Boussad Bouamra avec Michel Cavey du collectif citoyen « Chrétiens-Musulmans de Villeparisis ». © Mizane.info
Responsable du pôle Dialogue Ouverture de l’association ACCMV de la mosquée de Villeparisis, imam de Bondy, et président de l’association Coexister en paix, Boussad Bouamra est un homme engagé en faveur du vivre-ensemble. Dimanche 12 juin, il sèmera, aux côtés du prêtre Bruno Sautereau, les graines d’un olivier dans le Jardin de la paix près de l’Eglise Notre-Dame de la paix à Villeparisis. Mizane.info a voulu en savoir plus sur les réalités du dialogue religieux islamo-chrétien et les défis à relever pour les deux communautés. Entretien.
Mizane.info : A quand remonte le dialogue religieux islamo-chrétien à Villeparisis ?
Boussad Bouamra : Cette relation remonte déjà à un certain temps. Mais elle restait assez superficielle. Quelques visites régulières à l’église ou à la mosquée pour l’iftar, mais sans plus. Depuis février et l’arrivée d’un nouveau président de l’association, nous avons décidé d’ouvrir un pôle dédié au dialogue pas seulement interreligieux mais aussi inter-convictionnel, le pôle Dialogue Ouverture que je pilote. Nous souhaitons intégrer toutes les personnes de bonne volonté. J’ai défini à partir de là une feuille de route que j’ai proposé au prêtre Bruno Sautereau avec plusieurs propositions. Parmi elles, le jardin de la Paix qu’il a accueilli à bras ouverts.
Cette volonté de rapprochement s’appuie-t-elle sur une dynamique interne des deux communautés ou seulement sur les responsables des deux lieux de culte ?
Du côté de la mosquée, il y a une nouvelle dynamique de la part des jeunes, de plusieurs fidèles et de parents d’élèves puisque nous avons également un centre culturel qui dispense des cours d’arabe, de tajwid et des bases de la foi. Le prochain événement que nous organiserons ensemble sera des portes ouvertes mutuelles le samedi à la mosquée et le dimanche à l’église. Du côté de l’église, c’est aussi une nouveauté. Bruno Sautereau m’a expliqué qu’il existait un intérêt à ce type de rencontre. Il faut de la pédagogie pour expliquer qu’effectivement tout le monde a intérêt à s’ouvrir, à se rencontrer et à tendre la main vers l’autre.
Comment est reçue cette initiative du jardin de la Paix à la mosquée ? Avez-vous perçu de la méfiance ?
Très honnêtement, non. Nous attendrons les retours des uns et des autres. Malgré tout, nous savons qu’il y a une grande méconnaissance autour de ces initiatives à surmonter, de part et d’autre.
Cette initiative vise-t-elle surtout à témoigner d’une amitié interconfessionnelle ou s’emploie-t-elle à exprimer un message de paix ce qui impliquerait une tension interreligieuse ? Cette tension est-elle une réalité au quotidien ?
Les deux en fait. C’est à la fois un message de paix, de fraternité et la proclamation très forte de valeurs communes comme la solidarité et l’humanisme. Certaines personnes associent encore la religion à l’archaïsme ou à la violence. Nous souhaitons faire passer ce message de paix. Nous avons choisi l’olivier pour inaugurer le jardin de la Paix car l’olivier symbolise l’espérance mais aussi la longévité. Comme disait le Prophète, « soyez optimistes, vous trouverez ce pour quoi vous êtes optimistes. » Mais il faut encore aller au-delà et se rendre sur le terrain pour mener d’autres actions.
Pourquoi avoir choisi un jardin ?
Le jardin est un espace où tout le monde peut se retrouver et s’épanouir pour cultiver des valeurs humaines. Une fois par semaine, les gens vont se réunir pour cultiver ce jardin. Après l’olivier, nous planterons des tomates, des radis, des fraises. Nous cultiverons surtout la tolérance et le vivre-ensemble.
Quelles autres actions sont prévues dans le cadre de ce rapprochement ?
Des actions humanitaires sont prévues dans le cadre d’un partenariat entre la mosquée de Villeparisis et la Croix Rouge. Nous allons récolter des dons en denrées alimentaires et les redistribuer dès la rentrée prochaine. Nous communiquerons également ensemble à toutes sortes d’occasion, y compris dans le cas éventuel de violences, d’agressions ou d’attentat, que Dieu nous en préserve et préserve notre patrie, pour réaffirmer notre unité et notre attachement à la paix.
Le terrorisme comme celui de Daesh est-il la principale menace au vivre-ensemble en France ?
C’est l’une des principales menaces. La France a déjà subi des attentats et elle reste menacée. Si les discours de ces groupes terroristes tombent dans les oreilles de personnes fragiles ou ignorantes, cela peut provoquer des dégâts. Il y a une image de la France dans le monde musulman qui est très négative et certaines choses qui lui sont reprochées ne sont pas vraies. La menace terroriste est une réalité tout comme la menace extrémiste. La mosquée de Bondy a été vandalisée récemment, il faut le savoir.
La mosquée et l’église de Villeparisis ont signé une charte de la paix et du vivre-ensemble. On y lit notamment la volonté exprimée de mettre sur le même plan de dignité les différentes croyances et les peuples. Est-ce une manière de dépasser les dogmes catholiques et musulmans ?
Pour nous musulmans, ce passage de la charte est une traduction du passage du Coran « Dieu vous a créé en peuples et nations pour que vous vous entreconnaissiez ». Cette diversité et cette richesse relève de la volonté divine et à ce titre des finalités de l’islam. Notre objectif est de rester nous-mêmes et de nous ouvrir aux autres. C’est le message que nous diffusons et que je diffuse dans mon association Coexister en paix avec nos amis juifs de l’Amitié judéo-musulmane de France. C’est encore le même message que nous diffusons dans un groupe de travail national « Religions et écologie ».
Ce n’est donc pas du concordisme à vos yeux…
Le concordisme est contradictoire avec la liberté de conscience car il enjoint aux autres de suivre une religion mixte de toutes les religions. Du moment que mes voisins, que mes concitoyens et mes frères ont choisi de croire en une religion, je ne vois pas pourquoi je ne vivrais pas avec eux et considèrerais un avenir avec eux. La base de la religion est commune, la croyance en Dieu. Ensuite, la forme des religions diffère d’une croyance à une autre, forme qu’il convient de respecter. Sinon c’est l’intolérance qui nous guette.
La charte insiste aussi sur le fait de prévenir les exagérations et les frustrations qui minent les communautés religieuses. De quelles exagérations et frustrations s’agit-il ?
Nous avons connu dans les années 2000 le wahhabisme et des lectures littéralistes qui sont clairement dans le rejet de l’autre avec des lectures très partisanes des textes religieux. Daesh est rappelons-le le fruit de la pensée wahhabite. Le Prophète (PBDSL) mettait déjà en garde de son temps contre l’extrémisme religieux en évoquant le cas de trois personnes qui avaient décidé l’une de renoncer au mariage, l’autre de prier la nuit entière, la troisième de jeûner chaque jour. Le Prophète lui-même ne s’astreignait pas à ces règles puisqu’il jeûnait un jour et mangeait l’autre, se mariait et priait une partie de la nuit en dormant durant l’autre. Quand on fait ses premiers pas dans l’islam à notre époque, internet est souvent l’instructeur et ces lectures extrémistes y sont très présentes.
La présence religieuse des femmes est aussi évoquée. Beaucoup de femmes se plaignent d’être invisibilisées dans les mosquées.
Effectivement, les femmes sont invisibilisées et marginalisées dans nos lieux de culte. D’où vient cette interprétation ? A l’époque du Prophète, les femmes recevaient directement de lui leur enseignement. Cette ouverture ne s’est pas poursuivie, le côté culturel a fini par prendre le dessus et a contribué à créer ce problème. Il n’y a pourtant aucun texte religieux qui prône la marginalisation des femmes. Cette situation est de plus en plus insupportable. A travers certains fidèles qui héritent de ce type de culture, cette mentalité continue à exister.
Quelles formes prendrait cette ouverture des mosquées vers les femmes ?
Les femmes doivent prendre part à la gestion des associations. Pourquoi pas des femmes présidentes d’associations musulmanes ou de collectifs d’associations musulmanes ? Dans les réunions entre présidents d’associations et d’imams, on ne voit pas de femmes. Il y a ostracisation. Ce constat est malheureux. Il y a des femmes engagées dans l’enseignement de l’arabe, du Coran ou qui sont membres d’associations caritatives. En revanche, très rares sont les femmes présentes dans les bureaux des mosquées.
Il est vrai que la question des rapports hommes/femmes particulièrement dans les mosquées est problématique. En particulier la question de la mixité. Comment visibiliser les femmes quand elles ne sont jamais présentes physiquement avec les hommes du fait de la stricte séparation établie ?
Cette question est liée à l’aspect culturel que j’évoquais mais aussi à la compréhension de la religion. Encore aujourd’hui, pour certains savants, la mixité est haram. D’où tiennent-ils cette interprétation ? Le seul texte qui existe interdit le fait qu’un homme et une femme non mariés soient isolés, loin des regards, Satan étant le troisième selon un hadith destiné à mettre en garde contre la tentation. Autrement, dans un espace ouvert ou une mosquée, je ne vois pas pourquoi les hommes ne peuvent pas côtoyer les femmes et inversement, avec respect. Il faut valoriser la présence de nos sœurs dans les lieux de culte.
Les fidèles sont-ils prêts à ces changements culturels ?
Il faut faire preuve de pédagogie et mener un travail d’explication en ce sens. Il n’y a aucun mal à ce que les femmes participent à la vie active des associations et des mosquées. C’est un travail qui s’annonce assez long vu le poids des mentalités culturelles. Les fidèles ont toujours connu des mosquées où les femmes sont à part, loin des regards.
Un des articles de la charte met en avant l’importance de l’écologie. Pourquoi avez-tenu à l’intégrer dans une charte de la paix et du vivre-ensemble ?
La préservation de la terre et l’écologie sont des thèmes d’actualité, le défi majeur de notre temps. La religion et les religieux ne doivent pas se tenir à l’écart de la société. L’islam appelle l’Homme à ne pas gaspiller les ressources, à préserver les dons que Dieu lui a donné. Le Coran évoque à plusieurs reprises la nature comme bienfait divin. Pour les musulmans comme pour les chrétiens, c’est une priorité de s’engager dans cette voie pour préserver la nature. Nous allons d’ailleurs mutuellement consacrer chaque année trois prêches à la mosquée et à l’église sur la préservation de l’environnement, et des conférences également. Des actions locales de nettoyage dans chaque quartier sont aussi prévues.
Propos recueillis par la rédaction