L’initiative nationale de consultation des musulmans de France lancée par Marwan Muhammad, écrivain, statisticien et ancien directeur exécutif du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), marque une nouvelle étape historique pour le lent et douloureux processus d’émergence d’une institution musulmane autonome en France. Une étape saluée par la plupart des Français musulmans qui se sont prêtés à l’exercice. Mizane.info a suivi de près l’initiative et vous livre son regard.
Rayon de soleil institutionnel dans le paysage islamique de France; bouffée d’oxygène dans un processus d’institutionnalisation aussi moribond que désespérant : les qualificatifs inspirés par la démarche de consultation lancée par Marwan Muhammad, ex-directeur exécutif du CCIF, ne manquent pas, même s’il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions significatives. Présentée sous forme d’un questionnaire axé autour des figures actuelles de la représentation musulmane française, de son cadre institutionnel (CFCM, Fondation de l’islam de France), des sujets d’action prioritaires et des réflexions qu’ils suscitent auprès des signataires, la consultation a le mérite de mettre les pieds dans le plat et de poser les bonnes questions. Elle constitue, de ce point de vue, la première manifestation historique authentiquement démocratique du processus de construction d’une institution musulmane française. Quoi qu’on en dise, il y aura bien un avant et un après consultation.
La nouvelle « istichara » lancée par Marwan Muhammad (consultation, en référence à la première istichara, lancée par Jean Pierre Chevènement en 1999) tranche des précédentes initiatives car elle inverse leur logique. Elle part de la base, et rien que de la base. Base virtuelle des internautes de confession musulmane qui auront à cœur de s’exprimer enfin, et de dire « leur vérité » sur la question de l’islam de France, de ses représentants cooptés ou auto-proclamés, du rôle véritable d’une mosquée et de l’ingérence ou de l’absence d’ingérence souhaitée de l’Etat dans les affaires de la religion musulmane. Mais aussi base réelle des acteurs de terrain confessionnels, cadres associatifs, imams, intellectuels organiques, etc, dont les expériences et les opinions forgées par le temps ont accompagné l’esprit et le contenu de cette démarche consultative.
La fin d’un déni politique des Français musulmans
Appelée à se prononcer, la base des Français musulmans va pouvoir remettre un peu d’ordre et de légitimité dans ce nœud de vipères qu’est la gestion de l’islam de France, parasité par toutes sortes d’ingérences illégitimes (étatiques et extra-religieuses), d’intrusion profane et de détournement politique (sécuritaire, diplomatique, électoraliste, etc). Lorsque la consultation prendra fin, l’analyse de ses résultats permettra, en fonction du taux de participation, d’établir une cartographie précise des opinions et des attentes des musulmans de France sur l’émergence d’une authentique institution représentative de portée nationale.
En réalité, il reviendra aux musulmans de France de faire preuve de responsabilité et de s’emparer, le moment venu, de cette dynamique pour en faire le catalyseur d’une nouvelle histoire dont il leur incombera de rédiger les lignes
Ce moment sera crucial. Il servira de test communautaire et de tournant historique. Au terme de ce processus de consultation, les acteurs de terrain auront à charge de réaliser et d’accomplir localement les fondations de ce nouveau projet institutionnel communautaire. Autant dire que les véritables difficultés ne se sont pas encore manifestées, même s’il ne faut pas anticiper cette étape.
Les commentaires critiques sur cette consultation exprimés notamment par un Hakim Al Karoui, éminence grise du gouvernement Macron, dont l’illégitimité statutaire le partage à l’opportunisme personnel, doivent se comprendre par le fait qu’il assiste à l’effondrement de ses projets précédemment formalisés dans un rapport publié par l’Institut Montaigne. Un projet qui visait à « accompagner », voire à encourager la sécularisation de l’islam et la sortie du religieux des Français de religion et de culture musulmane, via une reprise en main « républicaine » de ce serpent de mer institutionnel.
Un mépris constant et affiché par l’ensemble des décideurs politiques qui auront tenté de gérer ce dossier, sans jamais se préoccuper de savoir ce que pensaient ou souhaitaient les musulmans de France. La dernière consultation du président Macron sur l’islam de France ne faisant que confirmer cette tradition politique de déni, la plupart des acteurs de terrains et imams engagés n’ayant pas été consultés.
Une opportunité historique de changement
Deux pièges restent à éviter. Une attaque en règle du Conseil Français du Culte Musulman, prétexte à un affrontement public sur les mauvais résultats ou l’absence de résultats de l’institution. Ce combat serait d’arrière-garde et parfaitement inutile car l’enjeu n’est pas là, à moins de verser dans un fétichisme mal avisé de la forme institutionnelle. L’objectif de cette nouvelle consultation traduit l’esprit d’une représentation religieuse à la fois légitime et efficace, et cet esprit devrait être partagé par tous. De toute manière, la question de la forme que prendra la mise en acte des résultats de cette consultation est pour le moment prématurée.
Le second piège à éviter est la lecture personnalisante de cette initiative lancée par Marwan Muhammad. Si la légitimité de l’homme n’est plus à prouver, et si son initiative doit être saluée, son objectif n’obéit pas à une ambition personnelle ou à une volonté d’inscrire son empreinte dans le marbre institutionnel. Loin s’en faut. L’homme a pris ses responsabilités religieuses et citoyennes en impulsant un mouvement. En réalité, il reviendra aux musulmans de France de faire preuve de responsabilité et de s’emparer, le moment venu, de cette dynamique pour en faire le catalyseur d’une nouvelle histoire dont il leur incombera de rédiger les lignes. De ce point de vue, les leçons historiques sur l’échec de toute personnalisation des dynamiques associatives nous semble avoir été intégrées. Nous aurons l’occasion de revenir le moment venu sur la prochaine étape de ce processus de refondation de l’islam français.
Fouad Bahri
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