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mardi 24 décembre 2024

Affaire Iquioussen : l’Etat met la pression sur les mosquées

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à l’occasion d’une discussion avec des responsables associatifs du 77, à l’esplanade des religions, à Bussy-Saint-Georges. ©CDCM77.

Depuis le commencement de l’affaire Hassan Iquioussen, plusieurs responsables de mosquées ont été interpellés par différents services d’état au sujet de leur soutien affiché à l’imam. Mizane.info s’est entretenu avec eux. Le décryptage de la rédaction.

Darmanin met la pression. Depuis la décision du tribunal administratif de Paris de suspendre l’expulsion de Hassan Iquioussen du territoire national prononcée par la préfecture du Nord, le ministre de l’Intérieur ne chôme pas.

Plusieurs responsables de mosquée ont témoigné avoir été sollicités par des services d’état pour répondre à des questions sur les motivations réelles de leur soutien à Hassan Iquioussen.

Accusé par le ministre de l’Intérieur de propos antisémites, de favoriser l’inégalité entre hommes et femmes, qualifié de « radicalisé », l’imam et conférencier du Nord, très connu dans la communauté musulmane française, avait été soutenu par plusieurs dizaines de mosquées dans toute la France. Pour ses nombreux soutiens, ces accusations sont sans fondement et ne reflètent en aucun cas les positions et le discours de M. Iquioussen. Ce dernier a même porté plainte contre M. Darmanin pour diffamation.

Affaire Iquioussen : un ministre qui joue gros

De quoi mettre le ministre sur les nerfs, lui qui a fait de cette expulsion un enjeu politique. Un désaveu juridique de la part du Conseil d’état, qui examinera l’appel de Gérald Darmanin le 26 août, lui coûterait politiquement très cher.

Décidé à prendre les devant, le ministère de l’Intérieur a donc ouvert deux fronts pour obtenir l’expulsion d’un des imams les plus influents de France.

Le premier front est celui des mosquées, notamment celles qui ont soutenu Hassan Iquioussen.

Des préfectures et certains services de renseignement sont entrés en contacts ces derniers jours avec des responsables de mosquées.

A Ozoir-la-Ferrière, dans le 77, l’un d’eux témoigne à Mizane.info avoir été contacté par un service que son association ne connaissait pas.

« Une personne m’a appelé et s’est présentée comme faisant partie du « renseignement territorial de chessy ». C’est la première fois que j’entendais cette dénomination. Habituellement, des membres des services de renseignements français nous avaient déjà contacté en venant nous voir sur place pour discuter de différents sujets. Là, c’était autre chose. Un monsieur m’a demandé pourquoi notre association avait soutenu l’imam Iquioussen. Je lui répondu que nous nous étions déjà exprimés dans notre communiqué et que je n’avais rien à ajouter. Il n’a pas insisté. » D’autres membres de l’association ont été contactés mais n’ont pas répondu.

Renseignement et mosquées : les dessous sécuritaires d’une relation

En réalité, la prise de contact d’agents issus de la Direction générale de la sécurité intérieure, d’agents préfectoraux ou de policiers, avec des responsables musulmans, est devenu un fait banal en France. La plupart des mosquées sont confrontées à cette gestion politique et administrative située à mi-chemin entre la logique de fonctionnaires faisant leur travail de renseignement et le climat de suspicion national visant l’islam.

Cette fois, l’initiative s’inscrit dans un climat politique différent, un climat post-loi contre le séparatisme, et à la faveur d’une orientation politique largement influencée par la nouvelle donne parlementaire du Rassemblement national de Marine le Pen (89 députés) et la ligne de la droite extrême incarnée par LR (69 députés).

Autre exemple, toujours en Seine-et-Marne (77), le Conseil départemental du culte musulman (CDCM 77) a été « convié » à une réunion avec la préfète déléguée pour l’égalité des chances Nadège Baptista, le 9 août dernier. Fort de ses seize associations membres, le CDCM 77 a donc été lui aussi « invité » à s’expliquer sur les raisons du soutien des seize mosquées à Hassan Iquioussen.

Une première « information » sur cette réunion, dont Mizane.info a pris connaissance, avait fuité et a été partagée sur certains réséaux sociaux. Selon elle, la réunion à la préfecture s’était faite en présence des seize responsables de mosquées, dans un climat « houleux » et « « tendu ». Les clercs musulmans y auraient renouvelé leur soutien au prédicateur nordiste, déclarant que dans leurs mosquées, les propos de l’imam Iquioussen avaient toujours respecté la loi. Les responsables auraient également dénoncé un traitement digne de « mineurs » qu’ils subissaient à travers cette convocation.

Soutien à Hassan Iquioussen : des mosquées dans le viseur de Darmanin

Contacté par la rédaction de Mizane.info, le président du CDCM 77 Abdelaziz Abderrahmane nie catégoriquement cette version.

« C’est faux. Nous n’avons pas été convoqués. Nous nous réunissons souvent avec la préfecture, au moins 4 fois par an. Nous avons discuté de cette affaire Iquioussen dans une bonne ambiance, constructive et franche. Côté musulman, nous n’étions que trois, les trois membres du bureau de la CDCM 77 et non 16. » Selon M. Abderrahmane, un compte-rendu a ensuite été fait aux membres des associations. Qu’en ont-ils pensé ? « Information interne », nous a rétorqué le président du CDCM 77, visiblement tendu.

Autre information confiée à notre rédaction par une source proche de ce dossier, la sous-préfecture de Valenciennes aurait contacté par téléphone plusieurs mosquées pour leur fixer des rendez-vous individuels dès la semaine prochaine. Aucun courrier, ni message électronique, aucune procédure officielle. Ce qui soulève plusieurs interrogations tant sur la méthode que sur la finalité poursuivie. « Il est possible qu’une directive nationale ait été donnée pour contacter les mosquées signataires de communiqués de soutiens pour peut-être obtenir une rétractation de certaines d’entres elles que l’Etat fera valoir au Conseil d’état ou vérifier seulement si elles soutiennent réellement Hassan Iquioussen« , a commenté cette source.

Le 4 août dernier, Gérald Darmanin mettaient déjà en garde les mosquées qui ont soutenu Hassan Iquioussen. «Toutes les mosquées qui le soutiennent sont dans le viseur», avait-il déclaré à nos confrères de la Voix du Nord. « Sur la centaine de mosquées qualifiées de séparatistes, il y en a une trentaine qu’on peut remettre ‘dans le droit chemin’ de notre modèle républicain, il y en a eu 23 dont au contraire j’ai constaté qu’elles étaient en dehors de nos règles et qui ont été fermées. Il y en a donc une cinquantaine qui mérite notre contrôle, dont toutes celles qui soutiennent Hassan Iquioussen », poursuivait Gérald Darmanin sur un ton martial.

Une épée de Damoclès sur la tête des imams

Ce n’est pas la première fois que le ministre emploie ce type de rhétorique sans doute destinée à intimider les responsables de mosquées les plus influençables tout en exhibant une fermeté politique aux critiques de l’action menée par le gouvernement d’Emmanuel Macron. Des propos similaires avaient été tenus au moment de la fermeture de plusieurs mosquée, dont celle de Pessac. Cette dernière a été réouverte par décision de justice, le Conseil d’état jugeant la fermeture abusive.

Raison pour laquelle, le ministre de l’Intérieur a également averti le Conseil d’état qu’une décision prononcé en faveur de Hassan Iquioussen le pousserait à défendre le dépôt d’une nouvelle proposition de loi plus offensive sur le sujet. D’aucuns y ont vu une pression à peine voilée exprimée à l’encontre de l’institution qui doit bientôt statuer sur le cas Hassan Iquioussen.

Signe d’une nouvelle ère plus sombre pour l’islam de France, de nombreux imams refusent de s’exprimer directement sur cette affaire et de manière plus générale sur la politique conduite d’une main de fer par M. Darmanin sur la gestion de l’islam.

Peur, autocensure, fragilité d’un statut administratif qui les réduit au silence, beaucoup d’imams vivent très mal ce nouveau climat de frayeur sur fond d’autoritarisme politique qui caractérise le premier quinquennat Macron et qui augure d’un second quinquennat encore plus dure pour les libertés religieuses en France.

Et ce, quelques jours après la condamnation de Paris pour violation des libertés religieuses, par le comité des droits de l’homme de l’ONU.

« Ces déclarations sont inadmissibles »

Engagé dans l’imamat depuis 35 ans, acteur du dialogue interreligieux, Noureddine Aoussat témoigne de ce climat d’inquiétude. Il s’en est confié sur Mizane.info.

« Les mosquées ont soutenu Hassan Iquioussen dans sa dénonciation d’une décision d’expulsion politique et administrative à son encontre qu’elles jugent injustes. Je connais bien l’islam de France. Cela fait 35 ans que j’officie avec d’autres à réconcilier musulmans et non musulmans dans plusieurs mosquées et je peux dire qu’il n’y a pas de lieu de culte qui ait jamais rééellement cultivé un discours antirépublicain. Concernant certains des propos prononcés dans le passé par Hassan Iquioussen, il s’en est excusé et expliqué, a exprimé des regrets et donc de bonne foi, il est inutile de le lui reprocher sans cesse », a-t-il déclaré.

L’imam Noureddine Aoussat (à droite) avec le rabbin Gabriel Hagaï.

Noureddine Aoussat a été en outre choqué par les déclarations de Gérald Darmanin à propos « des mosquées qui se trouvent dans le viseur des forces de l’ordre ». « Ces déclarations sont inadmissibles et indignes d’un homme politique responsable. Que signifie cette expression de remettre les mosquéées « dans le droit chemin » ? Le droit chemin, en cette circonstance, c’est la loi et la loi ce n’est pas Gérald Darmanin. C’est la loi de la République. Si une mosquée enfreint la loi, il faut lui faire un rappel de la loi et de son respect. »

« C’est à la justice de déterminer ce qui est conforme au droit »

L’imam français nous a confié ses préoccupations sur l’orientation et les dérives potentielles d’une telle politique.

Il considère par ailleurs que le ministre a outrepassé ses prérogatives et ne rehausse pas, par ses déclarations, l’image de la France et de l’Etat français.

« Je rappelle que Gérald Darmanin avait fait part de sa volonté de faire baisser le score du Rassemblement national. Force est de constater que ce n’est pas ce qui s’est produit, bien au contraire, puisque le RN a explosé le nombre de ses députés. S’il souhaite vraiment faire baisser l’extrême droite dans notre pays, le ministre doit montrer qu’il est lui-même respectueux de la loi et non qu’il espère la changer quand cette loi ne lui plait pas. »

Enfin, M. Aoussat a mis en exergue dans cet entretien le fait que l’exécutif ne s’appuie pas sur la loi et le droit dans sa politique de lutte contre les mosquées et les imams ciblés, démontrant par-là qu’il n’y a pas de problème de respect des valeurs républicaines dans les mosquées.

« Si le ministre qui rappelle fréquemment le vote de la loi sur le séparatisme est déterminé à faire fermer des mosquées, qu’il le fasse alors dans le cadre d’une procédure judiciaire incluant le contradictoire. C’est à la justice, ajoute-t-il, de déterminer ce qui est conforme au droit. La police ne fait que veiller à son application. Aucune mosquée, à ma connaissance, n’a été fermée au terme de cette procédure judiciaire. Elles l’ont été par décision administrative, en exploitant les défauts dans le respect des normes de sécurité (ERP) mais jamais en raison des discours prononcés. »

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