Habib Bourguiba (à droite).
Parmi les idées reçues qui circulent en Tunisie, celles selon lesquelles le code du statut personnel serait l’œuvre exclusive de Bourguiba et qu’il marquerait la laïcisation et l’occidentalisation de la Tunisie sur le modèle kemaliste, ont la dent dure. Bader Lejmi nous en dit plus dans un billet publié sur Mizane.info.
A l’occasion de la fête de la femme et de la famille en Tunisie, je souhaite vous offrir en cadeau un rappel historique sur 3 mythes autour du Code du Statut Personnel (CSP) qui fait la fierté des tunisiennes et des tunisiens en ce qu’il instaure dans la loi l’émancipation des femmes et des mesures avant-gardistes d’égalité dont bien des pays arabes et/ou musulmans n’ont pas encore aujourd’hui.
Mythe 1 : Le Code du Statut Personnel est l’œuvre exclusive et originale du président Habib Bourguiba aidé de Gisèle Halimi
Mythe 2 : Le Code du Statut Personnel instaure la laïcité dans le droit tunisien et sort la Tunisie de la charia islamique
Mythe 3 : Le Code du Statut Personnel a pour but d’occidentaliser la Tunisie à l’image de ce qu’a fait Kemal Atatürk pour la Turquie
Disons-le d’emblée, ces mythes sont non seulement faux mais surtout dangereux car ils distillent une idée fausse du réformisme et du nationalisme tunisien qui répand l’ignorance plutôt que le savoir, divise la société, crée un clivage identitaire, éclipsant ainsi les vrais conservatismes à combattre.
Certes, Habib Bourguiba est premier Ministre lors de sa promulgation et a encouragé son élaboration, mais ce CSP est une œuvre collective qui a démarré à la fin du protectorat par cheikh Djait, oulama de la Zitouna (si si), et a ensuite été refondu dans un sens beaucoup plus moderniste par un travail collectif de chouyoukh, de féministes tunisiennes le tout sous la direction du ministre de la Justice Ahmed Mestiri.
Certes le CSP aligne le droit de la famille sur des normes séculières occidentales, mais il est rédigé par des chouyoukh de la Zitouna qui font en sorte de se conformer au Coran et à la Sounnah. Enfin la Turquie kemaliste à l’époque est le contre-modèle car au lieu de moderniser l’islam comme le souhaite le président Habib Bourguiba, ce dernier et les nationalistes tunisiens dans leur ensemble lui reproche d’être sortie de la civilisation islamique en adoptant le code civil suisse sans même chercher à se conformer aux sources scripturaires de l’islam.
Et pour preuve de ce que j’avance et qui semble de premier abord très audacieux, voici quelques extraits du livre « Témoignage pour l’Histoire » d’Ahmed Mestiri :
« Ayant été à l’origine du Code tunisien du statut personnel de 1956 et ayant participé directement à la confection et à la rédaction de ses principaux articles selon les directives du président Bourguiba je suis à même de vous dire très exactement dans quel esprit et selon quels principes ce Code a été élaboré… Or la démarche du législateur tunisien a été fondamentalement différente de celle de Kemal Attaturk. À part un seul point commun, celui d’être toutes les deux résolument réformistes, elles se distinguent sur l’essentiel, à savoir la source et le contenu de la législation. Alors que Mustapha Kemal a écarté totalement la législation musulmane et a recopié presque littéralement le Code civil suisse, le législateur tunisien s’est inspiré directement des préceptes de la loi charaïque tels qu’ils sont énoncés dans le Coran, le Hadith, la jurisprudence et la doctrine selon une nouvelle conception de l’Ijtihad. »
« Par ailleurs, sur une question aussi importante que la laïcité, la doctrine qui a prévalu en Tunisie diffère sensiblement de la doctrine kémaliste. Nous sommes contre la séparation de la religion et de l’Etat. Nous estimons qu’un Islam rénové et adapté constitue un support idéologique valable pour un Etat moderne ».
Et si les paroles du ministre de Bourguiba, ne vous suffisent pas, laissons parler ce dernier :
« En fait, si quelque chose doit étonner l’observateur dans l’islam d’aujourd’hui, c’est sa vitalité et sa faculté d’adaptation aux aspérités de la société actuelle. Les transformations de l’âge industriel posent, pour toutes les traditions, un problème de déracinement. Le musulman, qui oppose aux structures économiques et sociales du XXe siècle, une réaction timorée, s’enferme dans un Islam rétréci qu’il a réduit à sa propre dimension et qui lui permet, du moins le croit-il, de se protéger du dépaysement et de végéter tout au bord de l’abime ! Mais cela, c’est l’exception. Par contre, le musulman qui va au-delà de la science et du progrès et qui s’incorpore leurs bienfaits, contribue à rajeunir la tradition islamique, restituant ainsi à l’Islam son caractère universel.
N’oublions pas que, pour les Arabes, la religion a précédé l’Etat. Avant l’Etat, elle a légiféré. A côté de l’Etat, et avec lui, elle doit guider, inspirer, harmoniser. Nous tenons ces deux entités pour complémentaires, et non pour contradictoires, et il nous paraît plus légitime de les unir que de les séparer. La création d’un Etat laïc en terre musulmane a été, indiscutablement, une nouveauté troublante pour la plupart des musulmans, et c’est à partir de là qu’un hiatus s’est produit entre la Turquie et les pays du Machreq et du Maghreb… »
Bader Lejmi