Fatih Sarikir, président du CIMG dans un reportage sur Mizane TV.
Trois des fédérations du CFCM (CIMG, CCMTF, Foi et Pratique) ont publié un communiqué pour prendre leurs distances avec la dernière version de la charte des principes de l’islam de France. Un nouveau coup dur pour la direction du Conseil français du culte musulman qui dénonce à son tour une « sortie unilatérale de trois fédérations composant le CFCM qui n’est pas de nature à rassurer nos coreligionnaires sur l’État des instances représentatives du culte musulman ». Mizane.info s’est entretenu avec deux des signataires du communiqué. L’éclairage de la rédaction.
Au Conseil français du culte musulman, chaque nouveau jour est une nouvelle polémique.
Après la présentation lundi dernier au président de la République d’un texte dit charte des principes posant les règles fondatrices et le cadre liant l’exercice de l’imamat aux lois de la République, trois fédérations ont dit non à la version finale du document (CIMG, CCMTF, Foi et Pratique).
Certes, ces fédérations n’avaient pas caché leur désapprobation quant à certains passages de la charte des principes.
Mais elles l’ont cette fois communément exprimé dans un communiqué.
« Nous regrettons que cette charte ait été signée d’une part avant d’avoir obtenu l’approbation de toutes les composantes du CFCM – conformément au principe de consensus qui a été respecté au sein de cette institution jusqu’à aujourd’hui – d’autre part sans aucune consultation des imams qui sont les premiers concernés, ni des CRCM et CDCM (conseils régionaux et départementaux du culte musulman) », ont-elles écrites.
« Nous pensons que certains passages et formulations du texte soumis sont de nature à fragiliser les liens de confiance entre les musulmans de France et la Nation », ont-elles ajouté sans préciser les passages mentionnés.
« En outre, certaines déclarations portent atteinte à l’honneur des musulmans, avec un caractère accusatoire et marginalisant. »
La riposte de Mohammed Moussaoui
Face à ces critiques, la réponse du président du CFCM ne s’est pas faite attendre.
Dans un communiqué, Mohammed Moussaoui refait un historique des différentes étapes de la constitution de cette charte des principes et déplore la méthode choisie par les trois fédérations pour communiquer leurs divergences.
« Le communiqué des trois fédérations (CCMTF, CIMG, Foi et Pratique) du 20 janvier 2021, indique que certaines déclarations de la charte porteraient atteinte à l’honneur des musulmans. J’aurai aimé, écrit M. Moussaoui, que ces déclarations soient précisées par écrit sous forme d’amendements et transmises au CFCM. Cela aurait été plus bénéfique à nous tous qu’un communiqué accusatoire et non constructif. »
M. Moussaoui qui précise que tous les retours des CRCM et acteurs locaux du culte musulmans seront pris en compte dans une modification éventuelle de la charte, affirme que « cette nouvelle sortie unilatérale de trois fédérations composant le CFCM n’est pas de nature à rassurer nos coreligionnaires sur l’État des instances représentatives du culte musulman ».
« Par ces actions répétitives, ajoute-t-il, les fédérations composant le CFCM risquent d’être rendues toutes responsables de cette situation de division préjudiciable à l’organisation du culte musulman. Aussi, j’appelle chacun à prendre ses responsabilités et à mesurer la gravité de la situation et des défis que nous devons affronter tous ensemble. »
CIMG : « Si nous signons ce texte sous pression cela est inadmissible »
Pour quelles raisons la CIMG, la CCMTF et Foi et Pratique ont-elles refuser de signer ce texte ? Quels passages précis ces fédérations contestent-elles ? Contactées par Mizane.info, elles s’en expliquent avant la publication d’un prochain communiqué en réponse aux questions de Mohammed Moussaoui.
Fatih Sarikir est le président de la CIMG (Confédération islamique Milli Görüs). Il a confié à Mizane.info ses réserves sur plusieurs éléments du texte de la charte des principes. Parmi eux, le titre.
« Il s’agissait de mettre en place une charte qui avait pour vocation d’établir des règles pour les imams. Avec l’expression « Charte des principes pour l’Islam de France », on définit un spectre plus large qui englobe toute la communauté musulmane de France. Nous ne sommes pas habilités à nous exprimer au nom de tous les musulmans de France. »
Autre critique, les références abondantes au respect de la République ou à l’égalité Hommes-Femmes qui relèvent de l’évidence et forment le cadre commun de tous les citoyens français.
« Tous les musulmans respectent les lois de la république et la Constitution. Ces textes républicains ont déjà défini ce cadre. Le fait de demander spécifiquement aux musulmans de le dire et redire avec insistance, alors que les musulmans respectent les lois de la République, c’est émettre une suspicion contre eux. »
D’autre part, M. Sarikir dénonce la pression politique exercée à la fois par des acteurs politiques externes et internes.
« Le 7 et 8 décembre, une composante du CFCM (NDLR : la Grande Mosquée de Paris représentée par Chems-Eddine Hafiz) a pesé de tout son poids pour imposer sa version initialement intitulée «Principes des musulmans de France ». Nous avions travaillé sur une version plus acceptable de ce texte le 15 décembre. Ce n’est pas à nous de dire ce qu’est un bon ou un mauvais musulman. Ensuite, il y a eu la sortie fracassante de la GMP. Si nous signons ce texte sous pression, cela est inadmissible. »
M. Sarikir, qui a pris connaissance du communique du président du CFCM, a également exprimé une divergence de lecture sur le déroulé des événements.
« M. Moussaoui prétend qu’ils (lui-même ainsi que M. Hafiz et M. Alci du CCMTF au cours d’une réunion au ministère de l’Intérieur le 16 janvier, ndlr) étaient d’accord. M. Alci a pourtant dit qu’il avait exprimé son refus sur le titre « islam de france ». Et qu’ils allaient soumettre cela à la réunion du 17. Le 17 janvier, toutes les fédérations n’étaient pas d’accord pour signer puisque le texte ne faisait pas consensus. On a tenté de nous imposer de signer un texte en nous interdisant de toucher à la moindre virgule. J’ai demandé à ce que l’on implique les CRCM qui représentent les mosquées et les imams qui sont les premiers concernés dans l’élaboration de la charte mais cela ne c’est pas fait. Il est regrettable de ne pas prendre l’avis de la base c’est à dire l’avis des premiers concernés avant une officialisation de la charte qui les concerne en premier lieu. On s’était mis d’accord le 15 décembre et on nous remet d’autres passages dans la version finale. Le 18 janvier, ce n’était pas une présentation du projet de charte au président de la République mais une officialisation de la charte. Nous devons fonctionner par consensus. »
Foi et Pratique : « On a fait le travail à l’envers ! »
Président de la fédération Foi et Pratique, Hamadi Hammami a lui-aussi exprimé à Mizane.info ses réserves sérieuses sur le texte de la charte.
Il partage les critiques de la CIMG sur le titre de « Charte des principes pour l’Islam de France » et met en cause la méthode.
« Qui sommes-nous pour parler au nom de tous les musulmans ? Au moins devons-nous soumettre ce texte aux intéressés. Plutôt que de faire remonter les retours et les intégrer à la version finale, on a fait le travail à l’envers. Pourquoi se précipiter pour signer ? Il n’était question que de présenter l’état des travaux au président Macron et pas de signer le texte car il peut y avoir des amendements. Quel intérêt de faire une consultation si on ne peut pas remettre en question certaines dispositions ? »
Le président de Foi et Pratique parle à ce propos « de passage en force » et estime que dans ces conditions elle pourrait « poser la question de notre présence au CFCM ».
« On a donné notre avis, on pensait que nous étions dans un processus de discussion. Notre association existe depuis 1972 et Dieu sait les critiques que nous avons reçu à cause de notre participation au CFCM. La mosquée de paris claque la porte et trois jours après elle revient à la table. Normal ensuite que personne ne croit au CFCM étant donné l’image qu’on donne. »
Le manque de représentativité de l’institution, l’absence des convertis et des femmes, et le fait que 60 % des lieux de cultes ne sont pas représentés au CFCM, ont été aussi pointés du doigt.
La question de l’instrumentalisation politique a enfin été soulignée.
« Si l’annonce a été faite lundi dernier, ce n’est pas un hasard mais parce que le projet de loi sur le séparatisme était débattu à l’Assemblée nationale. »
Pour M. Hammami, le contexte post-attentat ne devrait pas servir de caution à une mise sous tutelle du cadre de la religiosité musulmane.
« La majorité des discours radicaux ne sont pas diffusé dans les mosquées. Ce temps est fini. Le problème concerne l’internet. Aucun terroriste n’est sorti d’une mosquée. Citez moi un imam qui a été relié à un attentat ces dix dernières années. Transmettre sa religion est-il devenu illégal ? Nos jeunes se sentent stigmatisés ».
Les deux hommes ont émis le souhait que les autorités publiques respectent le cadre laïque de non immixtion dans les affaires religieuses et laissent le temps aux acteurs musulmans de s’organiser.
Ils ont aussi exprimé leur volonté ferme de bâtir un islam ancré dans la société française et ont réaffirmé leur opposition à toute instrumentalisation politique de l’islam ou ingérence d’un Etat, qu’il soit étranger ou national.
« Nous chérissons la loi de 1905. Mais la laïcité n’est pas une notion à géométrie variable. Soi on l’applique, soit on ne l’applique pas », conclut-il.
Contacté par notre rédaction, M. Alci du CCMTF n’a pas souhaité s’exprimer.
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