de prétentieux et de risqué dans le fait de vouloir parler d’optimisme face à des personnes dont on ne sait pas quel malheur et quelle épreuve elles sont en train de traverser.
Aujourd’hui, n’a-t-on pas 1001 raisons d’être pessimiste ?
L’optimisme a-t-il un sens ?
En France, lorsqu’on est musulman, a-t-on de quoi être optimiste ? Quand on voit qu’à chaque élection, la compétition entre candidats se joue selon celui qui va proposer le plus d’interdits et d’humiliation à l’encontre du musulman, a-t-on de quoi être optimiste ?
Quand on naît de parents colonisés, qui ont supporté la violence coloniale qui se sont sacrifiés, on grandit avec la croyance qu’on ne peut rien faire si ce n’est « être réaliste », c’est-à-dire « rester à sa place », « être discret » et faire un travail modeste. Quel optimisme peut-on avoir quand on voit que rien ne change dans l’ordre du monde ?
Aux Etats-Unis d’Amérique, après George H. W. Bush, Barack Obama, Donald Trump et jusqu’à Joe Biden : qu’est-ce qui a changé ?
En France, après Nicolas Sarkozy, François Hollande et jusqu’à Emmanuel Macron : qu’est-ce qui a changé pour les minorités, pour les faibles et pour les dominés de ce monde ?
Un président différent, noir, femme…, ça va tout changer, nous fait-on croire. Mais quel optimisme peut-on avoir quand on voit que les changements, ça ressemble à toujours plus de la même chose ?
La mobilité professionnelle à l’étranger, la « hijrâ », le retour au pays d’origine…, ce sont les signes d’un désespoir en France et d’un optimisme tourné vers l’ailleurs. Mais quand on voit un musulman français s’installer à Dubaï avec un super salaire, avec le droit de vivre sa religion, qui mène sa vie de famille tranquillement, a-t-on de quoi être optimiste ? Ou au contraire, est-ce que cette vie moderne n’est pas la chute dans l’horreur individualiste qui se satisfait de toutes les injustices à condition d’avoir son petit confort et sa petite vie assurés ? Finalement, n’a-t-on pas raison d’être fataliste face au poids du mal qui nous domine ?
Pourquoi s’efforcer de faire le bien ? Pourquoi faire des efforts pour éviter un mal ? Pourquoi ne pas se laisser vivre ? Si une personne est pauvre, si elle subit une injustice, c’est que Dieu l’a voulu. Chercher à corriger la situation, n’est-ce pas lutter contre Dieu ? Pourquoi ne pas laisser « le destin » ou le « mektub » décider et faire à notre place ?
La critique coranique du pessimisme
Le Coran nous donne à voir des gens qui défendent ce raisonnement : pourquoi aider quelqu’un dans le besoin alors que Dieu ne l’a pas aidé ? Si Dieu l’avait voulu, cette personne n’aurait pas été pauvre. Et si elle est pauvre, c’est que Dieu l’a voulu. Si Dieu l’a voulu, alors lutter contre la pauvreté, n’est-ce pas lutter contre Dieu ? N’est-ce pas une forme d’égarement ? Telle est la mauvaise foi dont témoignent ces gens, au lieu de faire l’effort de réaliser la volonté de Dieu, c’est-à-dire de faire le bien et de lutter contre le mal :
« Or, il n’y a pas un signe qui leur parvient, parmi les signes de leur Seigneur, sans qu’ils ne s’en détournent. Et quand on leur dit : ‘’Dépensez [dans le bien] une partie de ce que Dieu vous a donné, ceux qui sont de mauvaise foi disent à ceux qui ont adhéré à la voie de Dieu : ‘’Est-ce à nous de nourrir celui que Dieu nourrirait s’Il le voulait ? Vous ne faites manifestement que vous égarer ! »
Coran 36 : 46-47
وَمَا تَأْتِيهِم مِّنْ آيَةٍ مِّنْ آيَاتِ رَبِّهِمْ إِلَّا كَانُوا عَنْهَا مُعْرِضِينَ
وَإِذَا قِيلَ لَهُمْ أَنفِقُوا مِمَّا رَزَقَكُمُ اللَّهُ قَالَ الَّذِينَ كَفَرُوا لِلَّذِينَ آمَنُوا أَنُطْعِمُ مَن لَّوْ يَشَاءُ اللَّهُ أَطْعَمَهُ إِنْ أَنتُمْ إِلَّا فِي ضَلَالٍ مُّبِينٍ
En fait, ce raisonnement, ces gens, c’est nous. Sur terre, la plupart veut voir le monde s’améliorer tout seul, sans rien sacrifier. « Dieu », « le destin » ou encore « le mektub » sont différents mots qu’on instrumentalise pour se déresponsabiliser. L’évitement de sa responsabilité d’homme et de femme est l’une des plus grandes marques de mauvaise foi ou de kufr.
D’ailleurs, le Coran nous raconte l’histoire de la vache où Dieu commande à Moïse (paix sur lui) et à son peuple de sacrifier une vache. L’ordre est clair et simple : il suffit de l’exécuter. Mais les enfants d’Israël ne font aucun effort pour l’appliquer. Ils font comme s’ils ne comprenaient pas. Au comble de leur passivité et de leur mauvaise foi, ils disent à Moïse de demander à « ton » Seigneur de leur préciser quelle vache sacrifier parmi toutes les vaches possibles.
Ils ne font aucun effort pour se guider eux-mêmes et attendent passivement que Dieu les guide à leur place :
« Ils ont dit : ‘‘Demande pour nous à ton Seigneur qu’Il nous précise laquelle. Car à nos yeux, les vaches se ressemblent toutes. Et si Dieu le veut, nous serons certainement bien guidés’’ » .
Coran 2 : 70
قَالُوا ادْعُ لَنَا رَبَّكَ يُبَيِّن لَّنَا مَا هِيَ إِنَّ الْبَقَرَ تَشَابَهَ عَلَيْنَا وَإِنَّا إِن شَاءَ اللَّهُ لَمُهْتَدُونَ
De la même façon, le Coran nous donne à voir une autre scène où les enfants d’Israël évitent l’effort et le sacrifice qu’impose le combat pour entrer dans la terre sainte :
« Ils ont dit : ‘’Ô Moïse ! Jamais nous n’y entrerons tant qu’ils seront là. Toi et ton Seigneur, partez donc combattre tous les deux ! Nous, nous restons tranquillement ici’’ »
Coran 5 : 24
قَالُوا يَا مُوسَىٰ إِنَّا لَن نَّدْخُلَهَا أَبَدًا مَّا دَامُوا فِيهَا ۖ فَاذْهَبْ أَنتَ وَرَبُّكَ فَقَاتِلَا إِنَّا هَاهُنَا قَاعِدُونَ
L’optimisme et la vocation de l’Homme califale
Ainsi, être pessimiste ou fataliste, c’est accepter et peut-être désirer que le changement ne vienne pas de soi mais de l’effort des autres. C’est cacher une forme de mauvaise foi. C’est vivre comme si on ne peut pas comprendre la volonté de Dieu, comme si on ne peut pas la réaliser pour se changer et pour changer le monde, pour le rendre meilleur. C’est compter sur Dieu ou sur d’autres forces, pour agir à notre place.
Être pessimiste ou fataliste, c’est vivre comme si on était le simple jouet de forces qui nous dépassent et nous imposent le bien et le mal. Ces forces, ce sont « les autres », « les puissants », Dieu, « le destin », « le mektub » et autres noms qu’on peut leur donner. Être pessimiste ou fataliste, c’est vivre comme si les valeurs, comme si la sagesse n’avait pas le pouvoir de réorienter l’ordre du monde pour le rendre meilleur. C’est vivre comme si l’Invitation de Dieu de comprendre le monde, de comprendre sa volonté à travers la Révélation, et de transformer le monde, étaient en fait impossibles. C’est vivre comme si Dieu pouvait demander quelque chose d’impossible à l’être humain. C’est vivre selon une vision fausse du monde, de Dieu et de soi-même…
En fait, le pessimisme, le fatalisme ou l’optimisme dépendent de la vision du monde qui nous anime en nous offrant des réponses aux grandes questions de la vie : Dieu existe-t-il ? Qui je suis ? Quel est le sens de ma vie ? Quel est le sens de l’épreuve individuelle ou collective qu’on traverse ? Qu’est-ce que je peux connaître ? Qu’est-ce que je peux espérer dans la vie présente et future ? Qu’est-ce que je peux faire pour rendre mon monde meilleur ? Est-ce que je suis capable de contribuer à dépasser le mal qui m’atteint ou qui atteint mon époque ?
Le pessimisme, le fatalisme ou l’optimisme ne sont pas qu’une disposition individuelle : ce sont aussi des qualités collectives. Face au même malheur, on ne réagit pas de la même manière, selon la vision de la vie qui nous anime collectivement. Au lendemain d’une guerre, d’une défaite, d’une désillusion, d’une déception, d’une trahison, d’un échec, d’un accident…, bref au lendemain d’une épreuve, on peut se relever, relever ses manches et reprendre son travail d’homme, ou au contraire, on peut se laisser mourir. Le pessimisme et le fatalisme sont le signe d’une personne ou d’une génération mourante. Alors quelle vision du monde l’islam nous offre-t-il pour échapper à une vie de mourant ?
L’homme a besoin d’une vision juste du monde pour dépasser le fatalisme et le pessimisme, pour trouver sa place en tant que Khalîfah (calife, lieutenant de Dieu sur terre, ndlr).
La vision du monde – que le Coran nous révèle –, est synthétisée dans le récit de la création d’Adam dans le Coran.
L’optimisme, une question de responsabilité
Au commencement, Dieu annonce aux anges son projet de créer Adam pour en faire un Khalîfah sur terre, c’est-à-dire un vice-gérant, un être capable de choisir, d’agir et de vivre selon la volonté de Dieu ou selon toute autre norme source d’injustice : individualiste, ethnique, communautariste, nationaliste… Il annonce qu’Il va créer un être libre et responsable, donc capable à la fois de faire le bien et le mal.
Les anges réagissent à cette annonce de façon pessimiste : pourquoi donc créer ce nouvel être – Adam – qui risque de faire le mal sur Terre, de répandre le sang et l’injustice ? Pourquoi créer un être imparfait et dangereux alors que les anges, eux, exécutent parfaitement la volonté de Dieu sans causer aucun mal autour d’eux ?
Pour chaque être humain, vivre, c’est prendre un grand risque : choisir et persévérer dans la voie de l’injustice et donc mériter la sanction de Dieu le Jour du Jugement, ou bien choisir celle de la justice et donc mériter le Paradis. A partir de l’âge de raison jusqu’à sa mort, chacun d’entre nous court le risque de pencher d’un côté ou de l’autre.
Pourquoi donc Dieu a créé l’être humain alors qu’Il connaît parfaitement le risque que ce dernier utilise mal sa liberté et ses pouvoirs, au point de répandre le mal sur terre ? Dieu, le Créateur de tous, sait parfaitement pourquoi Il a raison de faire confiance à l’être humain, en lui offrant le pouvoir de vivre en étant libre et responsable de faire le bien et le mal :
« Lorsque ton Seigneur a annoncé aux Anges : ‘‘Je vais mettre sur la terre un Khalîfah (successeur, vice-gérant).’’ Ils ont dit : ‘‘Vas-Tu y mettre un être qui y répandra la corruption et le sang, alors que nous Te glorifions et célébrons Tes Louanges ?’’ Il leur a répondu : ‘‘En vérité, Je sais ce que vous ne savez pas !’’».
Coran 2 : 30
وَإِذْ قَالَ رَبُّكَ لِلْمَلَائِكَةِ إِنِّي جَاعِلٌ فِي الْأَرْضِ خَلِيفَةً ۖ قَالُوا أَتَجْعَلُ فِيهَا مَن يُفْسِدُ فِيهَا وَيَسْفِكُ الدِّمَاءَ وَنَحْنُ نُسَبِّحُ بِحَمْدِكَ وَنُقَدِّسُ لَكَ ۖ قَالَ إِنِّي أَعْلَمُ مَا لَا تَعْلَمُونَ
Alors qu’en apparence, les anges ont une bonne raison d’être pessimiste, Dieu révèle qu’Il a raison de faire confiance à l’homme. Car en effet, l’Homme a la capacité de faire le bien comme le mal parce que Dieu lui confie le dépôt de la liberté et de la responsabilité. Mais en réalisant la volonté de Dieu sur terre plutôt qu’en agissant de façon injuste, l’Homme élève sa valeur et sa grandeur au-dessus de toute la création.
Ainsi, en entrant dans le théâtre de la vie, l’Homme commence sa carrière sous le regard positif et confiant de son Créateur.
Si Dieu l’avait voulu… Mais Il a voulu faire de l’homme un Khalîfah.
A la lumière de la Révélation, on comprend que l’optimisme est le fruit d’une vision objective de la réalité de Dieu, d’une vision réaliste et sage de la vie, vision qui inspire la confiance dans sa capacité à connaître le monde, à se changer et à changer le monde, pour le rendre meilleur, conformément à la volonté de Dieu.
Dieu nous commande non pas d’être les spectateurs de l’injustice sur terre mais de trouver toutes les solutions justes pour la stopper et protéger les plus vulnérables. Ainsi, lutter contre la famine, contre la pauvreté, contre l’ignorance, contre la maladie, contre les accidents, contre la violence de l’agresseur ou contre l’intolérance…, ce n’est pas lutter contre Dieu mais pour Dieu.
Si Dieu l’avait voulu, Il aurait changé le monde aussi facilement qu’Il l’a créé. S’Il l’avait voulu, Il aurait mis chacun sur la bonne voie ; Il aurait unifié la famille humaine pour lui éviter tout conflit ; Il aurait nourri chaque être humain sans avoir besoin de travailler ; Il aurait sanctionné systématiquement chaque injustice pour la dissuader de se reproduire, etc.
Mais Dieu en a voulu autrement. Il a créé l’Homme et en a fait un Khalîfah, un vice-gérant à qui Il a confié le dépôt de la vie sur Terre, de la liberté. Désormais, rendre le monde meilleur ou le laisser pourrir à cause de l’injustice, c’est de la responsabilité de la famille humaine.
La vie sur terre est pour l’homme un lieu de plaisir mais aussi d’épreuve, de la mise à l’épreuve de sa fidélité au pacte originel passé avec Dieu :
« Béni soit Celui qui tient en Sa main le royaume et qui a le pouvoir sur toute chose ! Celui qui a créé la mort et la vie pour vous éprouver [et voir] qui de vous agit le mieux. C’est Lui le Puissant, plein de pardon ».
Coran 67 : 1-2
تَبَارَكَ الَّذِي بِيَدِهِ الْمُلْكُ وَهُوَ عَلَىٰ كُلِّ شَيْءٍ قَدِيرٌ
الَّذِي خَلَقَ الْمَوْتَ وَالْحَيَاةَ لِيَبْلُوَكُمْ أَيُّكُمْ أَحْسَنُ عَمَلًا ۚ وَهُوَ الْعَزِيزُ الْغَفُورُ