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mardi 03 décembre 2024

Califat ou oumma : l’islam comme sujet de l’histoire

La nostalgie du califat, présente parfois chez certains esprits, est le symptôme d’un besoin et parfois d’un ressentiment à propos du rôle historique de l’islam comme acteur civilisationnel, politique et culturel mondial. Le vide laissé par le chaos géopolitique quant à la disparition de cette fonction explique cette nostalgie. C’est l’opinion défendue par Tarek Sidqi, chroniqueur et animateur du site Attariq, collectif pour une conscience active de l’islam, dans un texte que Mizane.info publie avec son aimable autorisation.

Le souhait du Califat est souvent entendu chez les musulmans. Tout comme les gens rêvent d’une justice internationale, d’un état européen ou d’une cinquième internationale.

Il nous semble que cette pensée doive avoir un sens, derrière cette nostalgie d’un passé révolu, de la monarchie et d’un « âge d’or » (reposant d’ailleurs plus sur la force intellectuelle de l’Islam d’alors que sur le pouvoir militaire).

Le besoin d’un roi, car c’est comme cela que le besoin s’exprime, masque à notre sens deux notions importantes que le Coran place dans le terme de « khalifa ».

En premier, la responsabilité de l’homme.

La première apparition du mot est dans le passage sur la création de l’homme, quand « Dieu dit aux anges, je vais établir un lieutenant sur la terre ».

Ce titre donné à l’homme lui confère une responsabilité devant Dieu sur la terre. Un rôle à jouer.

L’insatisfaction sur la façon dont le monde dans sa totalité évolue devrait être le constat de tout être conscient, et c’est cette insatisfaction que nous lisons derrière les intransigeances des musulmans sur « le monde occidental ».

Le désastre apparent de la civilisation humaine, son devenir totalitaire comme la destruction de la planète, le manque de perspectives concrètes d’évolutions positives, doivent interroger tout un chacun sur la place particulière que l’homme occupe dans le monde.

A l’inverse, nous pensons que l’humanité doit s’accomplir, se prendre en main, pour faire vivre le monde, comme le suggérerait la confiance accordée à l’homme.

Voilà semble-t-il le sens littéral et la finalité de « khalifa » dans le Coran.

L’humanité est le sujet majeur sur la planète, ce qui explique l’importance de la critique de notre action, tout comme la frustration de chaque humain dans son impossibilité à agir sur l’avenir du monde.

Il y a une deuxième frustration, et surement dans la subjectivité musulmane la première, c’est que ni l’Islam ni le monde musulman ne sont un sujet capable du monde moderne.

Détruit sous les bombes impérialistes qui veulent s’assurer des ressources naturelles, divisé et diminué par des pouvoirs corrompus au solde des puissances mondiales, le monde musulman n’est que l’ombre de lui-même.

Comment ne pas entendre le cri des fils d’Israël au prophète Samuel (psl) : « donne-nous un roi comme aux autres nations ? » – un roi à la place de Dieu !

La demande réelle, adéquate, que l’on entend derrière celle d’un Calife, n’est-elle pas la plainte que nous n’existons pas dans le monde ?

N’est-ce pas la demande que l’Islam soit à nouveau un sujet de l’histoire et puisse rétablir, au moins pour le monde musulman, si ce n’est sur terre, la perspective d’un monde correct ?

Derrière la propagande messianiste de Daesh, d’un « pays islamique », ne faut-il pas lire le souhait de libération du monde arabe ?

Celle-ci prend sens pour nous dans un contexte plus large : inscrire la libération du monde musulman dans la libération de l’humanité et son accomplissement, qui est le chemin de l’Islam.

Ces deux points sont intimement liés, et pour nous la demande d’un Califat véhicule le besoin réel d’une force de transformation du monde.

Le rétablissement de l’Islam comme sujet transformateur du réel, comme projet et voie vers un monde libre, paisible, généreux, tel qu’il est déjà en dehors des conflits des groupes humains.

Une humanité capable de se diriger vers la responsabilité d’une terre vivante.

Voilà ce que signifie pour nous une conscience pratique de l’Islam.

Derrière cette critique de l’idéologie musulmane actuelle, se trouve pour nous des enjeux réels.

Quels sont les forces matérielles en jeu et quel rôle pratique pouvons-nous jouer selon les objectifs ambitieux mais concrets que posent la question du khalifa ?

La force qui pourrait exister, que nous pouvons déjà aujourd’hui construire, le sujet humain et tourné vers Dieu, c’est la oumma.

Nous pensons que c’est par la reconstruction de la oumma, dans l’action réelle, que l’Islam peut redevenir sujet de l’histoire.

Par petits bouts, localement, par des actions concrètes de solidarité et d’implantation sociale et locale.

Local, mais sans esprit de parti ou sectaire : dans une perspective universelle, tournée vers l’humanité entière comme le demande Dieu dans le Coran.

S’il y a des sectes, il n’y a pas de oumma.

Tous nos groupes, répondent à des besoins particuliers, localisés, mais forment une seule oumma tournée vers le seul vrai Dieu.

Pourquoi l’homme moderne se sent-il à ce point atomisé, impuissant face à l’évolution de son monde ?

La réponse simple et rapide, c’est qu’il l’est.

C’est ce qu’on appelle l’aliénation, car non seulement il est impuissant, mais il n’est plus lui-même, manipulé par des forces qui le dépassent.

En particulier l’argent, et toute une reconfiguration du réel et des liens sociaux par le monde technico marchand, dont les faces visibles sont l’industrie culturelle, le monde du travail et la société de consommation.

A l’opposé de notre projet de rétablissement des liens humains, et d’une communauté spirituelle, le système social réifie le monde : transforme tout en marchandise manipulable, même l’homme, même les relations humaines.

La réification défait les liens humains au fur et à mesure de l’intégration des hommes dans son système.

Pour nous c’est par la reconstruction progressive de la oumma, que nous redeviendrons sujet de l’histoire, capable d’agir sur le monde, et que le genre humain assume la responsabilité confiée par Dieu : khalif sur la Terre.

Tariq Sidqi

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