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jeudi 21 novembre 2024

Hamdi Ben Aïssa : « Pas de paix, pas de justice ! »

Dans la sphère du militantisme, le slogan « Pas de justice, pas de paix » est en vigueur dans toutes les mobilisations sociales. Enseignant, fondateur du mouvement Floraison et de l’institut Ha-Mim, Hamdi Ben Aïssa prend le contre-pied de ce slogan et le renverse pour en extraire une signification spirituelle et une règle de vie : pas de paix, pas de justice. Un texte à lire sur Mizane.info. 

La volonté de s’opposer à l’oppression, l’indignation face à l’injustice et la répulsion face au mal — tous des sentiments appelés «ghadab» dans le vocabulaire prophétique et souvent mal traduits en «colère» — sont des pouvoirs venant de Dieu. Ils sont un feu.

Si ce feu vient à vous et que vous n’en faites pas bon usage, il vous brûlera. Afin de l’utiliser convenablement, il faut d’abord le contrôler et le diriger à la place qui lui revient. Il faut le prendre, protéger sa flamme et le placer dans sa niche avec précaution. C’est là qu’il deviendra alors une lumière, répandant sa lueur et dissipant les ténèbres. Cette flamme en vous, ce pouvoir donné par Dieu, sera alors une lampe à l’intérieur d’une lanterne : une source d’énergie et d’illumination pour vous et les autres.

Mais si vous ne contrôlez pas ce pouvoir, il se transformera en colère. Sa flamme bondira sur vous et les autres, brûlant tout ce qu’elle atteindra. N’étant pas à la bonne place, elle endommagera la lanterne empêchant ainsi toute possibilité de lumière et de guidance. Alors qu’elle devient hors de contrôle, elle vous brûlera pour vous laisser en cendres froides et fades. Avec le moindre petit coup de vent, vous serez éparpillés au loin. Vous perdrez votre intégrité, et ce dans les deux sens du terme.

«Les meilleurs d’entre vous sont ceux qui sont lents à se fâcher et rapides à se détendre… Prenez garde de la colère car c’est un charbon brûlant sur le cœur des descendants d’Adam

— Muhammad صلى الله عليه وسلم ,Apôtre de Dieu.

Les musulmans sont devenus, malheureusement, des gens concentrés sur l’idée de la justice par-dessus tout. Nos actions et nos soucis sont devenus dirigés par cette mentalité: pas de justice, pas de paix. Nous sommes maintenant réputés dans le monde entier comme étant des gens qui combattent pour leurs droits, qui demandent justice de tous ceux qui nous oppriment et qui défient notre façon de vivre.

Est-ce ainsi que nous devrions être connus par ce monde tourmenté et aux abois ? Est-ce là tout ce que les musulmans ont à offrir à l’humanité ? Et en plus, pas la justice pour tous, non, seulement pour ceux qui sont des nôtres ?

Nous sommes arrivés à valoriser la justice «‘adl» par-dessus tout car nous nourrissons ce souci en nous-mêmes et chez nos enfants plus que nous ne nourrissons le souci de l’intégrité morale et du raffinement spirituel «ihsan» dans notre comportement et dans nos relations.

Nous nourrissons ce souci pour la justice plus que nous ne nourrissons le souci pour la gentillesse, la magnanimité et l’empathie «rahma» envers les autres. Un sondage international évaluant les niveaux d’empathie — qui est un autre mot pour la rahma — chez les enfants de diverses religions à mener à découvrir que les enfants musulmans sont ceux qui ont le moins d’empathie, mais qui ont le plus haut sens de justice, c’est-à-dire qu’ils sont enclins à déclarer les actions d’un autre enfant ou adulte comme étant ‘injustes’, et à trouver que les actions d’un autre enfant ou adulte sont une violation de leurs propres droits.

J’ai visité une école primaire Islamique il n’y a pas si longtemps. J’ai demandé aux enfants ce qu’ils voulaient faire dans la vie. Seulement une minorité parmi eux avait réellement une mission. Parmi eux, il y en avait encore moins qui avaient une mission qui avait un quelconque rapport avec l’Islam, et la mission que ceux-ci se voyaient accomplir tournait autour de la défense de l’Islam et de son image! C’est ce que nous avons laissé à nos enfants: l’impression que l’Islam est constamment attaqué et qu’il a besoin d’être défendu !

Dès le départ, nous leur apprenons que nous vivons dans un monde hostile aux musulmans. Cette attitude engendre chez eux un comportement défensif. Nous avons failli à la vérité, cette vérité que l’Islam n’a pas besoin que nous le défendions contre les autres ni que nous en convainquions tout le monde. L’Islam est plutôt une réalité que nous devons vivre. Nous devons le vivre pour que ses fruits bourgeonnent de notre attitude, afin que les autres puissent goûter aux fruits de la vérité, de la beauté, de la fiabilité, de l’intégrité, de l’équité, de la gentillesse, de l’empathie et de la justice.

La nature de notre déresponsabilisation

Le véritable opprimé est celui qui se laisse croire qu’il est opprimé. C’est celui qui se laisse croire que d’autres humains ont le mot final quant à son destin, qu’ils ont un pouvoir sur lui et qu’ils sont capables de lui octroyer la justice qu’il cherche ou de la retenir. Une telle personne va continuer à réagir à l’action d’injustice comme une balle de ping-pong lancée contre le mur, n’ayant d’option que de rebondir éternellement, devenant plus fragile à chaque fois, jusqu’à ce qu’elle soit crevée.

La réaction est simplement la continuation de l’action. Celui qui réagit n’est donc jamais libre car ses actions ne sont en vérité que la perpétuation de l’action originale de son oppresseur. Ce qui a libéré les musulmans de la Mecque, même quand ils vivaient une oppression et une persécution sévères, c’est qu’ils ne croyaient pas que leurs oppresseurs humains avaient de pouvoir. Ce qui a fait de Bilal un homme libre alors qu’il était un “esclave”, c’est qu’il ne reconnaissait que l’Unique «Ahadun Ahad» comme ayant un pouvoir, un contrôle ou un rôle à jouer dans sa vie.

Notre obsession avec le mal que les autres commettent contre nous en tant que communauté ne nous mènera nulle part et absorbe toute notre énergie. Juste aujourd’hui, une sœur a écrit que regarder toutes les choses horribles qui se passent dans le monde la met hors d’action. C’est exactement cela. Nous nous laissons être mis hors d’action lorsque nous devenons obnubilés par ces choses-là – elles finissent par nous contrôler.

Nous n’avons ensuite plus de temps ou d’attention pour chercher Dieu et pour nous évaluer honnêtement : où en sommes-nous en termes d’intégrité morale et dans notre raffinement spirituel «ihsan» ? Sommes-nous plus raffinés ou moins raffinés spirituellement aujourd’hui qu’hier ? Lorsque nous devenons obnubilés par ce qui se passe dans le monde, nous n’avons plus la capacité de mener une bataille plus importante: celle de demander à notre Seigneur de nous guider vers l’intégrité morale et le raffinement spirituel «ihsan» et de vivre notre vie en quête des opportunités qu’Il nous envoie. Voilà le vrai et inévitable terrain de bataille, même pour ceux qui sont dans le champ de bataille !

Mettre ses priorités à la bonne place

Celui qui se tourne vers la bataille de son cœur avant la bataille pour la justice aura quatre principes, qui produiront en lui quatre qualités.

Les quatre principes sont :

1. La cultivation de la compassion et de l’empathie «raḥma» avant la cultivation de la colère «ghaḍab», de telle façon que la première contrôle la dernière et en établit les limites.

2. La cultivation de l’amour en Dieu «al-ḥubb fi Allah» avant la cultivation de l’aversion en Dieu «al-bughḍ fi Allah», de telle façon que la première contrôle la dernière et en détermine les limites.

3. La cultivation de la perméabilité à la beauté et à la bonté et ceux qui les maintiennent «adhillatan ‘alal Mou’minin» avant la cultivation de l’imperméabilité aux méfaits et à l’injustice «a’izzatan ‘alal kaafirin», de telle façon que la première contrôle la dernière et en détermine les limites.

4. La cultivation de la loyauté envers ce qui satisfait notre Seigneur «al-walāʿ» avant la cultivation du reniement de ce qui ne Le satisfait pas «al-barāʿ», de telle façon que la première contrôle la dernière et en établit les limites.

Si le croyant s’en tient à ces quatre principes, quatre qualités naîtront en lui, et elles sont les missiles du cœur et le carburant d’une véritable Renaissance islamique :

1. Il pardonne à celui qui l’opprime.

2. Il est généreux et charitable avec celui qui le prive.

3. Il tend continuellement la main à celui qui tente de couper ses liens avec lui.

4. Il fait preuve d’intégrité morale et de magnanimité envers celui qui le maltraite.

Avec ces qualités, une personne peut marcher sur Terre en tant que guide vers la lumière «dāʿī» et non comme un juge arrogant «qāḍī». Elle met de côté ses propres attentes quant au développement spirituel des autres, selon ses propres souhaits, pour se soumettre à la sagesse de Dieu et Sa volonté quant à la direction de Sa création. À la suite de cette soumission à la volonté divine, Dieu utilisera cette personne comme un instrument par lequel Il guidera ceux qu’Il choisira de guider. Cette personne vivra et agira donc pour Dieu et par Dieu.

Il n’y a aucun doute qu’il y a de l’oppression envers les musulmans aujourd’hui, comme il y a de l’oppression envers les peuples du tiers monde, les peuples autochtones, les communautés noires,
ainsi que les hommes et femmes libres dans toute autre société du monde: des américains, des canadiens, des français, etc. Les musulmans font face à des attaques et à de l’injustice, à de
la marginalisation et à de la provocation. C’est vrai. Mais si nous n’apprenons pas l’intégrité morale et le raffinement spirituel «ihsan» avant d’apprendre comment œuvrer pour la justice,
nous ne réussirons pas à travailler pour la justice avec l’intégrité morale et le raffinement spirituel «ihsan» qui doivent absolument accompagner cette justice afin qu’elle soit acceptable devant
Dieu le Très Haut.

Hamdi Ben Aïssa

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