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jeudi 21 novembre 2024

Nadim Ghodbane : comment le post-humanisme a tué Darwin

Nadim Ghodbane est un militant écologiste, animateur d’un blog éponyme et l’auteur des ouvrages « Islam et écologie » et « Rites funéraires et deuil dans l’islam français ». Dans un texte que Mizane Info publie avec son autorisation, Nadim Ghodbane nous propose une réflexion sur le post-humanisme, le transhumanisme et l’urgence de rétablir une quête du sens qui relie l’Homme à Dieu. Un texte à lire pour comprendre les profonds bouleversements technologiques et anthropologiques actuellement à l’oeuvre. 

Aujourd’hui, s’annonce une nouvelle révolution technologique qui va entraîner l’homme dans un nouveau monde. Ce monde qui se construit sous nos yeux, ici et maintenant est source d’espoirs mais aussi d’une grande inquiétude. Longtemps relégué aux récits de science-fiction, le rêve fou d’un homme dont les capacités sont augmentées par la technique n’en est plus un à l’heure actuelle. Sophistication technologique rendant l’homme plus performant tant sur le plan intellectuel que sur le plan sensoriel mais aussi le rendant moins vulnérable face à la maladie.

L’impasse du post-humanisme technologique

Les NBIC (Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives, ndlr), sont un champ scientifique multidisciplinaire se situant au croisement de plusieurs activités que sont les nanotechnologies, les biotechnologies, l’intelligence artificielle et les sciences cognitives. les NBIC se proposent d’intégrer ces techniques avancées aux fonctions humaines afin de restaurer certaines fonctions chez des malades ou handicapés. Les plus enthousiastes des partisans des NBIC prétendent optimiser les fonctionnements de l’individu et de compenser son éventuel déclin. L’ Homme que certains appellent «l’homme symbiotique» ou «humain augmenté». Ils nous annoncent que le séquençage du génome permettra une médecine personnalisée, guidée sur nos particularités génétiques et grâce à la modélisation réalisée avec des ordinateurs de plus en plus puissants, nous pourrons comprendre le vivant. Les « Lumières » avec son rationalisme stupide ont échoué, le rêve est mort à Auschwitz, dans les goulags et dans le colonialisme.

L’Homme se mire indéfiniment dans un miroir individuel et social pour trouver un sens à son existence. Aujourd’hui, il se trouve dans une impasse, celle de la raison devenue Absolu et du respect tout aussi absolu de la technologie mais aussi d’une nouvelle sacralité, celle du processus scientifique

Cette philosophie étroitement associée à la science a donné la notion de progrès c’est-à-dire l’avancée conjointe de la compréhension rationnelle de l’univers et du bien-être moral et matériel des hommes. Mais la réflexion de l’Homme sur lui-même, cette pensée ego-centré, ce narcissisme anthropologique a ses limites. L’Homme se mire indéfiniment dans un miroir individuel et social pour trouver un sens à son existence. Aujourd’hui, il se trouve dans une impasse, celle de la raison devenue Absolu et du respect tout aussi absolu de la technologie mais aussi d’une nouvelle sacralité, celle du processus scientifique. Une pensée qui s’est, au fil du temps, rigidifiée. Érigeant une nouvelle divinité à qui ont doit l’adoration absolue.

La perte du sacré est la perte du lien avec l’univers

Nous devons repenser la place de l’homme, sa responsabilité devant les défis qui nous attendent. Plus particulièrement dans l’ère qui s’ouvre, celle dite du post-humanisme. L’importance de revisiter le spirituel, le questionner à l’aube de cette nouvelle ère. Afin de construire une spiritualité émancipatrice pour mieux armer l’Homme devant ce nouveau défi. Nous avons repensé les rapports Homme/Nature puis Homme/Animal et il nous faut aujourd’hui réfléchir sur ce nouveau rapport Homme/Machine.

Cet «homme augmenté» qui se profile et dont certains nous prédisent la venue imminente, cet homme connecté est déjà là, nous le sommes déjà. Pour certains, les implications d’un tel développement technologique donnent la possibilité à l’être humain de maîtriser sa propre évolution, allant jusqu’à parler de Renaissance. Jamais dans l’histoire de l’humanité, l’Homme ne s’est trouvé devant une telle opportunité, celle de pouvoir améliorer ses performances physiques et intellectuelles en y intégrant des technologies.

Nous devons penser la machine, sa place dans notre environnement, son statut aussi, avant que le robot puisse penser par lui-même et nous imposer ses désidératas. Penser l’humain dans le post-humain. Si le post-humanisme est anti-darwinien, qu’est-il ? Une dégénérescence de l’humanisme ? Peut-être ! Cette dégénérescence s’exprime notamment par la disparition de l’humanisme en tant que valeur universelle, remplacée par la logique économique, productiviste, et consumériste. Reléguant par là même, le sacré dans la sphère personnelle voire intime.

Le sacré, c’est ce qui relit l’homme au reste de l’univers, avec sa disparition c’est le drame existentiel que vit actuellement l’humanité. Faut-il s’inquiéter de cette atteinte à la nature humaine et à nos valeurs les plus fondamentales ? Cela n’est-il pas un nouvel eugénisme qui se profile ?

Le mythe de Prométhée dans le mythe du progrès technique

Ce véritable tsunami technologique va transformer en profondeur l’organisation sociale des sociétés développées en creusant encore plus le fossé qui sépare ces derniers des pays les moins avancés. Les nouvelles technologies permettent d’intervenir, de changer l’humain, changer la vie, elles font passer l’homme d’une évolution subie à une évolution choisie. C’est une nouvelle forme d’eugénisme, plus «moderne» d’inspiration libérale. La promesse de devenir plus fort, plus intelligent, vivre plus longtemps et plus heureux avec en ligne de mire l’immortalité. Nous devons craindre la réalisation du scénario de romans de science-fiction. C’est -à-dire la mise en place d’un système avec la promesse d’un monde meilleur.

Le grand défi tant spirituel que philosophique mais aussi politique est de réaffirmer la nécessité de préserver le fait que la conception, que la vie est un don. Contrairement aux transhumanistes, qui pensent exclusivement aux droits et libertés individuelles, nous devons penser au «nous» à ce qui fait société, aux liens qui soudent le collectif

La prise de conscience récente de l’urgence concernant la préservation de l’environnement doit s’étendre à la nature humaine. L’Homme, ce présomptueux, avec sa volonté de dompter la nature est maintenant sur le point de dompter la nature humaine. Voilà nous y sommes, le mythe de Prométhée transparait dans le mythe du progrès technique. Vouloir tout maîtriser ! Le grand défi tant spirituel que philosophique mais aussi politique est de réaffirmer la nécessité de préserver le fait que la conception, que la vie est un don.

Contrairement aux transhumanistes, qui pensent exclusivement aux droits et libertés individuelles, nous devons penser au «nous» à ce qui fait société, aux liens qui soudent le collectif. Réfléchir à la société que nous construisons, aux conditions de vie sociale et pour ce qui nous concerne ici, au sens de nos vies, c’est-à-dire à la spiritualité qui nourrit nos espoirs. Ce monde de technoscience duquel sont exclues la question sociale et la question du sens, nous devons nous en préoccuper et ne pas laisser les débats entre les mains des seuls scientifiques et des entreprises multinationales.

« La remise en question des croyances en un progrès radieux est nécessaire »

La confiance aveugle dans la technique ouvre un Nouvel Espace de pensée. Celui d’un «animisme moderne» avec ce retour au premier stade de la religiosité humaine comme ce fut le cas des sociétés primitives. Opérer une projection de nos sentiments, de nos états d’âme sur des machines, des robots, va accentuer la déconnexion d’avec la réalité humaine. Avec ce qui fait sens dans l’humain. Le Golem des temps modernes à l’intelligence artificielle, sa composition n’est pas d’argile mais faite d’une multitude de composants issues de l’industrie de pointe. Tout comme l’apprenti sorcier de Goethe, qui en l’absence de son maître, se lance dans une entreprise qu’il ne contrôle pas, prenant ainsi d’importants risques. L’homme dans une fuite en avant ne cesse de s’aventurer sur des terrains inconnus.

Ce qui caractérise l’homme, c’est ce besoin impératif, ce besoin profond de recherche de sens dans le monde, les choses et soi-même. Cette recherche est ancrée profondément en lui. Ce besoin de sens est aussi fort que la nécessité de respirer, de manger ou de boire. Cette recherche permanente est un véritable moteur de vie. Mais elle peut être aussi une défaillance lorsque celle-ci se réduit au matériel, à la superficialité, etc.

Plus que jamais le défi qui attend l’homme est d’avoir une relation durable avec son environnement, lui donner du sens. Ivan Illich nous dit : «La condition de l’homme postmoderne et de son univers est devenue si complexe que seuls les experts les plus spécialisés peuvent faire office de clergé capable de comprendre et de définir les «besoins» aujourd’hui devant cette situation sans issue favorable. La réaction à la perte de sens se manifeste aujourd’hui par ce qu’on désigne habituellement par l’«irruption de l’irrationnel», par un engouement pour de nouvelles formes de religiosité et par les pratiques «New Age» etc.

Dans une société où l’Homme se définit non plus par ce qu’il est mais par ce qui lui manque. Le besoin de sens, l’élan de spiritualité se trouvent stoppés par la crispation scientiste. Il nous faut trouver l’équilibre entre ce besoin légitime et les exigences d’un «nouveau monde». Notre Humanité a plus que jamais besoin de sens et sa quête doit prendre en compte la réalité scientifique d’aujourd’hui. Cette nouvelle perspective nous plonge dans l’incertitude et notre désir de maîtriser l’inconnu nous oblige à repenser, affiner le sens de ce que nous sommes et vers quoi nous voulons aller.

Nous disons crise de sens plus que perte de sens car les voiles se sont accumulées nous empêchant de voir clairement. Mais l’essentiel est là, sous nos yeux. La remise en question des croyances en un progrès radieux est nécessaire. La crise existentielle que cela induit doit nous faire repenser de nouveaux paradigmes. La prise en compte de la nature réelle des choses, des êtres et du monde est une condition préalable à la réflexion. La prise en compte de l’état réel du monde, des risques qu’encourt notre environnement et qui menacent la nature de l’humain.

A lire sur le même thème : 

« Humanisme et démocratie », Edward Saïd

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