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mercredi 04 décembre 2024

CFCM : les vraies raisons d’un « lâchage »

Déclaré « mort » en direct par le ministre de l’Intérieur, le Conseil français du culte musulman (CFCM) présidé par Mohammed Moussaoui pourrait connaître ses derniers jours, quelques semaines avant le lancement d’une nouvelle organisation. Retour sur les vraies raisons d’une excommunication politique.

Foudre paisible. Au détour d’une question au Grand Jury RTL/LCI/Le Figaro, les mots de Gérald Darmanin ont littéralement transpercé la cuirasse usée des derniers responsables du CFCM.

« Aujourd’hui le CFCM, c’est-à-dire la représentation de l’islam consulaire, les Marocains, les Algériens, est morte. Le CFCM, pour les pouvoirs publics, pour la république française, n’existe plus, n’est plus l’interlocuteur de la République. »

Une véritable humiliation. Déclaré mort à l’âge de sa majorité (18 ans) le CFCM, jusqu’alors interlocuteur officiel des autorités publiques, n’a pas vu venir le coup. Et pourtant, les nuages gris annonciateurs d’un orage meurtrier s’étaient accumulés ces derniers mois.

CFCM : la charte de tous les maux

Une brume opaque. L’effet troublant de cette annonce s’est accentué avec un passage de l’annonce de Darmanin. « Le CFCM qui est encore présidé par un président de ces fédérations n’est plus notre interlocuteur. Je n’ai plus reçu ces personnes depuis le fait qu’ils aient refusé de signer cette charte. »

Le ministre de l’Intérieur évoquait précédemment trois fédérations qui n’avaient pas signé la charte des principes de l’islam (CIMG, CCMTF, Foi et pratique).  En y incluant Mohammed Moussaoui qui préside l’UMF, signataire de la charte, Darmanin a-t-il commis une simple erreur ?

Difficile à dire. Le CFCM n’étant pas (plus) du tout la priorité de la Place Beauvau, une telle erreur est envisageable. Mais ce que l’Intérieur n’a pas pardonné à Moussaoui est le fait d’avoir couvert les trois fédérations en refusant leur exclusion du CFCM.

« A aucun moment nous n’avons mis la charte comme moyen de sélection des fédérations siégeant au CFCM. (…) On ne peut pas demander l’exclusion d’un membre sans une base légale »  expliquait le président du CFCM sur Mizane.info.

La non signature de la charte n’a certainement pas joué en la faveur du CFCM. Un affaiblissement renforcé par le départ de quatre fédérations signataires du bureau de l’association. Mais d’autres chefs d’accusation ont été avancés.

Tout sauf le salafisme

Celui d’islam consulaire est le plus surprenant, tant CFCM et islam consulaire sont des termes synonymiques. Que ce soit au niveau des fédérations ou des acteurs du culte, l’islam de France n’est pas géré par des nationaux. Le gouvernement le sait et s’en accommodait très bien jusqu’alors. Ou plutôt le moins mal possible en attendant de trouver mieux.

La contradiction violente entre le profil des interlocuteurs du gouvernement et les exigences de ce dernier en matière d’islam de France a toujours été pointée du doigt. Une seule raison pouvait l’expliquer : l’absence d’alternative.

La seule dynamique musulmane française à avoir émergé ces dernières décennies, le salafisme, n’était tenu par aucun gouvernement. Pas même l’Arabie saoudite, bien qu’il l’ait financé et alimenté en ressources livresques et humaines.

La même raison explique l’inaudibilité des protestations des musulmans rejetant l’impuissance du CFCM, sa servilité et sa non représentativité. L’influence du salafisme sur une partie de cette base justifiait pour les services d’Etat sa mise à l’index. L’islam consulaire apparaissait alors comme un moindre mal.

Mais la multiplication des attentats sur le territoire français a changé la donne. L’occasion pour le président Macron d’aller plus loin que ses prédécesseurs et de reprendre la main sur le dossier islam. Plus d’imams détachés à partir de 2024, a-t-il décidé, c’est-à-dire demain.

Fin donc d’un système alimentant de l’étrangers les lieux de culte musulmans en imams. Ce qui ne signifiait pas encore, loin s’en faut, la fin d’un islam consulaire bien implanté en France.

L’OPA marocaine sur l’islam de France

Ceci nous amène à mettre en lumière des informations publiées par le Point dans son numéro du 2 décembre dernier.

On y apprend qu’un mandat d’arrêt a été émis contre un agent de la DGED, l’équivalent marocain de la DGSE française. Un certain Mohamed. B dont l’identité réelle est ignorée.

« Poursuivi pour corruption d’agents publics en France », Mohamed. B est soupçonné « d’avoir cherché à exercer une emprise sur l’islam de France en « tamponnant » le président du Conseil français du culte musulman. »

« Il est aujourd’hui soupçonné d’avoir été, des années durant et avant sa fuite, l’agent traitant du président du Conseil français du culte musulman, le Franco-Marocain Mohammed Moussaoui. 

« Mohamed B. serait ainsi derrière tous les grands projets de ces dernières années pour asseoir l’influence du Maroc sur de nombreuses mosquées françaises. »

L’homme n’hésitait pas « à faire pression sur tel ou tel représentant du culte local pour permettre l’ascension de son poulain, Mohammed Moussaoui. »

Peu détaillé, l’article signé Marc Leplongeon, nous apprend toutefois que Mohammed Moussaoui loge gratuitement dans un appartement de l’ambassade du Maroc.

La fin de vie programmée de l’islam consulaire

L’actuel président du CFCM a répondu aux questions du Point. Voici ce qu’il dit.

« La personne que vous présentez comme membre de la DGED, je l’ai toujours connue comme chargé de mission au ministère marocain des Affaires étrangères et de Coopération.

Il a été membre du comité bilatéral franco-marocain, formalisé par la déclaration commune franco-marocaine de septembre 2015. »

Et sur le logement ? Lambassade du Maroc « le met à ma disposition pour pouvoir assurer ma mission bénévole de gestion des trois dossiers cités plus haut. […]

Une fois que ma mission sera terminée (en 2024, ndlr) je ne disposerai plus de ce logement, dont d’ailleurs je n’aurai plus besoin. »

Faut-il voir dans cette diffusion d’infos classées confidentielles, les premiers signes du lâchage politique du CFCM, par presse interposée ? La contiguïté du calendrier ne permet pas de l’exclure.  

La France reprend la main sur le culte musulman

Il est fort possible que la fin du système des imams détachés ait rendus nerveux les deux grands pays du Maghreb (Algérie et Maroc). En les poussant à accentuer leur emprise et à renforcer leur dispositif, cette compétition a peut-être poussé Rabat à franchir certaines limites. Ce qu’on appelle une violation de souveraineté.

N’oublions pas que l’affaire d’espionnage Pegasus n’est pas loin. Le président Macron et l’ancien Premier ministre Edouard Philippe auraient vu leurs téléphones sous écoute grâce à une application. De quoi éteindre le calumet de la paix franco-marocain pour un bail.

Et l’Algérie ? La Grande mosquée de Paris n’est-elle pas également financée et appuyée par le gouvernement algérien ? La dernière déclaration de soutien du président Tebboune l’atteste assurément.

Mais comparaison n’est pas raison. L’influence du Maroc sur l’islam de France est bien supérieure à celle de l’Algérie. L’UMF réunit à elle seule 750 mosquées sur les 2500 lieux de culte musulmans en France. Sans compter les mosquées « indépendantes » et les acteurs marocains présents dans d’autres structures.

De quoi faire du Maroc la principale menace à la reconstruction d’un islam national, pour Paris. Et donc d’avancer son propre projet. Et qui dit nouveau projet, dit nouvelle structure.

Gérald Darmanin en a dit quelques mots. « Nous allons travailler à une nouvelle organisation de l’islam de France. (…)  Fin janvier le président de la République pourra réunir la centaine de nouveaux représentants de cet islam de France. Il y aura des femmes, des laïcs, des gens de la société civile, très différents de ce qui existait auparavant. »

Le CFCM et le sens de l’Histoire

En réalité, cette ouverture à la société civile n’est pas une première. Dès la naissance du CFCM en 2003, le principe d’une cooptation de personnalités de la société civile avait fait son chemin. Dounia Bouzar et Bettoul Fekar-Lambiote en faisaient parties, avant de démissionner en 2005. La volonté n’était pas là.

Cette idée, déjà défendu par le gouvernement de l’époque, refait donc son chemin. Le projet d’une refonte complète du culte musulman est aussi dans les tiroirs depuis un moment.

Hakim Karoui, dans son rapport à la Fondation Montaigne, en avaient dessiné les contours. Nomination d’un grand imam de France sur le modèle juif, mise en place d’une tour de contrôle des flux financiers et des dons, taxation des produits halal. La volonté de l’exécutif français de rebâtir un islam d’état français a toujours été forte.

Mais, laïcité oblige, le passage de la théorie à la pratique est plus difficile. Paradoxalement, seul les attentats ont permis de justifier une remise en cause du régime de séparation des Eglises et de l’Etat. L’injonction présidentielle de constituer la charte des principes de l’islam et celle, ministérielle, d’enterrer le CFCM auraient été plus difficiles dans un autre contexte.

Il est certain que la disqualification officielle du CFCM met à l’eau le « Conseil national des imams officiel » dont l’inauguration était prévue le 9 janvier. Mais à quatre mois des présidentielles, il est trop tôt pour savoir ce qu’il adviendra réellement de l’islam consulaire.

Et vu l’ampleur de son enracinement, il sera difficile de déloger l’islam consulaire du paysage islamique français. Même si une réélection de Macron ou une victoire de la droite extrême ne pourra qu’aller dans le sens de son affaiblissement. Une évolution sans doute conforme au sens de l’Histoire. Affaire à suivre…

Fouad Bahri

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