La tension ne s’est pas atténuée entre l’Algérie et le Maroc, sur fond de conflit autour du Sahara occidental et du rapprochement israélo-marocain. Dans sa dernière chronique sur Mizane.info, Gianguglielmo Lozato, auteur du livre « Italie et Tunisie, entre miroir réfléchissant et miroir déformant »,nous dresse le portrait de Figuig, une localité située entre les deux pays.
Tout dernièrement, la zone méconnue de ce que l’on appelle en terre marocaine l’Oriental, c’est-à-dire la pointe Est du territoire national, a été en proie à de brusques et imprévisibles tensions.
Zone éloignée. Zone reculée. Zone isolée. Enclavée. Désertique. Les expressions et adjectifs fleurissent au milieu de la sécheresse pour qualifier la bande aride de l’Extrême Est du Royaume. Une portion de terre riveraine de l’Algérie et qui se trouve donc soumise à des soubresauts de contestations territoriales sur fond d’indifférence et de méconnaissance envers ce que l’on peut définir comme un microcosme à part entière.
Mais qui connaît vraiment cette zone hors des circuits touristiques classiques?
En exploitant la connaissance des conditions de base à la fois de la localisation et de la situation, pourra-t-on trouver des issues?
Un conflit frontalier
Un conflit frontalier. Plus exactement un conflit de voisinage centré sur la perception d’un tracé post-colonial aléatoire. Beaucoup de gens sont fautifs par rapport à cette approximation. Les torts sembleraient partagés, à première vue, par l’Algérie, la France, le Maroc. Toutefois cela reste à confirmer. Une trilogie donc inattendue au niveau diplomatique étant donné que les relations entre chacun des acteurs nommés sont d’ordinaire plus bilatérales, exclusives, cloisonnées.
L’objet de la contestation est une bande maroco-algérienne ou algéro-marocaine selon les versions. Une étendue aux palmiers luxuriants et prolifiques, du nom de El Arja, prolongement de la ville de Figuig dans l’esprit des fortifications du désert. Tout le mois de mars s’est polarisé autour de ce périmètre. Les Algériens plaidant la légitime territoriale, cependant redéfinie par des experts extérieurs comme en ont attesté quelques travaux de recherche étasuniens. Les Marocains dans l’ensemble n’ont pas réagi immédiatement. A l’exception des riverains directement concernés. Jusqu’à l’ultimatum posé par les forces d’interventions algériennes pour le 18 mars. L’occasion de manifestations énormes dans la cité « figuiguiya ». Mais avec dignité. L’occasion de constater les connaissances lacunaires de cette région et de son peuple aussi bien par les autorités algériennes que marocaines.
Un problème complexe lié à la souveraineté territoriale se pose urgemment. Un problème législatif et éthique dans le même temps ; la propriété privée est un droit fondamental inscrit dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, et de nombreux fermiers propriétaires terriens exploitent les terres objet de litige. Certains s’appuient sur des registres archivés de manière cadastrale donc officielle. D’autres sur la parole donnée. Le tout soumis à la déréglementation, conséquence d’un redécoupage des frontières fluctuant selon les circonstances et ne tenant pas compte des aspirations tribales régissant les lieux depuis l’Antiquité. A une période où seuls les Berbères étaient les occupants de l’Afrique du Nord. Suite à ce découpage à la règle, à l’équerre et au compas, quelques incompréhensions cartographiques et géopolitiques ont été ravivées épisodiquement, notamment avec la « Guerre des Sables » et lors de l’année 1972.
En 2021, les motifs de discorde sont confus. Il est reproché par les algériens aux marocains l’édification d’un pont ayant modifié l’accès à l’eau. Dans ce cas précis, ce ne serait pas le Roi du Maroc qu’il faudrait incriminer directement, mais plutôt les ingénieurs et spécialistes en charge du projet. Par la suite, la presse algérienne a reproché aux autorités marocaines d’attiser la colère dans son opinion publique. Un autre reproche a été avancé, et dont il faudrait mesurer l’impact avec prudence. C’est celui du trafic de drogue. Hypothèse plausible mais à vérifier. D’accord, le Maroc détient cette réputation de fournisseur. Cependant cela serait surprenant dans cette zone en particulier. Ou alors cela serait le fait de citoyens du royaume marocain non originaires de la région limitrophe dont il est ici question. Du côté des marocains, on spécule sur ce qui peut attiser les convoitises : les palmiers dattiers de qualité supérieure mais aussi l’existence présumée d’un gisement aurifère… Figuig et sa préfecture demeurent un mystère à découvrir.
Qui est Figuig, la majestueuse oasis ?
Ce qui marque à Figuig, c’est le calme paisible qui y règne en temps normal, avec la même image : celle d’une population réputée pieuse, intègre, travailleuse et ne se divertissant qu’à l’occasion de l’Aïd ou des mariages avec des pas de danse alliant un jeu des épaules qui diffèrent du reste du Maroc. Il ne s’agit pourtant pas d’un petit hameau de type « douar ». Néanmoins beaucoup des habitants de son agglomération ont un air de famille, mi-marocain mi pakistanais si l’on veut jouer au jeu des ressemblances, à l’exception de quelques familles au type plus négroïde. Ils sont particuliers les figuiguiens. Y compris lorsqu’ils sont établis à l’étranger. Bienveillance communautaire mais aussi surveillance des faits et gestes se voient facilitées par l’enclavement. La commune représente à elle-seule l’Extrême Ouest Marocain obligé de se débrouiller seul dans des conditions climatiques difficiles. Coincée entre les axes de communication problématiques desservant Oujda, Merzouga et Bouaarfa où le train parvient à s’ensabler. Cette vision longitudinale des choses est tout à fait appropriée pour nous faire comprendre le déficit de visibilité des figuiguiens.
Ceux-ci forment un groupe ethnique méconnu puisqu’isolé pendant très longtemps en raison des éléments naturels et du repli sur soi méfiant et identitaire. Une discrétion cultivée à l’excès. Cette arme défensive fait que les gens de la ville basés à l’extérieur (certains sont installés à Oujda ou à Berkane; d’autres en France ou en Belgique) auront tendance, lorsqu’ils sont expatriés, à nommer leur local « Café Oujda » ou « Café du Maroc » s’ils sont tenanciers d’un bar, plutôt que de choisir le nom de leur commune d’attache. Alors qu’ils auront tendance à l’utiliser pour d’autres commerces jugés plus respectables comme les compagnies de déménagement, de transports, les magasins de confection ou les commerces comme les boucheries (« La palmeraie de Figuig », à Paris) ou les restaurants (« Figuig » à Paris ou à Poitiers). Rester soi-même tout en s’accommodant à son environnement. Des ksour ancestraux aux métropoles occidentales. Ce qui étonne le visiteur pendant sa contemplation de Figuig, c’est l’omniprésence des vélos dans le tissu urbain. Un moyen de locomotion pratique et écoresponsable. L’âme figuiguienne. Des moyens de déplacement humbles défilant devant d’imposantes villas. Une clinique dernier cri mais un hôpital public qui tarde à se terminer. Même téléporté, le citadin local de base aura toujours l’instinct d’y revenir puiser la sérénité. Un aspect confirmé par Omar, installé en Région Parisienne, lunettes de cadre supérieur BCBG posées sur son regard malicieux affirme avec un sourire complice : « Malgré des habitudes parisiennes toute l’année, c’est un soulagement de venir s’y ressourcer ». Phrase confirmé par son frère Houssein, tout comme lui ingénieur de formation, au look chic un peu plus fashion, ajoutant avec une dose d’humour « c’est apaisant moralement. Mais bon il faut deux à trois tee-shirts par jour avec la chaleur accablante ». Difficile de les troubler les figuiguiens, ces hommes des oasis. Des palmeraies qui les ont rendus patients, prudents, pragmatiques. Mais aussi tenaces. Justement, le moment de vives négociations est venu.
Quelles issues ?
Les solutions à préconiser constituent un dossier aussi pesant que délicat à gérer. Pourtant il faut agir vite.
Porter cette affaire sur la scène internationale représente une des alternatives. Dans cette idée, le tissu associatif a monté un dossier à présenter devant le Tribunal International de La Haye pour se plaindre des expropriations. Le choix d’une instance de poids, choisie de surcroît dans un pays où vit une minorité marocaine influente.
Une autre possibilité pourrait être de nature beaucoup plus continentale, voire régionale. Elle consisterait en une simple réunion bilatérale entre les deux nations, sans autres contrées interférentes. Car le danger d’une médiation externe est qu’elle peut engendrer l’interprétation faussée. Ou l’arbitraire d’une décision jugée naïvement bonne et objective sur le seul critère expéditif de l’audit externe. Pour éviter d’en arriver là, Algériens et Marocains sont sommés par le chronomètre de se concerter au plus vite autour d’une table ronde. Une course contre la montre s’engage donc pour les dirigeants de chaque partie. Certes, les localités de Figuig et de Béni-Ounif ou Béchar, de part et d’autres des limites frontalières, sont voisines, ont quelques points en commun, mais diffèrent également. Un affrontement militaire ne ferait que faire empirer une situation globale rendue préalablement compliquée par l’affaire du Front Polisario et du Sahara Occidental. Avec des deux côtés, des hommes prêts à s’affronter étant donné le passé guerrier de Figuig (les troupes de Bouhamama contre l’armée française) et l’histoire coloniale algérienne très mouvementée. Le Maroc dispose de forces armées royales aguerries (les fameuses FAR, qui ont donné leur nom à un club de football à Rabat) dont les compétences s’exportent jusque dans les pays du Golfe. L’Algérie, elle, dispose de forces militaires bien visibles, à tel point que les hauts gradés se succèdent aux rênes du pouvoir de l’Etat. Des soldats algériens habitués à manœuvrer dans des conditions extrêmes pour la surveillance des sites pétroliers et gaziers. Est-ce pour autant une raison valable pour tout faire dépendre d’une vision martiale des choses ? L’issue militaire serait la plus simpliste mais pas la plus efficace à moyen terme. Sur place gouvernants et populations possèdent suffisamment d’informations pour tenir compte des sensibilités de chacun. Dans une région où l’on a privilégié très longtemps l’instinct tribal lié à chaque ksar. Celui qui présidait les ordres du jour devant le couscous fort pourvu de raisins secs, ou le trid variante spécifique locale de la rfissa marocaine.
Figuig et son micro-climat, c’est le véritable poste-frontière maroco-algérien. Les incidents de ces quinze derniers jours l’ont révélé. La tranquille petite localité marocaine est atypique. Tout comme sa situation. Tout comme son emplacement. Les issues sont des plus incertaines et contrastent avec l’habituelle régularité de la vie de tous les jours.
Vouloir mettre un nom sur cette situation fait changer de version dès lors que l’on soit de l’un ou l’autre des deux pays.
De ce fait, l’arbitrage international apparaîtrait nécessaire si un accord cordial ne surgissait pas dans les prochains jours. Mais il nécessiterait l’opinion de pays aux profils variés. Au lieu d’un monobloc occidental ou africain. A condition de pouvoir l’organiser. Ce dont on peut douter tant la tâche serait difficile à accomplir rapidement. Il faudrait donc privilégier la concertation entre les deux états maghrébins, pour éviter une ligne de démarcation faisant penser à celle entre les deux Corées.
Pour le moment, des habitants souffrent. Les Marocains de la région, mais aussi des Algériens pas forcément d’accord avec le pouvoir en place à Alger. Outre les êtres vivants, une autre catégorie est en train de souffrir. Ce sont les palmiers emblèmes de tout un écosystème vital, dont certains ont été déracinés et transportés par camions comme des cadavres sur un corbillard. « Les palmiers sont comme nous; Ils font partie de la famille. Les déraciner ce n’est pas logique du tout. Comme pour les gens » détaille Khadija, pâtissière habituée des allers-retours entre Seine-Saint-Denis et Figuig. Cette philosophie du palmier est à analyser. Newton avait eu son pommier inspirateur, la diplomatie a son palmier. Que ce soit à Biskra, en Algérie, qui a su créer tout un système universitaire. Que ce soit en Tunisie et son « Bled el Jerid », ou à Figuig, un palmier est généreux puisqu’on lui donne peu mais qu’il rend beaucoup. Un palmier célébré avec entrain mais sagesse par le grand chanteur chorégraphe tunisien Hédi Habouba par son refrain « galbi jrida » où il explique que son cœur est tel un palmier qui doit être compris feuille par feuille, datte par datte…
Gianguglielmo Lozato
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