Les déclarations de l’écrivain Michel Houellebecq assimilables à une apologie du terrorisme n’ont suscité aucune réaction publique du président de la République. Ces déclarations l’engage pourtant, lui qui a récompensé Houellebecq de la Légion d’honneur. Que va faire Macron ? Fouad Bahri pose la question dans un éditorial à lire sur Mizane.info.
« Quand des territoires entiers seront sous contrôle islamique, je pense que des actes de résistance auront lieu. Il y aura des attentats et des fusillades dans des mosquées, dans des cafés fréquentés par les musulmans, bref des Bataclan à l’envers. » Les mots sont pesés, « pensés » et exprimés avec une grande froideur. Ils sont pourtant d’une gravité extrême. De qui émanent ces propos publiés par la revue de Michel Onfray, Front Populaire ? De l’écrivain français le plus lu à l’étranger, l’un des phares, répète-t-on à l’envie, de la littérature française contemporaine. Son nom ? Michel Houellebecq.
Houellebecq l’incompris. Houellebecq l’insoumis. Houellebecq… le radicalisé. La dérive de l’auteur d' »Anéantir » et de « Soumission » semble poursuivre un long cours tranquille. Tranquille, car aucune réaction littéraire, politique ou philosophique ne semble vouloir freiner cette « extension du domaine de la lutte » contre l’islam et les musulmans. Comment le comprendre ?
Par le contexte. Les insultes, attaques, joutes verbales et sorties médiatiques anti-musulmanes sont un sport national en France. Des chaînes d’information en continu s’en sont faites le relais, et de plus en plus, la marque de fabrique.
La classe politique n’est pas en reste. Chaque élection, chaque campagne, est un moment privilégié pour s’en donner à cœur joie sur le voile, l’intégration, la laïcité, l’incompatibilité supposée de l’islam avec la France ou la République. Sur ce sujet, plus aucun parti n’a désormais le monopole en matière de surenchère rhétorique. Et dans ce contexte national, les mots ouvrent la porte à des actes.
Le nombre de mosquées taguées par des croix de Lorraine, des croix gammées ou directement incendiées ne cesse d’augmenter.
Un texte de loi contre le « séparatisme », notion fumeuse amalgamant de manière dangereuse des associations religieuses, lieux de culte (mosquées), entreprises ou espaces sociaux à une forme de posture qualifiée par le ministre de l’Intérieur « d’ennemie de la République », a ouvert la voie à une forme de criminalisation publique de toute structure fréquentée par des musulmans.
Le terrorisme de Daesh qui a douloureusement frappé ce pays a servi de prétexte pour les esprits les plus va-t-en guerre les encourageant à légitimer toute outrance contre l’islam. Comme si ce terrorisme était le pur produit de la communauté musulmane française. Comme si ce terrorisme, aveugle dans tous les sens de ce terme, ne frappait pas davantage de musulmans dans le monde.
Un caprice d’artiste ?
Il n’est donc pas surprenant que toutes les digues tombent les unes après les autres. Entre temps, un nouveau terrorisme, cette fois d’extrême droite, a surgi. Des meurtres ouvertement racistes (l’affaire des trois Kurdes tués à Paris) sont commis sur la place publique, des tentatives d’attentats racistes (affaire de l’Action des forces opérationnelles en 2018) sont planifiés, mais le parquet national antiterroriste ne semble pas encore prêt à les saisir pour les qualifier de terrorisme. Ce terme reste pour le moment l’apanage de l’islam.
Revenons à Houellebecq. Dans la presse française, l’épisode a été présenté comme un simple dérapage raciste, une provocation coutumière pas très éloignée d’un caprice d’artiste. De nombreuses rédactions ont souvent fait le focus sur une autre citation ouvertement raciste de l’écrivain français, : « Le souhait de la population française de souche, dit-il, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, mais qu’ils cessent de les voler et de les agresser. Ou bien, autre solution, qu’ils s’en aillent. »
Raciste, cette déclaration l’est incontestablement et elle mérite condamnation. Mais focaliser davantage sur cette citation, c’est occulter la plus grave d’entre elles. Annoncer « des attentats et des fusillades dans des mosquées, dans des cafés fréquentés par les musulmans, bref des Bataclan à l’envers », et qualifier ces actes de « résistance », constitue une infraction autrement bien plus grave puisqu’il s’agit d’apologie de terrorisme.
Pourquoi ? Parce que l’écrivain français ne se contente pas de décrire un hypothétique futur français apocalyptique, fantasmé ou non, comme cela a pu être dit. Il porte un jugement de valeur et considère que ces attentats relèveraient d’un « acte de résistance », donc qu’ils seraient quelque part légitimes. Une ligne rouge a bien été franchie.
La réponse insuffisante de Dupond-Moretti
Face à ces déclarations, comment la classe politique politique française a-t-elle réagi ? Qu’a dit par exemple le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, si prompt à fermer des mosquées pour un post facebook ? Absolument rien.
La seule réaction a émané, bien que tardivement, du ministre de la Justice, Eric Dupond-Morretti.
Sur BFM-TV, l’homme a exprimé sa consternation. « Dire que les musulmans ne sont pas des Français comme les autres, c’est insupportable. Dire qu’ils sont des voleurs… Tout ça génère la haine, c’est contraire à toutes les valeurs qui sont les miennes (…) On a banalisé ce type de propos. Il y a 15 ans, on serait tous monté en première ligne pour les dénoncer. On s’est habitué à ça. C’est ce qu’Hannah Arendt appelait la banalité du mal »
La sortie du ministre de la Justice est naturellement à saluer mais elle-aussi pèche par son absence de référence explicite à l’apologie du terrorisme, pour se concentrer seulement sur les propos racistes de Houellebecq.
Quand au président de la République, il a fait le choix du silence. Mais jusqu’à quand ?
Emmanuel Macron, rappelons-le, a remis en 2019 la légion d’honneur à Michel Houellebecq. Cette décision l’engage donc moralement et judiciairement dans cette affaire. En tant que chef de l’Etat, Emmanuel Macron est garant de la sécurité nationale et de l’ordre public. Il ne peut rester silencieux sur une affaire aussi grave.
Retirer la légion d’honneur à Houellebecq est un préambule indispensable mais non suffisant. Le parquet national antiterroriste se doit également d’ouvrir une enquête et la justice doit se saisir de cette affaire. Eviter que les pires fantasmes d’un esprit travaillé par les démons littéraires de la violence deviennent, demain, réalité, c’est agir aujourd’hui pour prouver que la justice républicaine n’est pas une illusion mais bien une réalité.
Fouad Bahri