Le refus de Macron d’allonger l’IVG à 14 semaines a provoqué un vent de réaction politique réclamant le droit aux femmes de disposer de leurs corps et d’interrompre leur grossesse comme elles le souhaitent.
« L’IVG est une conquête immense pour les femmes et pour les hommes, pour la dignité et l’humanité de tous. Mais je mesure le traumatisme que c’est d’avorter… ». Dans un entretien paru dans le magazine Elle, le chef de l’État français s’est opposé à un allongement du délai d’interruption volontaire de grosse à 14 semaines préconisé par un texte de loi déposé par un groupe de députés dont Albane Gaillot, Delphine Bagarry et Delphine Batho et voté le 8 octobre dernier à l’Assemblé nationale.
D’après Marianne qui a consacré deux articles au sujet, le texte pourrait ne pas être examiné au Sénat avant longtemps.
« Le groupe EDS, qui n’existe pas à la chambre haute, n’a aucunement la main sur l’ordre du jour sénatorial. « Sur les quatre semaines par mois, deux semaines sont réservées au gouvernement, qui inscrit en général ses propres textes », explique le collaborateur d’un sénateur. Or, le gouvernement n’a pas soutenu le texte sur l’IVG, jugé trop sensible », écrit Louis Hausalter.
Pour autant, le sujet est lancé dans le débat public français et il pourrait refaire surface durant les présidentielles, quitte à diviser les partis.
De 12 à 14 semaines d’IVG
Quelques heures après la publication de l’entretien, Christophe Castaner, du groupe LREM à l’Assemblée nationale, exprimait ainsi son « désaccord » avec Emmanuel Macron sur les ondes de France info.
Que préconise le texte de loi des députés dont plusieurs se définissent comme féministes ?
Le texte allonge de deux semaines le délai légal pour avoir recours à l’IVG, qui est ainsi porté de 12 à 14 semaines de grossesse (entre 98 et 100 jours, soit trois mois et 8 ou 10 jours, ndlr).
Ce délai est justifié par les 3 à 5000 femmes qui se rendraient à l’étranger pour se faire avorter au-delà de 12 semaines et par l’insuffisance des services médicaux et des délais d’attentes sur l’ensemble du territoire français.
Il prévoit également selon le site vie-publique.fr « de supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG qui permet aux médecins et aux sages-femmes de refuser de pratiquer un tel acte ». Le praticien qui userait de sa clause de conscience générale pour refuser un avortement, aurait l’obligation d’orienter sa patiente vers un professionnel pratiquant l’IVG, précise le site officiel.
Trois autres mesures sont destinées pareillement à faciliter l’accomplissement de l’interruption volontaire de la grossesse.
–rendre obligatoire la pratique du tiers-payant pour les actes en lien avec une IVG et garantir dans tous les cas la confidentialité de l’IVG. Dans le même objectif, la prise en charge de l’IVG sera protégée par le secret
-mettre fin au délai de réflexion de deux jours, imposé afin de confirmer une demande d’avortement à la suite d’un entretien psychosocial.
-permettre aux sages-femmes de réaliser des IVG chirurgicales jusqu’à la 10e semaine de grossesse pour faire face à l’important manque de praticiens médecins. Cette dernière mesure à de quoi surprendre et inquiéter étant donné le caractère extrêmement délicat d’une intervention chirurgicale qui dépasse les compétences d’une sage-femme.
Une dernière mesure prévoit de « préciser dans le code de la santé publique que le pharmacien refusant la délivrance d’un contraceptif en urgence sera en méconnaissance de ses obligations professionnelles. »
À ce stade de la grossesse, l’ossification du crâne du fœtus oblige les médecins à écraser la tête avec une pince, ce qui peut, selon Israël Nisand, occasionner des lésions importantes chez la femme.
Toutes ces mesures auraient été proposées à la suite des préconisations formulées par les députées Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti dans leur rapport sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, remis en septembre 2020.
Voici l’ensemble des recommandations de ce rapport :
-mettre en place une exonération généralisée d’avance de frais pour les femmes souhaitant recourir à une IVG ;
-lutter contre la désinformation sur internet en poursuivant les auteurs dans le cadre du délit d’entrave et développer les sites officiels délivrant une information fiable ;
-autoriser la pratique de l’IVG chirurgicale sous anesthésie locale par les sages-femmes, dans les établissements et les centres de santé habilités, sur la base du volontariat ;
-allonger le délai de l’IVG chirurgicale de deux semaines, pour le faire passer de douze à quatorze semaines de grossesse ;
-pérenniser l’allongement du délai de recours à l’IVG médicamenteuse en ville de cinq à sept semaines de grossesse, conformément à ce qui est déjà autorisé pour l’IVG médicamenteuse réalisée en milieu hospitalier ;
-mettre en place un répertoire des professionnels pratiquant l’IVG sur le modèle du site ivglesadresses.org, géré et mis à jour par les agences régionales de santé (ARS).
Le refus des gynécologues-obstrétriciens
Mais sur le terrain des professionnels de la santé, le sujet est vu différemment.
Le Syndicat national des gynécologues-obstrétriciens de France (Syngof), par exemple est opposé à ce rallongement du délai d’interruption volontaire de la grossesse, arguant qu’un tiers des gynécologues refuseraient la pratique d’IVG tardives. Le professeur Israël Nisand, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens (CNGOF), qui a soutenu le droit à l’IVG défend désormais sa limite à 12 semaines.
Outre les services hospitaliers débordés qui ne permettent plus de réaliser l’IVG dans de bonnes conditions, les gynécologues-obstétriciens précise la difficulté et la gravité médicale de l’opération
« À ce stade de la grossesse, l’ossification du crâne du fœtus oblige les médecins à écraser la tête avec une pince, ce qui peut, selon Israël Nisand, occasionner des lésions importantes chez la femme. Le gynécologue s’inquiète également de conséquences sur les risques de fausses couches et d’accouchements prématurés ultérieurs à l’IVG », explique Marianne.
Un point essentiel n’a pas été encore traité : celui de la question bioéthique soulevée par cette extension de l’interruption volontaire de grossesse.
On aurait pu penser que l’inquiétude et le refus des professionnels de la santé impacteraient le rapport de l’institution chargée de la bioéthique. Il n’en a rien été, au regard de la lecture du Rapport du Comité consultatif national d’éthique. Au terme d’une analyse de 18 pages consultée par Mizane.info, « le CCNE considère qu’il n’y a pas d’objection éthique à allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines, passant ainsi de 12 à 14 semaines de grossesse. »
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