Le 10e jour de Muharram, ‘Achoura, est porteur d’une double célébration chez les musulmans. Chez les sunnites, ce jour est marqué par un jeûne célébrant la libération et la victoire des fils d’Israël emmenés par Moïse, face à la tyrannie de Pharaon. Chez les chiites, elle commémore la tragique fin de Hussayn, le fils de ‘Ali ibn Abi Talib et petit-fils du Prophète, ainsi que de sa famille, tués par l’armée de Yazid auquel il refusa de faire allégeance.
‘Achoura devrait unir. Et pourtant, aujourd’hui encore, elle divise sunnites et chiites comme deux cortèges se faisant face et se dévisageant du regard. Pour les premiers, ‘Achoura, le dixième jour du mois sacré de Muharram, célèbre une tradition authentique du Prophète. Elle consiste à jeûner ce jour comme les Juifs de Médine le faisaient en l’honneur de la victoire et de la libération des Fils d’Israël et de Moïse qui fit face à la tyrannie et à la démesure de Pharaon. « J’ai plus de droit de me réclamer de Moïse que vous car il est mon frère dans la prophétie » avait répondu le Prophète (PBDSL) aux Juifs de Médine. Ce jour suivi ou précédé d’un autre jour de jeûne est une pratique traditionnelle chez les musulmans sunnites.
La résistance héroïque de Hussayn
Mais ‘Achoura est aussi la date commémorant l’assassinat tragique et cruel du petit-fils du Prophète, Hussayn Ibn Ali ibn Abi Taleb et de sa famille. Ce dernier, après la mort de Mu’awiyya et l’accession au pouvoir de son fils Yazid, refusa de lui prêter allégeance. Hussayn souhaitait sauvegarder l’esprit et la lettre du Message de son grand-père contre la déviance du régime instauré par Mou’awiyya et le système de monarchie héréditaire qu’il inaugurait à travers l’accession de Yazid. Il ne pouvait se résoudre à le laisser ruiner les fondations spirituelles et temporelles de l’islam. Les conditions particulièrement atroces de sa fin ont créé un traumatisme dont la communauté musulmane ne s’est toujours pas remise. Trahi par ceux qui lui avait prêté allégeance à Koufa, qui l’abandonnèrent face à l’ennemi, Hussayn symbolise le courage et l’intégrité face à l’injustice politique.
Ce double symbole mosaïque et hussaynien devrait être une occasion et une opportunité de rapprochement entre sunnites et chiites, tous également attachés à ces deux figures islamiques.
Il est ainsi curieux et révélateur de constater que les deux événements convergent pleinement. Seul l’issue a divergé : la victoire de Moïse, la mort de Hussayn. Evidemment les deux situations ne sont pas à strictement parler comparables et nous ne les comparons pas. Moïse est un Messager de Dieu, prophète, l’homme qui parla à Dieu et qui conduisit son peuple après une succession de miracles et d’épreuves hors des terres égyptiennes. Hussayn est le petit-fils et héritier du message d’un autre Messager, le Sceau des Prophètes, Muhammad (PBDSL).
‘Achoura, symbole de la lutte contre l’injustice
Ce qui retient notre attention est la cause qui réunit ces deux événements. Dans les deux cas, la lutte contre la tyrannie et l’injustice est symbolisée par deux figures islamiques de rang divers. Telle est l’essence de l’enseignement à retenir. L’islam est une religion fondamentalement anti-tyrannique. La tyrannie et l’injustice politique ou religieuse sont des expressions de l’hubris, terme que l’on retrouve dans le vocabulaire arabe de tagha qui a donné taghout, idole, tyrannie, excès et démesure. Il est tout aussi intéressant de constater que les deux petits-fils du Prophète, Hassan et Hussayn, symbolisent à leur tour deux voies pour mener à cette unité.
Hassan comme on le sait a réuni une armée forte après son accession légitime au califat pour ramener Mou’awiyya à la raison. Mais pour éviter la perspective et la reconduction de guerres fratricides qui avaient déjà ensanglanté la communauté musulmane sous le règne légitime de son père ‘Ali qui tenta d’y mettre un terme en rappelant lui aussi à la raison le même Mou’awiyya, Hassan fit le choix de renoncer à son califat et de le laisser à Mou’awiyya.
Hussayn, dans des circonstances différentes, fit un autre choix. Celui de se soulever, et fort croyait-il, du soutien d’un nombre important de ses partisans de Koufa, de refuser le diktat de Yazid et de tout ce qu’il symbolisait. Abandonné et livré à lui-même, Hussayn livra bataille avec 72 personnes contre une armée de plusieurs milliers de soldats. S’il perdit la vie et la bataille ce jour-là, Hussayn remporta celle des cœurs et des esprits en se hissant au rang de symbole.
‘Achoura : de la dualité formelle à l’unicité du message
Ainsi donc Achoura symbolise à double titre la lutte pour la liberté religieuse et pour la justice contre la tyrannie. Si ‘Achoura est duel dans sa forme, il est unique dans l’essence de son message, et c’est ce message que doivent célébrer en commun musulmans sunnites et chiites.
Ce double symbole mosaïque et hussaynien devrait donc être une occasion et une opportunité de rapprochement entre sunnites et chiites, tous également attachés à ces deux figures islamiques. Un rapprochement qui devrait être d’ailleurs considéré comme un devoir islamique tirant sa force et sa légitimité de la Réalité même de l’Unicité Divine (at-Tawhid). Ce symbole ne devrait pas les réunir dans la douleur mais dans la joie mosaïque de la libération et la beauté hussaynienne du sacrifice héroïque du martyr pour la plus noble des cause, tout comme, dans un autre registre, le sacrifice de Léonidas et de ses 300 face aux armées innombrables de Xercès, est devenu, dans la culture occidentale, un symbole de la liberté.
Fouad Bahri
A lire également :