Le ministre de l’Intérieur et des cultes, Gérald Darmanin, à l’Assemblée nationale.
Alors que la pleine application de la loi dite contre le séparatisme entre en vigueur en 2023, pour Vanessa. C un changement de cap politique devient nécessaire sur l’islam. « Après les propos choquants et dangereux de Michel Houellebecq sur les musulmans de France, écrit-elle sur Mizane.info, le gouvernement doit dépasser la crispation autour du séparatisme pour montrer que ces messages de haine et de division de la société ne peuvent être. » Quelles sont les nouvelles dispositions que devront respecter les mosquées ? La réponse à lire dans cette chronique.
Une année difficile s’achève dans notre pays avec les conséquences de la guerre en Russie, faisant suite aux conséquences du covid, alors que les perspectives pour les musulmans de France se détériorent : fermetures sans cesse croissante de structures (mosquées, écoles musulmanes, associations, commerces), expulsions en hausse, et un climat médiatique ne contribuant pas au vivre-ensemble.
Pourtant la volonté politique d’ancrer le culte musulman dans la durée, de permettre « un Islam avec la France qui les soutient, et même d’un Islam de France qui les fait grandir en son sein »1 a été affirmée par le Président de la République Emmanuel Macron lors des Commémorations du centenaire de la Grande Mosquée de Paris, le 21 octobre 2022 dernier.
Dans le cadre de la loi contre le séparatisme, quelles nouvelles mesures entreront en vigueur pour les mosquées, et lieux de culte plus généralement, en 2023 ? Quelles mesures de la police des cultes concernent les fidèles fréquentant les lieux de culte, dont ils sont si peu informés ? Enfin, quel changement dans la politique doit avoir lieu pour que la possibilité apaisée d’être Français et musulman puisse largement se concrétiser ?
1. Nouvelles exigences envers les lieux de culte, qu’ils soient sous la forme d’association loi 1905 ou loi 1907
La loi CRPR2 dite « contre le séparatisme », promulguée le 24 août 2021 dernier, a sensiblement changé la loi 1905 et impose de nouvelles exigences aux lieux de culte, dont certaines dispositions qui entreront en vigueur le 1er janvier 2023.
L’ensemble des dirigeants des lieux de culte ont normalement déjà été informé depuis de long mois, par les réunions départementales des assises territoriales de l’islam, et par les relais des responsables du culte entre eux.
Pour aider les responsables de mosquées à prendre connaissance de façon simplifiée des nouvelles dispositions, un « guide pratique relatif à l’application de la loi CRPR à destination des associations exerçant le culte musulman » a été rédigé par le Groupe de Travail dédié au droit et à la gestion des associations du culte musulman du FORIF.
Une nouvelle édition du guide est en préparation. Ce même groupe a lancé au mois de décembre 2022 un questionnaire en ligne afin de réaliser une étude concernant les mosquées et le problème grandissant des fermetures péremptoires de leur compte par certaines banques.
Rappelons que le FORIF est cette nouvelle instance de dialogue et de contribution voulue par le gouvernement pour remplacer le CFCM et avancer sur des sujets relatifs au culte musulman entre le ministère de l’intérieur, et notamment le bureau des cultes, et des responsables du culte musulman, ainsi que certains juristes, auteurs, chercheurs …
Les nouvelles exigences sont d’ordre administratives et financières : obligation de présenter chaque année le budget de l’année et prévisionnel à la demande du préfet, obligation de demander une autorisation via une téléprocédure pour recevoir un don de l’étranger de plus de 15 300 €, mettre en conformité les statuts lorsque des activités cultuelles sont organisées, déclarer en préfecture tous les lieux où le culte s’exerce, notamment.
Ainsi le gouvernement entend inciter fortement les lieux de culte à opter pour le régime juridique des associations cultuelles loi 1905, alors que la plupart d’entre eux fonctionnent selon le régime d’association mixte (à la fois culturelle et cultuelle) relevant de la loi 1907.
Pour cela, la loi CRPR offre de nouveaux avantages aux associations cultuelles loi 1905 et non à celles loi 1907, comme des possibilités plus larges de financements (dont des formes de subvention) et d’aide à la construction d’édifice religieux : formes de subventions publiques pour réparation ou travaux d’accessibilité, acquisition et administration des immeubles acquis à titre gratuit avec un plafonnement, garanti d’emprunt par une commune ou un département pour financer la construction d’édifices.
Et ce en plus d’avantages qui était possibles jusqu’alors dans la loi pour les associations cultuelles : libéralités, exonération des droits de mutation à titre gratuit, exonération de taxe foncière pour le lieu de culte, possibilité de bénéficier d’un bail emphytéotique administratif à objet cultuel.
Les associations loi 1907, constituant la très grande majorité du statut juridique des lieux de culte (toutes confessions confondues) auraient les contraintes sans ces avantages, financiers notamment.
Or l’argument des nouvelles possibilités de financement et certaines facilités administratives, que ce soit pour la construction de mosquée ou leur pérennisation, pèse déjà auprès d’un certain nombre de responsables de mosquées en faveur du choix de l’association loi 1905 : ils devront ainsi gérer deux associations distinctes, une cultuelle et une autre culturelle loi 1901 (pour toutes les activités annexes culturelles qu’entretiennent de nombreuses mosquées).
Là d’ailleurs réside un résultat auquel est censé aboutir la loi CRPR : assurer une séparation administrative entre les activités cultuelles et culturelles et assurer avec les contraintes de transparence financière ainsi un plus grand contrôle des lieux de culte.
Les présidents de mosquée doivent désormais veiller strictement au respect de cette réglementation, en plus des autres réglementations concernant tout type de structure accueillant du public, et notamment celle relavant de la sécurité.
Étant donné qu’un certain nombre de mosquées ont été fermées par les autorités (nous y reviendrons), mais aussi des écoles confessionnelles musulmanes, pour des manquements relatifs à la sécurité et autres points de réglementation, il est fortement à craindre de nouvelles fermetures en cas de défaillance sur ces nouvelles obligations.
Les obligations qui entreront en vigueur le 1er janvier 20233, que ce soit pour les associations loi 1905 ou 1907:
-Présenter ses comptes annuels et le budget prévisionnel de l’exercice en cours à la demande du préfet de département. Les comptes doivent être normés.
– Mise en conformité des statuts (dans un cas des associations loi 1907 l’exigence est au 1er janvier, et les dates diffèrent dans les autres cas.)
-Communication de la liste des lieux de culte à la préfecture.
-Tenir un état séparé des financements étrangers.
Ainsi tout financement en monnaie de l’étranger de plus de 15300€ doit être déclarer par une téléprocédure4.
Les associations loi 1907 spécifiquement devront aussi disposer d’un compte bancaire séparé et d’une comptabilité séparée pour les activités cultuelles, devront faire certifier leur compte à partir d’un certain barème.
Pour les associations cultuelles bénéficiant d’une décision de reconnaissance de la qualité cultuelle dont la validité s’étend au-delà du 30 juin 2023, ces obligations devront être remplies Avant la fin de validité de la décision de reconnaissance mutuelle.
La loi prévoit aussi que les associations loi 1905 dressent un inventaire de leurs biens meubles et immeubles chaque année, qu’elles établissent un traité d’apport lorsqu’elles reçoivent un apport en nature en pleine propriété, en jouissance, en usufruit ou en nue-propriété, de déclarer préalablement à l’autorité administrative l’aliénation d’un lieu servant à l’exercice du culte à un Etat étranger, à une personne morale étrangère ou à une personne physique non résidente en France.
Des contrôles de l’inspection générale des finances seront possibles pour les associations loi 1905 et relevant du droit d’Alsace – Moselle. Toutes les informations nécessaires et les détails supplémentaires figurent dans le guide du FORIF.
2. Les fidèles des lieux de culte
Des dispositions de la loi concernent les fidèles des lieux de culte, et n’ayant pas vu jusqu’ici ces informations portées à la connaissance du public il nous semble important de le faire.
Nous pouvons résumer ces dispositions en : pas de réunion ni d’élection politique, ni propagande électorale dans les lieux de culte, une transparence financière de l’utilisation des dons sous condition auprès du public, peine renforcée en cas d’entrave à la liberté de culte, le lieux de culte peut être temporairement fermé en cas d’appel à la haine ou la violence, et une peine de prison de six mois et 7 500€ d’amende peut être prononcée en cas de violation de ladite fermeture, de plus la peine est renforcée pour l’auteur en cas de passage à l’acte de violence, interdiction qu’une personne condamné pour acte de terrorisme dirige un lieu de culte pour dix ans, et enfin une interdiction de paraître dans un lieu de culte peut être prononcée par un juge pour les personnes condamnées pour les délits relatifs à la police des cultes.
Également, la peine est renforcée pour les ministres du culte qui encourageraient à résister aux lois ou à la sédition ou qui procèdent au mariage religieux avant le mariage civil (avec une expulsion du territoire français pour les étrangers).
Il nous semble important de détailler deux points.
D’abord « la peine prévue en cas d’atteinte à la liberté d’exercer un culte ou de s’abstenir d’en exercer est renforcée. Ainsi ceux qui, soit par menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, agissent en vue de le déterminer à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte encourent une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000€ d’amende. Ces peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000€ d’amende lorsque l’auteur des faits agit par voie de fait ou violence »5.
Ensuite la transparence financière : les fidèles pourront demander comment les dons sont utilisés selon les conditions suivantes:
Il est obligatoire pour l’association’ loi 1907 d’« établir un compte d’emploi des ressources (CER), tenu à la disposition du public, si elle fait appel à la générosité du public pour l’exercice du culte et que le montant récolté par ce moyen dépasse 50 000€ sur une année »6
Un modèle type est présent sur le site service public, avec les informations juridiques afférentes7.
3. La nécessité d’un changement de cap politique du gouvernement pour dépasser la crispation autour du séparatisme
Après les propos choquants et dangereux de Michel Houellebecq sur les musulmans de France, qui ont engendré un dépôt de plainte de la mosquée de Paris et de l’UMF, le gouvernement doit dépasser la crispation autour du séparatisme pour montrer que ces messages de haine et de division de la société ne peuvent être. De nombreux musulmans se plaignent à juste titre du traitement stigmatisant et discriminant de certains médias et de certains responsables politiques et administratifs.
La politique partenariale voulu par le gouvernement envers la majorité des mosquées et d’autres acteurs du culte doit être étendue à l’ensemble des musulmans français ou résidant sur le territoire national. La loi est suffisante pour les personnes se rendant coupable de peines et délits, pour lutter contre ceux de chaque bord qui ne font qu’appeler à la haine envers l’autre, et la pression des fermetures doit cesser.
La politique internationale envers les pays musulmans, comme envers tout pays, doit aussi tendre vers la paix et l’absence d’agression et d’ingérence. Sans quoi la libération de la haine anti-musulmane et à contre-coup du ressentiment anti-français primaire ne pourra que s’amplifier, chez ceux qui ne savent pas faire la part des choses.
La politique de fermeture et dissolution abrupte, ainsi que d’expulsion immédiate doit être remplacée par une médiation, une procédure contradictoire organisée par la justice, et un délai pour se mettre à jour avec les obligations réglementaires avant d’envisager la fermeture d’un lieu. En ce qui concerne les contrôles et la gestion associative, il ne doit pas y avoir de différence de traitement entre le culte musulman et les autres cultes, ni d’ailleurs entre le culte et les autres composantes de la société.
Le climat médiatique est de plus extrêmement pesant et il est nécessaire d’activer tous les leviers possibles pour réduire l’impact des faiseurs de haine et de stigmatisation.
La très grande majorité des musulmans de France n’aspirent qu’à vivre sereinement, à réussir leurs études, à réussir professionnellement, à réussir un mariage et une vie de famille.
Il est temps de prendre acte de ce fait, et que les problématiques autour de l’extrémisme, social, politique ou violent, soit traitées correctement sans empoisonner la totalité des musulmans et de leurs organismes.
Nous avons un même objectif : l’ancrage des musulmans dans la société avec une présence de l’islam qui soit normalisée et pacifiée en France, dans le respect mutuel de chacun, avec les autorités publiques comme avec l’ensemble de la population. Mais le chemin emprunté actuellement n’est pas le bon et ne peut y mener.
Comme l’a affirmé le 25 décembre dernier Pierre Manent dans l’émission Le Grand Rendez-vous sur Cnews, sur l’Islam en France : « La question n’est pas un projet de séparation, mais de trouver les modalités d’une association. »
Pour que cette nation affirme aux yeux du monde qu’on peut être Français et musulman, il convient de donner aux citoyens de confession musulmane toute leur place dans la société, de respecter leur liberté de conscience et de valeur, de respecter le principe de séparation des églises et de l’État et la liberté religieuse tout comme l’absence d’ingérence qui en découle, pourvu qu’il n’y ait pas de trouble à l’ordre public.
Quant aux musulmans, ils disposent dans le Coran du modèle du Prophète Yusuf, paix sur lui, qui vécu en confiance dans l’administration du roi d’Egypte malgré la différence de religion, et sauva tout le pays (non monothéiste) de la famine par sa bonne gestion des récoltes agricoles, après qu’il eut proposé au roi :
{ Et [Joseph] dit : « Assigne-moi les dépôts du territoire : je suis bon gardien et connaisseurs ». } (sourate Yusuf v. 55).
Et dans la Sunnah (tradition) du Prophète Muhammad, prière et salutation d’Allâh sur lui, ils disposent du modèle des compagnons émigrés en Abyssinie auprès du roi chrétien équitable, le Négus, fuyant la persécution des polythéistes mecquois ; ces compagnons émigrés sont toujours restés en bonne harmonie avec la population d’Abyssinie, alors que dans le même temps les conflits éclataient avec les polythéistes mecquois une fois que les autres compagnons avaient émigré à Médine.
Vanessa.C
Notes :
1 https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/10/21/commemorations-du-centenaire-de-la-grande-mosquee-de-paris
2L’intitulé complet de la loi CRPR est : la loi Confortant le Respect des Principes de la République.
3Ces obligations étaient déjà applicables immédiatement pour les associations loi 1905 ou 1907 déclarée à partir du 27 décembre 2021 ou du 26 août 2021 selon les cas. Plus de détails figurent dans le guide du FORIF.
4Les libéralités en nature provenant de l’étranger ne sont apparemment pas assujetties à l’obligation de déclaration.
5Guide du Forif p. 27, reprenant les termes de la loi.
6Idem p. 11.
1https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/10/21/commemorations-du-centenaire-de-la-grande-mosquee-de-paris
2L’intitulé complet de la loi CRPR est : la loi Confortant le Respect des Principes de la République.
3Ces obligations étaient déjà applicables immédiatement pour les associations loi 1905 ou 1907 déclarée à partir du 27 décembre 2021 ou du 26 août 2021 selon les cas. Plus de détails figurent dans le guide du FORIF.
4Les libéralités en nature provenant de l’étranger ne sont apparemment pas assujetties à l’obligation de déclaration.
5Guide du Forif p. 27, reprenant les termes de la loi.
6Idem p. 11.