Les membres de l’Institut des Hautes Études Islamiques (IHEI) en France présentent, sur Mizane.info, leurs condoléances « à tous les frères et sœurs de l’Église catholique pour la disparition du pape émérite Benoît XVI ».
Paix au pape émérite Benoît !
Nous nous rappelons en particulier sa stature théologique qui, au cours de son pontificat, donna l’occasion d’un débat intellectuel entre les chrétiens et le monde musulman : « Je suis conscient que musulmans et chrétiens ont des approches différentes à propos de Dieu. Toutefois, nous pouvons et nous devons être des adorateurs du Dieu unique qui nous a créés, et qui a soin de toute personne dans tous les coins de la terre », avait affirmé le pape Benoît XVI lors de son audience avec les participants au Forum catholique-musulman en 2009, dont j’ai eu l’honneur de faire partie.
Aujourd’hui, j’ose imaginer qu’il ait pu atteindre le but céleste d’une rencontre avec Dieu et la sainteté de Jésus, comme la sublimation du parcours d’un homme, d’un croyant et d’un pape, en ce bas-monde où certains espaces ou centres préfigurent et symbolisent au plus haut point des lieux de synthèse, d’accord et de rencontre spirituelle.
En 2008, le pape Ratzinger avait reçu au Vatican une délégation du premier Forum catholique-musulman. Trois années plus tard, le pape allait être invité au royaume de Jordanie pour la deuxième édition de ce même Forum. Je me souviens de ce moment, en 2011, où le pape Benoît visita le site du baptême de Jésus sur les rives du Jourdain, en tant qu’hôte du roi hachémite Abdallah II et du prince Ghazi bin Muhammad bin Talal, gardien de ce lieu sacré à la fois pour les juifs, les chrétiens et les musulmans.
Le Coran consacre quelques versets à Jean le Baptiste, nommé le prophète Yahya, et la tradition islamique croit à la rencontre de Jean le Baptiste avec Jésus, appelé ‘Isa ibn Maryam, fils de la vierge Marie. Certains théologiens et mystiques musulmans se sont d’ailleurs inspirés du symbole de l’immersion dans les eaux en méditant sur les correspondances universelles de cette rencontre et de ce rite chrétien.
Le pape Benoît XVI a voulu visiter ce lieu particulier qui marque un passage, tout à la fois le début d’une immersion et celui d’une émersion, d’une condition et d’un cycle à un autre, mais aussi un moment de renouveau spirituel qui profite à tous les cœurs de l’humanité, bien que ce soit sous des formes diverses. Référent pour l’islam italien auprès du prince Ghazi, j’ai eu l’honneur de suivre certaines étapes de la préparation à cette visite sur les rives du Jourdain, dans le cadre d’une noble initiative portée par 138 sages musulmans du monde entier, et intitulée « Une parole commune, A Common Word », centrée en particulier sur le commandement, commun aux chrétiens et aux musulmans, d’aimer Dieu et d’aimer le prochain.
Ces deux rencontres, en 2008 et en 2011, suivies du troisième Forum catholique-musulman, de nouveau au Vatican en 2014, ont conduit certains théologiens chrétiens et musulmans à approfondir ce thème de l’amour à travers les responsabilités religieuses, réciproques et respectives, en réponse aux séductions de la sécularisation et aux instrumentalisations idéologiques qui touchent la société contemporaine.
Analyser la crise du monde moderne, méditer les écritures saintes et les sources de la doctrine islamique, produire une réflexion théologique, philosophique et intellectuelle permettant d’inspirer une mentalité traditionnelle, préserver le sacré et juguler le pouvoir d’illusion du matérialisme et de l’individualisme qui s’infiltrent dans les communautés des croyants en Occident comme en Orient : ce sont là quelques-uns des travaux partagés, durant plus d’une décennie, entre chrétiens et musulmans.
Le pape Benoît XVI a honoré ces trois étapes, mais aujourd’hui nous aimons retourner avec lui sur les rives du Jourdain pour rappeler comment il s’est immergé à la source de l’identité chrétienne. A côté de cette immersion du théologien chrétien, nous voulons reconnaître l’émersion providentielle du pape François, appelé par la compagnie de Jésus à représenter pleinement la succession de saint Pierre et l’héritage de saint Jean-Paul II. La force de sa foi dans le dialogue avec l’univers complexe des communautés musulmanes en faveur d’une fraternité active a contribué à développer certaines prémisses théologiques qui avait été bénies par Ratzinger.
Certains spéculateurs s’obstinent à vouloir nier le profond respect qui lie entre eux les deux souverains pontifes dans l’unité de la fonction propre à l’Église catholique. En créant une polarisation artificielle, ils en arrivent à opposer les deux personnalités, comme si le caractère théologique et le caractère œcuménique devaient être choisis ou incarnés de façon exclusive, et associés à l’un contre l’autre. On risque en cela de perdre de vue la perspective d’union christique, pourtant si cruciale en ces temps eschatologiques.
Il me semble en effet que le pape Benoît, et maintenant le pape François, essaient d’interpréter la logique de Dieu et l’unité des croyants du monothéisme, non à travers des spéculations théoriques ou formalistes, mais en proposant des instruments qui soient utiles pour la quête spirituelle, la charité et la rencontre dans la vérité.
Aux yeux du musulman que je suis, une telle perspective a une grande valeur, car elle ne peut que favoriser une expression qualifiée de la fraternité spirituelle entre musulmans et chrétiens, lesquels ont ensemble le devoir de sauvegarder et de transmettre les germes d’une alliance vertueuse dans la préparation du retour de Jésus pour le nouveau cycle qui doit se réaliser. Cette Alliance dans l’amour pour la révélation, dans la prière pour le soutien de la foi dans le monde des responsabilités, et dans l’exercice du discernement intellectuel face aux confusions et aux manipulations des signes de la création, est un enseignement que tout croyant peut cultiver et réaliser grâce aux maîtres et aux saints.
Paix au pape émérite Benoît !
Yahya Pallavicini, président de l’Institut des Hautes Études Islamiques
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