A l’approche du commencement du pèlerinage (hajj), il n’est pas inutile de s’interroger sur le sens réel du pèlerinage et sur les objectifs spirituels que son accomplissement permet d’atteindre pour un musulman. Sur Mizane.info, Abd-al-Wadoud Gouraud nous apporte son éclairage dans un texte en deux parties.
« Les hommes ont, vis-à-vis de Dieu, la charge de faire pèlerinage à la Maison sacrée, (du moins) pour qui a la capacité de trouver un chemin vers elle. Quant à ceux qui ne croient pas… Dieu n’a nul besoin des mondes ! »[1]
Selon la majorité des juristes musulmans, ce verset marque l’obligation du pèlerinage à la Maison sacrée pour qui a la capacité de trouver un chemin vers elle.
Le compagnon Abû Hurayra rapporte que le Messager de Dieu (que la grâce et la paix de Dieu soient sur lui) fit un sermon, et dit : « Ô Gens ! Dieu vous a prescrit le pèlerinage. Faites-le ! » Un homme lui demanda : « Est-il obligatoire tous les ans, messager de Dieu ? » Comme le Prophète restait silencieux, l’homme répéta trois fois la même question. Alors le messager de Dieu répondit : « Si je disais « oui », cela deviendrait pour vous une obligation que vous ne seriez pas capables d’assumer. » Puis il ajouta : « Tant que je me tais sur une question, ne m’interrogez pas à ce sujet. Ceux qui étaient avant vous ne doivent en effet leur perte qu’à leurs nombreuses questions et à leur 0divergence avec leurs prophètes. Quand je vous ordonne quelque chose, faites-en autant que vous le pouvez, et quand je vous interdis quelque chose, abstenez-vous-en ! »[2]
La bienveillance du Prophète
Ce rappel du Prophète à ne pas se perdre dans des discussions futiles par rapport à la réalisation de la Volonté divine, ainsi que l’enseignement coranique concernant la capacité ou l’incapacité du croyant à effectuer les rites du pèlerinage, au moins une fois dans la vie si possible, sont porteurs d’une sollicitude bienveillante particulière.
Celle-ci est d’autant plus évidente si l’on considère l’accomplissement du pèlerinage à la Maison de Dieu, non seulement du point de vue humain comme un devoir, mais aussi et d’abord, du point de vue divin, tel que le suggère l’ordre même des mots en langue sacrée dans le verset ci-dessus, comme un droit de Dieu à la charge des hommes. Certains savants rappellent alors que ce droit divin au tribut des hommes fait que le pèlerinage est une forme d’adoration qui ne saurait être reconnue à nul autre que l’Adoré Lui-même. L’unicité de l’Essence divine exige de Lui vouer un culte exclusif.
Dieu n’a nul besoin des mondes ! nous dit le verset. Que les hommes honorent ou non ce droit ou ce devoir, cela ne change rien à Sa Réalité Absolue. Bien plus, la Transcendance et l’Indépendance de Dieu vis-à-vis des mondes impliquent pour le pèlerin la possibilité d’accéder à un niveau supérieur de relation avec Lui, dans lequel le serviteur prend conscience d’être totalement dépendant du Seigneur des mondes, et de ne pouvoir subsister et agir que grâce à Lui.
Le croyant ne serait pas en mesure d’accomplir le pèlerinage si, au-delà de ses intentions qui doivent quoi qu’il en soit être purifiées, il n’était pas appelé à être pèlerin et hôte du Tout-Miséricordieux dans les lieux saints. Dieu a établi sur terre la visite à Sa Maison sacrée, la Kaaba, pour accueillir la réponse de l’homme à Son appel : labbayka Allâhumma labbayka, « me voici à Toi, Allâhumma, me voici à Toi ! »
Le pèlerinage, un retour vers Dieu
L’appel au pèlerinage vient éveiller en lui le souvenir de Dieu, gravé dans sa prime nature. L’être humain porte en son cœur la nostalgie du Paradis, son état primordial. Il est par nature porté à retourner à son origine céleste. La tradition rapporte qu’après la chute d’Adam du Paradis, celui-ci commença à se sentir seul, et se mit à se lamenter de ne plus entendre la voix des anges. Dieu lui répondit alors : « Ceci est la conséquence de ta faute. Va et construis-Moi un temple ; tu tourneras autour de celui-ci et tu M’invoqueras comme tu as vu les anges le faire autour de Mon trône. »[3]
Le pèlerinage à la Maison de Dieu représente l’un des plus signes les plus évidents de cette quête du Divin, un voyage extraordinaire de retour, qui a été rendu possible, depuis l’acte fondateur d’Adam jusqu’à nos jours, grâce à la reconstruction de la Kaaba par le prophète Abraham et son fils Ismaël, à la suite du déluge, puis grâce à la restauration et réorientation des rites du pèlerinage par le Prophète Muhammad sur ordre de Dieu. Depuis lors, des millions de pèlerins, tous descendants d’Adam et Eve, provenant du monde entier, d’ethnies, de cultures et de couleurs diverses, convergent vers le centre spirituel, tournent, circulent, invoquent, glorifient, se prosternent, en correspondance avec la multitude des anges dans les mondes supérieurs.
La convergence au centre réunifie les hommes, réordonne les dimensions de l’être, fait le lien entre la Terre et le Ciel, remet l’humanité dans l’axe de l’Esprit.
Comme on le sait, avant d’entrer dans les lieux saints, le pèlerin doit quitter ses vieux habits, faire les grandes ablutions, et effectuer l’acte de sacralisation en revêtant deux pièces d’étoffes blanches sans couture, en signe de détachement par rapport aux habitudes acquises au cours du temps, par rapport aux formes éphémères et aux rôles illusoires de la vie en ce monde.
Le jaillissement intérieur de la source divine
Selon certains maîtres comme l’imam al-Ghazâlî, ce dépouillement implique même de se détacher de tous les mondes, parce que le statut du pèlerin prévoit une relation spéciale, exclusive, avec son Seigneur, suivant la dynamique imprimée par Dieu Lui-même.
Face à la Kaaba, au cœur des lieux saints, là où la réalité de Dieu, dans Sa transcendance et Son immanence, se rend plus accessible aux hommes, le pèlerin participe à un rythme nouveau qui marque tous ses pas, mouvements, faits et gestes, dans les moments proprement rituels comme dans les moments de repos, à l’état de veille ou endormi.
Sans une concentration constante sur la présence spirituelle et sur la dynamique sacrée, le pèlerin ne réussirait ni à entrer dans le mouvement rituel des tawâf, ni à en sortir, il ne saurait pas non plus à quel moment marcher ou courir entre les collines de Safâ et Marwa, dans les pas d’Agar, femme du prophète Abraham, qui cherchait de quoi abreuver son fils Ismaël.
Le jaillissement de la source miraculeuse de Zamzam en plein désert vint récompenser, au-delà de toute mesure, l’amour dévoué de cette mère dotée d’une confiance totale en Dieu, Lui qui n’abandonne jamais un cœur sincère, qui sait étancher toutes les soifs, qui donne Ses grâces avec profusion.
Abd-al-Wadoud Gouraud
Notes :
[1] Coran, 3 : 97.
[2] Hadith rapporté par Muslim.
[3] D’après un récit d’Ibn ‘Abbâs rapporté dans certaines exégèses du Coran.