Seconde source de l’islam, la sunna regroupe l’ensemble des paroles, actes et consentements du Prophète selon la définition des juristes musulmans. A quoi sert cette sunna ? Quel est son rôle ? Les explications dans ce texte d’Islam actuel inspiré de l’oeuvre et de la pensée d’Ismaïl al Faruqi, à lire sur Mizane.info.
La responsabilité de l’être humain est de transformer la Révélation en principes d’actions. Dans l’histoire des religions sémitiques, c’est la première fois que – par l’islam même – la loi est désacralisée. Désormais, l’islam fait de la loi une construction humaine qui s’inspire de la Révélation mais qui n’est pas la Révélation et qui n’est pas infaillible. Lorsqu’elle est juste, la loi est la plus belle action que l’homme puisse faire. Lorsqu’elle est injuste, c’est sa plus grande chute. Produire des lois est désormais une activité qui, comme toutes les activités humaines, peut être bonne ou mauvaise. Lorsqu’elle est injuste, l’homme a la responsabilité de découvrir où se trouve l’erreur, de la réformer et d’assurer sa cohérence avec la sagesse révélée dont elle n’est que la traduction. C’est justement par bonté que Dieu a choisi d’aider l’être humain dans sa responsabilité en lui offrant un exemple de mise en pratique des principes de la sagesse révélée, à savoir la Sunna :
« En effet, vous avez dans le messager de Dieu un bel exemple pour celui qui espère en Dieu et au Jour dernier et qui pratique beaucoup l’invocation de Dieu ». Coran 33 : 21
Mettre en pratique le Coran
Selon une définition juridique, la Sunna est une collection de récits (hadîths) sur les paroles (aqwâl) et les actes du prophète (af`âl). Elle porte sur les avis (taqrîrât) qu’il a exprimés sur ce qui est bon ou mauvais, désirable ou indésirable, et sur les pratiques dont il a approuvé qu’elles soient suivies par les musulmans. La Sunna cite des paroles et des phrases directement attribuées au prophète ou à ses compagnons qui ont témoigné de ses agissements et les ont mis par écrit. Dans la Sunna, tout récit sur le prophète est désigné par le mot hadîth.
La Sunna occupe la seconde place après le Coran. Sa fonction est de montrer comment mettre en pratique le Coran, de fournir des exemples et des illustrations de la façon de traduire les principes du Coran en une réalité sociale.
« Nous les avons envoyés avec des preuves évidentes et les Ecritures. Nous avons fait descendre sur toi le Rappel (le Coran) pour que tu expliques clairement aux gens ce qui leur a été révélé. Peut-être réfléchiront-ils ! ». Coran 16 : 44
Là où le Coran exprime un principe général, la Sunna en montre des applications dans des cas particuliers, pour le rendre applicable. Là où le Coran exprime un cas particulier, la Sunna le généralise pour rendre possible son application dans d’autres contextes.
La Sunna était d’abord apprise par cœur par les compagnons du prophète et ensuite mise par écrit par beaucoup d’entre eux. Craignant que l’on confonde ses paroles avec le Coran, le prophète a d’abord interdit la mise à l’écrit de ses paroles. Plus tard, lorsque la majorité avait appris le Coran par cœur, il a autorisé la mise à l’écrit de la Sunna.
En plus des hadîths, nous avons la trace du pacte de Médine, la constitution du premier Etat de la civilisation islamique, d’ailleurs, la première constitution qui n’aie jamais été écrite. Cette constitution a été écrite sous la dictée du prophète et ses principes ont continué à inspirer l’histoire de la civilisation islamique.
La sunna, mise en présence du Prophète
La génération des musulmans qui était présente au moment de la Révélation et qui a côtoyé le prophète apprenait les hadîths par cœur, les transmettait de bouche à oreille et dans une certaine mesure par écrit, et s’encourageait mutuellement à mettre en pratique la sagesse qu’ils contenaient. Mais la plupart des hadîths n’ont été écrit que bien plus tard, vers le début du deuxième siècle de l’Islam où l’on chargea officiellement de transcrire la Sunna.
La valeur et l’utilité de la Sunna était reconnue par tous les musulmans. C’est pourquoi elle est considérée comme la seconde source de connaissances et de sagesses, après le Coran. Le Coran commande d’obéir à Dieu et donc d’obéir à son prophète lorsqu’il transmet la Révélation et qu’il la met en pratique dans la vie quotidienne :
« Dis : ‘’Obéissez à Dieu et obéissez à l’envoyé !’’ S’ils se détournent, l’envoyé n’est alors responsable que de ce dont il a été chargé, et vous êtes responsables de ce dont vous avez été chargés. Si vous lui obéissez, vous serez bien dirigés. L’envoyé n’est chargé que de communiquer le Message en toute clarté ». Coran 24 : 54
Il commande aux musulmans de référer leurs disputes au prophète et de suivre son jugement :
« Ô vous qui avez adhéré à la voie de Dieu ! Obéissez à Dieu, et obéissez au messager et à ceux d’entre vous qui détiennent le commandement. Puis, si vous vous disputez en quoi que ce soit, renvoyez-le à Dieu et au messager, si vous avez adhéré à Dieu et au Jour dernier. Ce sera la meilleure démarche, celle qui conduira à la meilleure solution ». Coran 4 : 59
Les compagnons obéissaient à ses ordres et s’engageait volontairement à les mettre en pratique. En fait, les musulmans n’ont d’autre source que la Sunna pour leur fournir des précisions sur leurs rituels et pour légiférer, là où le Coran reste silencieux. Par exemple sur les ablutions, le Coran1 ne mentionne pas certaines parties du corps (la bouche, le nez, les oreilles) ni le nombre de fois à passer sur les parties à purifier. C’est la Sunna qui l’explicite et qui le détaille.
Les règles de l’harmonisation entre Coran et sunna
Naturellement, il ne peut y avoir aucune contradiction entre le Coran et la Sunna. Tout ce qu’expose la Sunna doit être confirmé ou impliqué par le Coran, de façon explicite dans un passage précis du Coran, ou de façon implicite, par un principe coranique dont la réalisation nécessite l’information qu’apporte la Sunna. Si une contradiction apparaît entre un hadîth et un passage du Coran, il y a trois possibilités.
La première est que la contradiction est seulement apparente. C’est alors un problème de compréhension qui doit être corrigé. La seconde est que la contradiction est liée à des différences de contextes d’application. Dans ce cas, nous devons vérifier si le hadîth et le passage du Coran ne portent pas sur des situations et des contextes différents, justifiant des façons différentes de raisonner et d’agir. La troisième est que la contradiction est réelle. Dans ce cas, cela veut dire que le hadîth n’est pas authentique et le Coran fait autorité.
Cependant, tout ce que le prophète a dit, fait ou approuvé n’a pas une valeur normative, n’est pas un devoir que les musulmans doivent suivre. Le prophète n’est ni Dieu ni un superman : il était pleinement humain. Le Coran répète que le prophète est un homme parmi vous, comme vous :
« Dis : ‘’Je ne suis qu’un être humain, semblable à vous. Il m’a été révélé que votre Dieu est un Dieu unique’’ (…) ». Coran 41 : 6
Le prophète lui-même n’a jamais cessé de répéter cette vérité sur sa nature humaine commune à l’humanité
« Je ne suis qu’un être humain, faites donc ce qu’il vous convient ». Prophète Muhammad 2
En tant qu’être humain, il a dit, fait ou approuvé de nombreuses choses qui ne faisaient pas partie de sa fonction en tant qu’exécutant des ordres du Coran, en tant qu’exemple de l’éthique et du mode de vie idéal de l’islam.
L’humanité du Prophète
Les musulmans distinguent bien la différence entre ce qui faisait partie de sa mission de prophète envoyé à l’humanité, et ce qui faisait partie de son humanité. Ce que le prophète a fait, dit ou approuvé dans le cadre de sa mission qui consistait à transmettre le Coran et à montrer comment le faire marcher dans la vie quotidienne, a une valeur normative et est un devoir que les musulmans doivent suivre (sunna hukmiyyah).
Par contre, tout ce qui faisait partie de son humanité n’a pas de valeur normative, n’a pas à être suivi (sunna ghayr hukmiyyah). C’était lié à sa vie sociale en tant que commerçant, mari, homme d’Etat, etc. En faisant cette distinction, les musulmans suivent fidèlement ce que le prophète a lui-même enseigné. En effet, dans de nombreuses occasions, le prophète a accepté de suivre le conseil de ses compagnons alors qu’il contredisait son avis, ceci parce qu’il reconnaissait qu’il ne s’agissait que d’un avis personnel et non pas d’une Révélation divine.
La Sunnah ne concerne que les choses dont nous avons la preuve que le prophète a demandé de les suivre, par fidélité au Message divin. La Sunna hukmiyyah se divise en deux grandes catégories : ce qui est certain (qat’iyyah) et ce qui est probable (dhanniyyah). Les obligations légales se basent uniquement sur ce qui est certain.
Du vivant du prophète, la Sunna était principalement une parole, un acte ou une approbation dont on pouvait être le témoin en public. Les gens écoutaient, regardaient faire et comprenaient ainsi ce qu’ils devaient faire. Lorsqu’ils n’étaient pas présents et qu’ils recherchaient à être rassurés, ils demandaient directement au prophète de répondre à leurs questions.
Après la mort du prophète, les compagnons s’interrogeaient les uns les autres pour savoir ce que le prophète a dit, fait ou approuvé dans telle et telle situation. Lorsque tous ceux qui ont assisté à un évènement, étaient unanimes dans leurs témoignages, alors leur unanimité avait valeur de certitude. Car il n’est pas possible qu’un si grand nombre de compagnons, malgré toute leur diversité personnelle, puissent exprimer le même récit (hadîth), à moins que l’évènement soit bien réel. Les récits ou hadîths qui sont rapportés par les compagnons, de façon unanime, sont appelés sunna mutawâtirah.
Les recueils de la sunna
La sunna mashbûhah concerne les hadîths racontés par quelques compagnons – pas tous – dont le consensus implique qu’il n’y a pas d’erreur. La sunna âhâd concerne les hadîths racontés par un seul compagnon reconnu pour sa bonne mémoire, son honnêteté et sa bonne moralité.
Grâce à l’infaillibilité du Coran et à la fiabilité de la Sunna, malgré les siècles passés qui nous séparent du prophète et malgré la diversité des cultures et des langues musulmanes, les musulmans continuent de pratiquer les mêmes rituels que le prophète.
Depuis le 3e siècle après l’Hégire, la Sunna est accessible grâce à six collections canoniques qu’on appelle les sihâh (pluriel de sahîh). Dans l’ordre de la rigueur méthodologique démontrée dans la sélection et la classification des hadîths, les compilateurs de hadîths sont : al-Bukhârî (256/870), Muslim (251/865), Abû Dâwûd (275/888), Ibn Mâjah (273/886), al-Nisâ-i (303/915) et al-Tirmidhî (279/892). Parmi eux, les deux premiers sont les plus rigoureux dans l’évaluation critique des hadîths. Ils font autorité sur les autres compilateurs.
Après la mort du prophète, les musulmans ont été animés du sentiment d’avoir une vocation universelle à remplir :
« Nous avons fait de vous une communauté du juste milieu pour que vous soyez témoins envers les hommes et pour que le messager soit témoin envers vous (…) ». Coran 2 : 143
Vous êtes la meilleure communauté qui n’ait jamais été donnée comme exemple aux hommes. En effet, vous recommandez le Bien, vous interdisez le mal et vous adhérez à la voie de Dieu (…) ». Coran 3 : 110
La sunna, concrétisation pratique du Coran
Le monde devait être réformé à la lumière de la sagesse universelle que le Coran vient rappeler. Le monde intérieur – l’âme – et le monde extérieur – la nature – devait être transformés selon les principes de la sagesse divine. Les musulmans s’étaient eux-mêmes transformés au contact de cette sagesse révélée et illustrée par l’exemple du prophète. Ils étaient devenus « musulmans » au sens où la Révélation le définit :
« Et luttez pour la cause de Dieu avec tout l’effort qu’Il mérite. C’est Lui qui vous a élus ; et Il ne vous a imposé aucune gêne dans la religion, qui est la religion de votre père Abraham, lequel vous a lui-même déjà nommés ‘‘les musulmans’’ auparavant et dans ce Livre, afin que le messager soit témoin contre vous, et que vous soyez vous-mêmes témoins contre les gens. Soyez donc constants dans la prière, donnez la zakah et attachez-vous fortement à Dieu. C’est Lui votre Protecteur. Quel Excellent Protecteur ! Et quel Excellent Soutien ! ». Coran 22 : 78
Avant de mourir, le prophète s’est assuré que la vision et que la cause qu’il a transmise était bien comprise. Et en effet, les compagnons ont voué leur vie à essayer de la transmettre et de la mettre en pratique. La vision que le prophète a enseignée est directement tirée du Coran, prête à être comprise par toute personne qui le désire.
Le dernier signe révélé annonce :
« (…) Aujourd’hui, J’ai amené votre religion à son point de perfection ; J’ai accompli sur vous Mon bienfait et J’ai accepté l’islam pour être votre religion (…) ». Coran 5 : 3
Cela signifie qu’en tant que vision globale de la vie et du monde, l’islam est complet, prêt à être reçu, compris et vécu par les personnes qui le désirent et qui ont les prérequis intellectuels nécessaires. Comprendre le Coran et réussir à provoquer en soi-même un changement profond pour rejoindre la compagnie du prophète, ce n’est pas facilement accessible pour tout le monde.
Ceux qui sont capables d’être mis en mouvement par une vision présentée de façon abstraite sont toujours peu nombreux. Et ceux qui, parce qu’ils sont tellement animés par une vision, ne peuvent plus rester à ne rien faire au point de se dire : « je n’y renoncerais pas jusqu’à ce que Dieu la fasse triompher ou que j’y perde la vie »3 – pour reprendre la formule du prophète –, sont encore moins nombreux. Ceci car les gens ont besoin d’imaginer la façon dont une vision peut être projetée dans la vie quotidienne.
C’est exactement là tout l’intérêt de la Sunna : elle montre aux gens comment concrétiser l’idéal de l’islam dans l’Histoire. La Sunna est la concrétisation de la vision et de l’idéal du Coran, dans la vie quotidienne. En effet, grâce à l’exemple du prophète et à sa mise en récit dans la Sunnah, chacun a pu voir comment se mettre en mouvement, comment se diriger vers la direction indiquée par les valeurs et les principes de l’islam.
Les 4 catégories de la sunna
La Sunna assure le lien entre l’idéal coranique et la vie concrète que l’on doit rendre meilleure, entre la pensée et l’action, entre la vérité divine et l’histoire humaine. C’est pourquoi la Sunnah est un professeur qui a éduqué des millions de personnes dans le monde. Elle offre une mine de récits et d’enseignements dont on peut s’inspirer lorsqu’on est en position de diriger, d’éduquer, de penser et d’agir.
Le contenu de la Sunna peut être regroupé en quatre grandes catégories, chacune donnant à voir un aspect du prophète. La première concerne les récits sur l’adoration, qui donnent du prophète une image d’adorateur et de serviteur de Dieu. La seconde concerne les récits sur sa mission prophétique, qui le montrent comme celui qui appelle à l’islam, comme une personne ordinaire qui vit parmi les gens mais qui vit seul sa mission de prophète. La troisième concerne les récits sur Muhammad en tant qu’être humain, en tant que mari, père, proche, voisin et ami… La quatrième concerne les récits sur Muhammad en tant que dirigeant d’hommes aussi bien dans l’Etat, dans la place du marché ou dans la mosquée…
Cet article est une synthèse basée sur la pensée d’Ismail Raji al-Faruqi, Lois Lamya al-Faruqi (2014), The Quran and the Sunnah. Ed. International Institute of Islamic Thought, Londres.
Islam actuel
Notes :
1. Coran 5 : 6
2. Cf. la biographie de Muhammad selon Ibn Hishâm.
3. Muhammad Husain Haykal, The Life of Muhammad, trad. Ismâ’îl Râjî al-Fârûqî. Indianapolis: American Trust Publications, 1976, p89.
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