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jeudi 21 novembre 2024

Libérer le hajj de la logique marchande : pour un authentique statut religieux du pèlerinage

Hajj

Depuis de très nombreuses années, les affaires d’escroquerie liées au hajj ne cessent de se multiplier en France. Pèlerins floués, au dernier moment, de leur pèlerinage ; sur-tarifications injustifiées ; offres locatives non conformes au prix payé : les méfaits, aussi révoltants qu’incompréhensibles, laissent un arrière-goût d’impuissance. Comment expliquer la reconduction annuelle de ces injustices ? L’absence de mesures légales ? Et comment protéger les pèlerins ? Une investigation de Mizane.info, suivie d’un éditorial.  

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Pour les pèlerins musulmans de France, chaque année se suit… et se ressemble ! Quand vient l’heure tant attendue du hajj, ce cinquième pilier de l’islam qui consiste à visiter les Lieux saints de la Mecque, à effectuer le tawwaf (circumambulation) autour de la Kaaba et à s’acheminer sur les traces du Prophète Ibrahim, de Hajjar, mère d’Ismaïl, et du Prophète Muhammad (PBDSL), la perspective d’accomplir un rite central de l’islam et de devoir se rendre physiquement dans un lieu vers lequel on oriente cinq fois par jour sa prière devant le Dieu unique de l’humanité devrait inspirer l’enthousiasme et la joie de tous les fidèles. Hélas, de plus en plus, c’est un tout autre sentiment qui habite un certain nombre d’entre eux, victimes passées de fraudes, proches de ces victimes elles-mêmes sur le départ, etc. Le marché du hajj, puisqu’il faut l’appeler ainsi, ne cesse en effet d’engraisser toute une série d’acteurs peu ou mal identifiés – agences de voyage aux pratiques non professionnelles, intermédiaires non déclarés, affréteurs auto-proclamés – acteurs peu scrupuleux quant à leurs engagements auprès des fidèles. Les témoignages remontent, les dossiers s’accumulent : la gravité des faits appelle une réflexion impérative, préliminaire elle-même à une action. Certes, ces dérives ont amené à la création de plusieurs associations consacrées à informer les fidèles de leurs droits, à les orienter et à les conseiller dans leurs choix. Des actions informatives et préventives louables mais qui ont montré leurs limites face à l’ampleur du phénomène. Ce dernier exige une analyse et une action plus radicale si l’on souhaite endiguer définitivement les dérives de la marchandisation du hajj. Au terme de nos échanges pluriels avec des acteurs associatifs, responsables institutionnels, imams et conférenciers expérimentés sur cette question, il ressort clairement que trois axes doivent être privilégiés : l’action institutionnelle, le changement de statut du hajj et l’action judiciaire.

« Les agences font de grands bénéfices car le marché le permet »

Avant de les aborder, une compréhension du système du hajj est indispensable à avoir. Pour en savoir plus, nous avons posé plusieurs questions à Azzedine Ainouche, ancien secrétaire général de la Coordination des organisateurs agrées Hadj de France (CHF), une instance crée en 2013, pour tenter de répondre aux problèmes rencontrés par les pèlerins et qui recense selon lui 80 % des agences concernées par le hajj. Le marché du hajj prend son point de départ au consulat d’Arabie saoudite qui attribue chaque année à une série d’acteurs économiques un quota de visas destinés aux pèlerins. Les quotas peuvent aller de 150 visas à 1000 selon lui (jusqu’à 3000 selon d’autres sources) et sont livrés à 95 % à des agences de voyages, le reste à des associations. De nombreux rabatteurs, imams ou particuliers, sous-traitent ce marché aux agences moyennant une indemnité, en leur fournissant des clients. Pour M. Ainouche, toute la problématique du hajj est liée à la question du marché et de ses règles, à savoir l’offre et la demande. « Les agences font de grands bénéfices car le marché le permet. Dans d’autres pays, les prix sont moins élevés », nous explique-t-il, reconnaissant des tarifs élevés en France qu’il explique par le fait que la demande est très forte et qu’elle excède l’offre.

Selon l’ancien secrétaire général de la CHF, ces prix pourraient baisser à l’avenir en raison d’une augmentation de l’offre. « Jusqu’à il y a deux ans, le nombre d’agences était stable, autour d’une quarantaine. Depuis, ce nombre est monté à 65 agences agréées par l’Arabie saoudite. Cette augmentation va contribuer à relever le niveau de l’offre et donc à une baisse des prix ». Un autre facteur à prendre en compte serait le facteur risque. Les agences ne recevraient leurs cartes d’organisateur qu’un mois et demi ou un mois avant le début du hajj. Un délai trop court pour organiser le pèlerinage pour, parfois, plusieurs centaines de personnes par agence. Ces dernières prendraient donc le risque de réservations massives trois ou quatre mois avant le pèlerinage. A ceci s’ajoute le fait que la carte d’organisateur doit être renouvelée chaque année pour toutes les agences, malgré leur agrément. Selon M. Ainouche, d’autres éléments viennent grever la facture. Outre des tracasseries et toutes sortes d’imprévus administratifs, les autorités saoudiennes imposeraient de nouvelles taxes. La mise en place toute récente d’une TVA en Arabie saoudite, l’imposition de tentes climatisées et de repas à Mina viendraient surcharger un forfait comprenant déjà un hébergement, les frais de transport (avion + car) et la présence de guides ou d’imams pour encadrer les groupes de pèlerins.

« 95 % des rabatteurs se transforment en guide une fois sur place »

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Benabdellah Soufari.

D’autres observateurs attentifs de ce secteur sont néanmoins plus dubitatifs. Tout en reconnaissant que le nombre de rabatteurs informels agréés par Riyad a diminué et que la tendance de l’augmentation de l’offre va dans le bon sens, M. Benabdellah Soufari, ancien président du Conseil régional du culte musulman d’Alsace et actuel responsable de l’association France Hajj créée en 2006 pour soutenir les victimes d’arnaques au hajj et accompagner les pèlerins, estime que la problématique du hajj déborde largement le cadre du marché. Avec une augmentation rapide de 2 fois et demi ses tarifs, le hajj générerait approximativement entre 20 à 28 % de bénéfice net par pèlerin et par agence pour des tarifs situés en France en moyenne autour de 5000 € le forfait individuel (de 4500 € jusqu’à 7000 € pour les forfaits conforts). Un volume qui intègre des paramètres extérieurs à un marché régulé. « Un rabatteur est considéré comme un chef de groupe en Arabie saoudite. 95 % des rabatteurs en fonction se transforment de manière informelle en guide une fois sur place », indique-t-il. L’intérêt du recours à des rabatteurs-guide pour les agences serait d’ordre commercial. « Cela évite de chercher des fidèles », soit une grosse économie sur le budget promotionnel. Chaque rabatteur percevrait de 80 à 300 euros par « client ». Cette économie publicitaire ne serait pas la seule. Les agences bénéficieraient souvent de quotas de certaines chambres d’hôtels et de places d’avions gratuits sur l’ensemble de leur réservation (entre 10 et 15 chambres et/ou places d’avion pour les jets affrétés) en fonction du nombre de pèlerins à leur charge.

Certaines agences de voyage soudoient des agents consulaires en dépensant 100 € par visa pour les obtenir plus vite

Dans un contexte économique saoudien marqué par la chute des prix du pétrole, une politique de rentabilisation maximale de substitution, du hajj, aurait en effet été fixée par Riyad. L’objectif pour le royaume saoudien : passer, pour le tourisme religieux, à une rente annuelle de plusieurs dizaines de milliards de dollars, d’ici 15 ans. Dans ce cadre, l’hébergement représente la charge la plus lourde pour le pèlerin : 30 à 35 % du forfait. « Dans la fourchette des 4000 euros, vous avez un hôtel situé à 5 km des Lieux saints. Avec 5000 euros, à 700 mètres ou 1 km. Les forfaits les plus élevés (jusqu’à 7000 €) sont réservés à un hébergement à 50 mètres ». Le transport représente pour sa part 20 ou 25 % du forfait, avec des billets de 600 euros (charter) à 1200 euros. Selon le responsable de l’association France Hajj, 20 à 25 % des pèlerins vivant dans la région strasbourgeoise, partiraient d’Allemagne, pays limitrophe, ce qui serait moins coûteux. « Les agences recourent de plus en plus à des jets affrétés moyennant l’agrément du IATA (Association internationale du transport aérien) qui impliquent de bloquer 100 000 euros sur 5 ans, d’avoir du personnel qualifié et d’être syndiqué au SNAV (Syndicat National des Agents de Voyages) » ajoute M. Soufari.

En France, 40 agences agrées gèrent le pèlerinage contre 88 en Grande-Bretagne

Une fois arrivé à la Mecque, chaque pèlerin doit prendre en charge le paiement d’un moutawwaf, un guide officiel nommé par l’Arabie saoudite et chargé de gérer les groupes de pèlerins des agences (3 à 4 agences par moutawwaf). Ces guides officiels récupèrent les passeports à l’arrivée et les restituent au départ. Ils s’occupent des transports internes (cars), attribuent les places des tentes et gèrent les repas à Mina. Bien que fonctionnaires publics, ces moutawwafs sont rémunérés sur place par les rabatteurs-guides des agences, à hauteur de 100 à 150 € par pèlerin, alors même que chaque pèlerin se doit de payer des chèques tanazul (100 à 150 €) qui financent les cars climatisés sur la durée du séjour. Chaque moutawwaf gérant 3 ou 4 agences allant de 150 à plusieurs milliers de pèlerins par agence, les bénéfices informels engrangés sont élevés.

Vidéo pédagogique de l’Association culturelle d’entraide et de fraternité expliquant les dérives du système du pèlerinage. 

Pour ce qui est de l’alimentation des pèlerins, la demi-pension est généralement prévu dans l’hébergement et les repas sont compris dans le paiement des moutawwafs à Mina, le reste étant à la charge des fidèles. D’autres irrégularités surviennent très en amont, au moment de l’attribution des visas, notamment pour les agences importantes gérant les plus gros volumes de visas (3000 visas). Des volumes nécessitant une période de traitement pouvant aller jusqu’à un mois. L’obtention des visas se faisant très peu de temps avant le début du pèlerinage, et le volume total de visas attribué en France se situant entre 25 à 30 000 visas, des agences n’hésiteraient plus à octroyer des pots-de-vin pour les avoir plus tôt. « Certaines agences de voyage soudoient des agents consulaires en dépensant 100 € par visa pour les obtenir plus vite », nous confiera l’ancien président du Conseil régional du culte musulman Alsace qui pointe du doigt le manque de transparence dans l’attribution des visas qui n’est soumise à aucun droit ou obligation. « Certaines publicités d’agences sont lancées immédiatement après la fin du hadj avec des tarifs qui reconduisent les mêmes prix pour obtenir une trésorerie destinée à financer le moment venu des acomptes dans le cadre de précontrats, ce qui est illicite. »

Pour Benabdellah Soufari, les solutions pour sortir de cet état anarchique du hajj en France se situent à trois niveaux différents. Un niveau national avec la structuration institutionnelle du culte musulman qui doit se poursuivre. Tant qu’une institution nationale du culte musulman ne voit pas le jour, aucune initiative de centralisation et de régulation ne sera effectivement possible. Un niveau local impliquant la responsabilisation des mosquées qui peuvent jouer un rôle de sensibilisation sur ces dérives marchandes et de formation des acteurs et des fidèles, autrement dit un rôle de régulation locale. Un troisième niveau administratif et judiciaire concerne le problème de la concurrence et la question des recours. En France, seules 40 agences agrées gèrent le pèlerinage (un chiffre très récemment passé à 65 selon le CHF), contre 88 en Grande-Bretagne, alors que l’Hexagone compte la plus importante communauté musulmane d’Europe. Cette configuration du marché explique en partie le caractère exorbitant des tarifs pratiqués. Néanmoins, les agences étant soumises au droit français, des recours restent envisageables devant la justice.

« Les visas sont obtenus gratuitement auprès du consulat mais facturés par les agences »

C’est l’option vers laquelle s’achemine Omar Dakir, président de l’Association culturelle d’entraide et de fraternité (ACEF). Depuis quatre ans, l’homme travaille et suit de très près les affaires de fraude commerciale sur le hajj, les infractions administratives dont sont victimes les pèlerins auprès des agences de voyages et l’augmentation exponentielle des prix. « Il y a aujourd’hui autant d’agences agrées par le ministère du hadj que d’agences non agrées. Depuis 2014, nous avons recueillis de nombreux témoignages d’infractions ». Sur les agences agrées, plus de trente seraient sous le collimateur de l’association. « Ce qui revient le plus souvent concerne l’absence de contrat de voyage, ce qui constitue une infraction au regard de l’article l 211-8 du code du tourisme. » Autre type d’infraction : le travail non déclaré de rabatteurs qui ne disposent pas de contrat de travail. « Un forfait touristique comprend l’avion, l’hébergement (hôtel) et tout autre service qui ne représente pas une part significative du forfait, selon la définition juridique prévue par la loi », précise le président de l’ACEF. Sur ce point, c’est certainement la facturation des visas qui constitue l’infraction la plus lourde dans l’ardoise des agences de voyage. « Les visas sont obtenus gratuitement auprès du consulat mais sont tout de même facturés par les agences de voyages ! Beaucoup de fidèles l’ignorent et sont choqués de l’apprendre ». L’absence de contrat de voyage et donc d’un devis détaillant la facturation expliquerait cette ignorance du pèlerin. « Les agences touchent déjà des commissions lorsqu’elles effectuent des réservations auprès des hôtels ou des compagnies aériennes. Les Espagnols paient eux leur hajj 3900/4000 €, les Hollandais 4200 €, les Belges à 4500 €, et tous sont logés à proximité de la Kaaba. En France, on nous le facture à 5400 € pour un hébergement à 5 km des Lieux saints, à quoi s’ajoute les frais de taxis. Cette question doit être soulevée par la justice française. Nous sommes dans un état de droit », entonne le responsable associatif.

Pour M. Dakir, la facturation des frais pour une agence (hôtel, avion, frais annexes) ne dépasse pas 3500 € par pèlerin, le reste constituant une marge disproportionnée. « Il n’y a aucune transparence dans le marché du hajj », poursuit-il. Au total, une soixantaine d’agences de voyage et de nombreux rabatteurs pourraient faire l’objet de poursuites judiciaires par l’ACEF très prochainement, pour « non-respect du code du tourisme, du code du travail, d’infraction à la directive 90/314/CEE de Bruxelles sur le forfait touristique qui n’est pas appliqué ». M. Dakir espère que des condamnations judiciaires aboutissent à une réforme du marché par les acteurs économiques vers plus de transparence et de légalité. Une réforme qui garantirait l’ouverture vers une concurrence qui servirait à son tour de levier vers une baisse des prix. « Nous allons essayer d’obtenir un blocage judiciaire de certaines agences avant le prochain hajj. Vu ce que nous avons découvert sur elles, il n’est pas possible qu’elles poursuivent leurs activités. A titre d’exemple, une seule de ces agences a déjà laissé 440 personnes sur le carreau », a ajouté M. Dakir. Le prochain hajj débute en août prochain.

Vers un nouveau statut du hajj

A la lumière de cette investigation, la conclusion est sans appel : le hajj est devenu un enjeu commercial capital pour tout un système d’acteurs clairement identifiés au sein d’un marché particulièrement occulte pour le grand public. L’augmentation exponentielle des prix a créé une véritable rupture sociale intracommunautaire, le hajj n’étant désormais accessible qu’à une classe moyenne supérieure parmi les musulmans. De nombreuses familles comptant au moins deux pèlerins par départ (couple, parents ou parent/enfant), le budget s’élèverait donc à 11000 ou 12000 euros par famille ! Et la tendance est à la hausse, diminuant progressivement le quota de fidèles solvables financièrement pour accomplir le pèlerinage. Dans ces conditions, le pèlerinage pourrait devenir un pilier islamique réservé à une bourgeoisie urbaine, très loin de son sens et de son importance dans la vie du musulman. La question est donc posée : comment remédier à cette dérive marchande et sauver le pèlerinage du marché ? Trois niveaux d’analyse et d’action doivent être identifiés. La question des prix pour commencer. Pour les observateurs, seule une ouverture régulée à la concurrence pourrait entraîner une augmentation de l’offre et par ricochet, une baisse concurrentielle des prix. Cette conclusion est vrai à court et moyen terme, mais elle ne solutionne en rien le problème dès lors que l’emprise marchande n’est nullement remise en cause, mais sa logique, au contraire, renforcée. Tant que le marché fixera les prix et les conditions d’accomplissement du hajj, ce dernier restera prisonnier des tendances et des pratiques commerciales des agences et des autres acteurs informels.

Il est donc temps qu’un statut particulier soit créé pour le hajj. Un statut garantissant aux fidèles l’accomplissement de cette obligation religieuse à une époque où les moyens de transports et les nouvelles technologies ont largement démocratisé sa pratique. Ce statut permettrait aux fidèles de conserver un tarif protégé des fluctuations du marché et des pratiques commerciales déloyales, un tarif réduit à son seuil incompressible de dépenses (transport, logement)

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D’autres pensent à la possibilité de proposer des offres de « hajj éthique », suggérant l’idée d’une organisation aux tarifs et aux modalités d’accomplissement conformes à l’éthique islamique. Le second niveau est judiciaire. Il consiste à porter devant les tribunaux les nombreuses affaires de fraudes et de pratiques illégales des agences de voyages. Pour les acteurs sociaux engagés dans ce processus, des condamnations pourraient servir d’électrochoc et contribuer, d’une part, à remédier aux fraudes, et d’autre part à créer les conditions d’un accès réglementé, transparent et encadré contractuellement à l’organisation du hajj. Cette approche est importante et indispensable. En cas de succès, elle établira un premier contre-pouvoir au marché à travers l’autorité du droit et la puissance de la loi. Ceci étant dit, il serait naïf de croire que l’option du tout judiciaire suffira à résoudre l’épineuse équation du hajj et sa libération de l’emprise marchande, qui reste le nœud gordien du problème. Il y a donc tout lieu de penser qu’une troisième solution plus ambitieuse doit être pensée et préparée à long terme : la définition et l’élaboration d’un nouveau statut du hajj. Le hajj est une pratique religieuse, une obligation canonique pour ceux qui en ont les moyens. Cette dernière précision est régulièrement rappelée à ceux qui dénonceraient par trop les injustices du système actuel, par des acteurs du hajj, trop réticents à remettre en cause ce marché, soit qu’ils s’en considèrent incapables par son ampleur, soit qu’ils en tirent eux-mêmes un bénéfice pécuniaire appréciable. Or, cet argument est irrecevable car il suppose des conditions économiques et un fonctionnement structurel du pèlerinage réduit à sa normalité, à ses conditions courantes et naturelles de fonctionnement. Ce à quoi nous assistons ces dernières décennies n’a strictement rien de naturel ou de légitime. L’envolée exponentielle des prix, la multiplication des fraudes à tous les échelons, la prise en otage économique des Lieux saints par le royaume saoudien avec la complicité des agences et des rabatteurs, n’a rien de licite sur le double plan de l’éthique islamique et de la loi.

Du nécessaire soutien politique et juridique

Il est donc temps qu’un statut particulier soit créé pour le hajj. Un statut garantissant aux fidèles l’accomplissement de cette obligation religieuse à une époque où les moyens de transports et les nouvelles technologies ont largement démocratisé sa pratique. Ce statut permettrait aux fidèles de conserver un tarif protégé des fluctuations du marché et des pratiques commerciales déloyales, un tarif réduit à son seuil incompressible de dépenses (transport, logement). Un tel statut ne peut voir le jour qu’appuyé, soutenu et garanti juridiquement et politiquement par des acteurs institutionnels publics, nationaux et internationaux. L’organisation de la coopération islamique pourrait être l’espace privilégié pour débattre et défendre ce statut, à condition que les gouvernements des pays musulmans s’en emparent. Dans la mesure où un tel statut ne peut aller que dans les intérêts de leurs pays, et malgré les relations économiques très étroites entre plusieurs pays musulmans avec Riyad, cette question, qui coïncide avec celle de la co-organisation internationale du pèlerinage, ne pourra plus être éludée plus longtemps. Des pays européens pourraient même faire leur entrée à l’OCI, au vu de l’importance démographique de leurs communautés musulmanes, pour défendre cette mesure. Les institutions du culte musulman garantiraient pour leur part, pays par pays et en coordination avec le ministère du culte, les conditions d’application et de respect de ce statut auprès des prestataires de service (agences, compagnies aériennes, complexes hôteliers). Les modalités d’applications d’un nouveau statut du hajj peuvent être débattus et pensées diversement. Mais il est certain aujourd’hui que le pèlerinage musulman ne peut plus être l’otage d’une question de souveraineté nationale et d’une politique marchande des plus voraces en ce domaine. Si ces échéances semblent éloignées, initier un débat sérieux et au plus haut sommet sur ce sujet ouvrirait de manière positive une première brèche significative dans le mur de l’indifférence et de l’apathie, à nos yeux irresponsables, des acteurs religieux sur cette question.

Fouad Bahri

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