Lhaj Thami Breze est le président d’Al Wakf France.
Association collectant des fonds destinés au financement de projets éducatifs et culturels, Al Wakf France s’est vu notifié par la préfecture de Seine-Saint-Denis une suspension de ses activité de six mois. Selon Europe 1, une enquête préfectorale accuserait Al Wakf France de soutenir le salafisme, de financer des lieux de culte et de ne pas respecter les procédures des appels au don. Lhaj Thami Breze est le président d’Al Wakf France. Sur Mizane.info, il répond à ces accusations et nie formellement tout financement du salafisme.
Mizane.info : Al Wakf France finance-t-il des mosquées salafistes ?
Lhaj Thami Breze : Nous sommes très étonnés de cet argument avancé dans la presse. Nous ne finançons pas et n’avons jamais financé de mosquées salafistes. Notre vision de l’islam est intégrationniste et privilégie un rapport pacifié avec notre environnement, dans une lecture adaptée à notre contexte. Nous avons déjà financé un institut de formation pour les enseignants de langue arabe, un projet rattaché à la mosquée de Cenon en Gironde (Bordeaux) où officie le grand imam Tareq Oubrou ! Pareillement, Al Wakf France finance l’institut de langue arabe au sein de l’institut européen des sciences humaines (IESH). Pour cette année 2022, nous avions décidé de ne plus financer d’activités cultuelles. Nous avons financé le Secours Populaire, la Fondation Abbé Pierre et nous avons participé à la campagne pour la lutte contre les maladies rares. Nous avons également fourni une subvention à une association qui offre des repas aux nécessiteux. Nous n’avons jamais agi contrairement à la loi. Notre fonds de dotation ne reçoit aucun financement, ni subventions, ni aides publiques d’état. Nous n’avons aucun locaux d’état mis à notre disposition, contrairement à ce qu’écrivent certains journaux. Nos revenus proviennent essentiellement de la location de deux bâtiments à Bondy et Limoges. Nous ne payons pas de taxes sur les revenus perçus de cette location, peut-être est-ce à cela qu’il est fait allusion.
Est-ce vrai que le financement des actions d’intérêt général ne représente qu’une petite partie des financements réalisés par Al Waf France ?
Oui c’est vrai. Au départ, Al Wakf France collectait des fonds pour financer la qualité d’un enseignement en langue arabe. Nous ne collections pas de fonds pour les mosquées, à l’exception du projet que j’ai évoqué à Cenon. La préfecture nous en a fait la remarque en août 2022. Nous avons aussitôt réagit et réorienté le financement de nos activités vers des projets d’intérêt général. A l’avenir, nous ne financerons plus d’instituts au sein des mosquées mais seulement des instituts autonomes.
Toutes les activités d’Al Wakf France sont-elles en accord avec ce qui est prévu dans ses statuts ?
Le financement de formations en langue arabe n’est pas mentionné dans nos statuts. Seulement le fait que nous aidons les activités susceptibles de permettre aux musulmans d’être épanouis dans leur compréhension de la religion musulmane à travers notamment les outils qui permettent cette compréhension parmi lesquels la langue arabe. Nos brochures et nos objectifs n’ont jamais prévus le financement de la construction de mosquées.
Les autorités vous reprocheraient de ne pas avoir demandé leur autorisation pour certains appels aux dons et de ne pas avoir mentionné l’objet que ces dons devaient financer….
En 2015, nous avions demandé l’autorisation de réaliser un appel à la générosité publique. Le règlement prévoit qu’en l’absence de réponse claire interdisant cet appel, cette absence de réponse vaut autorisation. Nous pensions que cette autorisation tacite était toujours valable. Nous avons appris par la suite que cette demande devait être renouvelée chaque année. Au moment où nous préparions les documents pour faire cette demande d’autorisation pour 2023, nous recevions la notification de la décision préfectorale suspendant les activités de Al Wakf France pour six mois.
Le but des levées de fonds était-il précisé ?
Notre brochure précise tous les buts de nos levées de fonds. Ces buts sont organisés autour de trois types de projets : 1) Soutenir les instituts où se pratiquent l’apprentissage de la langue arabe pour revenir à une compréhension de l’islam éloignée de tout excès. 2) Soutenir la production d’ouvrages présentant l’islam au grand public dans sa dimension civilisationnelle et historique. 3) Soutenir financièrement les établissements scolaires privés enseignant le programme de l’éducation nationale. Mais à la suite du courrier de la préfecture que nous avons reçus en août dernier, nous avons procédé à tous les changements demandés pour rester en conformité avec la législation.
Donc depuis août 2022, les activités d’Al Wakf France sont pleinement conformes aux exigences administratives de la préfecture. Comment expliquer alors cette suspension de six mois ? Est-ce une décision politique ?
Je suis étonné de cette décision de suspension qui a été prise sans connaître la position et le fonctionnement actuel d’Al Wakf France. On ne peut pas écarter la dimension politique de ce type de décision.
Envisagez-vous des recours ?
La possibilité d’un recours contentieux existe. Après en avoir discuté en interne, nous ne privilégions pas ce recours. Nous allons rédiger un mémoire présentant toutes nos activités et tous les financements que nous ferons parvenir à la préfecture accompagné d’un courrier où nous prendrons acte des demandes formulées de mises en conformité et où nous montrerons que ces demandes ont été appliquées à la lettre. Notre critère a toujours été le respect strict de la loi française et républicaine.
Voyez-vous dans cette décision de suspension un effet de la loi contre le séparatisme (loi confortant les principes républicains votée en 2021, ndlr) ?
Il y a la loi et il y a l’esprit de la loi. Une bonne loi nécessite une bonne foi et une bonne intention pour bien l’appliquer. Il existe parfois certaines lectures abusives et radicales de la loi comme il existe certaines lectures abusives et radicales de la religion. Mais nous avons confiance car la France est un pays de droit et de lois. Comme nous le répétons souvent, si des décisions politiques ou administratives contestables sont prises, nous avons toujours la possibilité de saisir la justice de notre pays en laquelle nous avons entièrement confiance.
Après les pressions administratives exercées contre l’Institut européen des sciences humaines (fermé pendant plusieurs mois, après l’expulsion de Hassan Iquioussen, cette mesure de suspension contre Al Wakf France montre que Musulmans de France reste bien dans le collimateur des services préfectoraux du ministère de l’Intérieur…
Nous ne comprenons pas cette orientation politique. Musulmans de France qui prône et diffuse un discours pacifique et intégrationniste associant islamité et francité, et il n’y a pas beaucoup d’autres structures qui le fassent, devrait être remercié et soutenu dans cette voie. Nous constatons le contraire. J’avais moi-même tenu au nom de Musulmans de France un discours à un dîner à la Grande mosquée de Paris soutenant la candidature d’Emmanuel Macron devant l’ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner. Aussi, ces décisions administratives nous laissent perplexes. Nous avons demandé à nous entretenir avec le ministre de l’Intérieur (Gérald Darmanin) pour en discuter. Notre demande n’a pas encore reçu d’aval.