Cheval de guerre du gouvernement français, le droit au blasphème ne relève pourtant pas de la liberté d’expression. Mizane.info publie à ce sujet un avis de la Cour européenne des droits de l’Homme émis le 25 octobre 2018 commentant la condamnation d’une Autrichienne pour incitation à l’intolérance religieuse, précédée d’une introduction sémantique sur le contenu des termes.
Le droit au blasphème, expression étrange, est défendue mordicus par le président de la république et le gouvernement comme l’expression « sacrée » serait-on tenté de dire de la liberté d’expression.
Or, cette position n’est ni conforme à la loi, ni aux principes de la Constitutions française, ni même aux principes républicains.
Rappelons quelques définitions.
Un blasphème est selon la définition du Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL) une « parole, (un) discours outrageant à l’égard de la divinité, de la religion, de tout ce qui est considéré comme sacré ».
Outrageant, dérivé d’outrage, est le qualificatif clé.
Qu’est-ce qu’un outrage ? « Offense, injure grave de fait ou de parole. »
Donc le blasphème est une insulte, une injure grave.
Le droit au blasphème viole la laïcité
Le blasphème n’est pas une critique ou l’expression d’une opinion contraire à la religion, qui en tant que telle est parfaitement légitime.
C’est une offense, une injure, et à ce titre le blasphème ne rentre pas dans la cadre de la liberté d’expression car la liberté d’expression a des limites connues comme l’injure, la calomnie, la diffamation, etc.
Le droit au blasphème est donc une absurdité puisqu’il s’assimile à un droit à l’illégalité, ce qui est un contre-sens.
Par ailleurs, le droit au blasphème est une négation de la laïcité.
Les représentants de l’Etat sont tenus à une stricte exigence de neutralité religieuse.
Prôner l’injure grave aux religions est une violation manifeste de ce devoir de neutralité et qui plus est un trouble potentiel à l’ordre public.
L’intégrer dans les programmes scolaires est une faute juridique caractérisée.
Enfin, en tant que ferment de la haine religieuse et principe de division social, le droit au blasphème ne peut contenir aucune positivité.
En tant qu’injure, il nuit à l’image de la France, pays connu pour sa tradition culturelle raffinée et riche notamment sur le plan littéraire et philosophique.
Il nuit aussi à sa réputation voltairienne de défense des libertés religieuses.
Surtout, il détruit le ciment de la fraternité nationale, valeur républicaine s’il en est.
Le blasphème ne fait pas partie de la liberté d’expression
On le voit donc, le droit au blasphème est indéfendable sous quelques perspectives que l’on se place.
En aucune manière, il ne s’assimile au débat critique ou à l’expression d’une opinion contradictoire à la religion.
L’injure grave n’est pas défendable.
Le 25 novembre 2018, la Cour européenne des droits de l’Homme commentait dans un avis la condamnation par une juridiction autrichienne d’une femme proche des mouvements d’extrême droite, pour des propos injurieux sur le Prophète.
La rédaction de Mizane.info publie in extenso le contenu de cet avis, sans commentaires.
« La condamnation d’une personne qui avait taxé Mahomet de pédophile n’a pas emporté violation de l’article 10
Dans son arrêt de chambre, rendu ce jour dans l’affaire E.S. c. Autriche (requête no 38450/12), la Cour européenne des droits de l’homme conclut, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’affaire porte sur la condamnation de la requérante pour dénigrement de doctrines religieuses, l’intéressée ayant fait des déclarations insinuant que Mahomet avait des tendances pédophiles.
La Cour juge en particulier que les juridictions nationales ont apprécié de façon exhaustive le contexte général dans lequel la requérante a formulé les déclarations en cause, qu’elles ont soigneusement mis en balance le droit de celle-ci à la liberté d’expression et le droit des autres personnes à voir protéger leurs convictions religieuses, et qu’elles ont servi le but légitime consistant à préserver la paix religieuse en Autriche.
Elle dit qu’en considérant les déclarations litigieuses comme ayant outrepassé les limites admissibles d’un débat objectif, et en les qualifiant d’attaque abusive contre le prophète de l’islam risquant d’engendrer des préjugés et de menacer la paix religieuse, les juridictions nationales ont avancé des motifs pertinents et suffisants à l’appui de leurs décisions.
Principaux faits
La requérante, E.S., est une ressortissante autrichienne née en 1971. Elle réside à Vienne (Autriche).
En octobre et en novembre 2009, Mme S. tint deux séminaires intitulés « Informations de base sur l’islam », au cours desquels elle évoqua le mariage entre le prophète Mahomet et la jeune Aïcha alors âgée de six ans et le fait que ledit mariage aurait été consommé lorsque celle-ci avait neuf ans.
À cette occasion, la requérante déclara entre autres que Mahomet « aimait le faire avec des enfants » et s’interrogea en ces termes : « un homme de cinquante-six ans avec une fille de six ans (…) De quoi s’agit-il, si ce n’est de pédophilie ? ».
Le 15 février 2011, le tribunal correctionnel régional de Vienne jugea que ces déclarations insinuaient que Mahomet avait des tendances pédophiles et il condamna Mme S. pour dénigrement de doctrines religieuses.
Celle-ci fut condamnée à une amende de 480 euros ainsi qu’au paiement des dépenses.
Mme S. fit appel de cette décision, que la cour d’appel de Vienne confirma en décembre 2011, souscrivant pour l’essentiel aux conclusions du tribunal de première instance.
La demande en révision formée par la requérante fut rejetée par la Cour suprême le 11 décembre 2013.
1 Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n’est pas définitif.
Dans un délai de trois mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour.
En pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l’affaire mérite plus ample examen.
Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de l’affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet.
Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution.
Des renseignements supplémentaires sur le processus d’exécution sont consultables à l’adresse suivante :
http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant l’article 10 (liberté d’expression), Mme S. reprochait aux juridictions nationales de ne pas avoir examiné la substance des déclarations litigieuses à la lumière de son droit à la liberté d’expression.
Elle soutenait que si elles s’étaient livrées à pareil examen, elles n’auraient pas qualifié ses déclarations de simples jugements de valeur mais auraient reconnu qu’il s’agissait de jugements de valeur reposant sur des faits.
Elle plaidait par ailleurs que sa critique de l’islam s’était inscrite dans le cadre d’une discussion objective et animée ayant contribué à un débat public et qu’elle n’avait pas visé à diffamer le prophète de l’islam.
Elle arguait enfin que les groupes religieux devaient tolérer les critiques même lorsque celles-ci étaient sévères.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 6 juin 2012.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Angelika Nußberger (Allemagne), présidente,
André Potocki (France),
Síofra O’Leary (Irlande),
Mārtiņš Mits (Lettonie),
Gabriele Kucsko-Stadlmayer (Autriche), Lәtif Hüseynov (Azerbaïdjan),
Lado Chanturia (Géorgie), ainsi que de Claudia Westerdiek, greffière de section.
Décision de la Cour
Article 10
La Cour fait observer que ceux qui choisissent d’exercer la liberté de manifester leur religion en vertu de l’article 9 de la Convention ne peuvent s’attendre à le faire à l’abri de toute critique.
Ils doivent tolérer et accepter le rejet par autrui de leurs croyances religieuses.
Ce n’est que lorsque des déclarations formulées en vertu de l’article 10 outrepassent les limites d’un rejet critique, et assurément lorsque ces déclarations sont susceptibles d’inciter à l’intolérance religieuse, qu’un État peut légitimement les considérer comme incompatibles avec le respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion, et prendre des mesures restrictives proportionnées.
La Cour remarque également que l’objet de la présente affaire revêt un caractère particulièrement sensible et que les effets (potentiels) des déclarations litigieuses dépendent dans une certaine mesure de la situation dans le pays où elles ont été formulées, à l’époque et dans le contexte où elles ont été faites.
Elle estime en conséquence que les autorités nationales bénéficiaient en l’espèce d’une ample marge d’appréciation, car elles étaient mieux placées pour déterminer quelles étaient les déclarations susceptibles de troubler la paix religieuse dans le pays.
La Cour rappelle que sa jurisprudence établit une distinction entre déclaration factuelle et jugement de valeur.
Elle souligne que le second ne se prête pas à une démonstration de son exactitude.
Cependant, un jugement de valeur dépourvu de base factuelle suffisante risque d’être excessif.
La Cour relève que les juridictions nationales ont expliqué de façon exhaustive en quoi elles considéraient que les déclarations de la requérante étaient susceptibles de provoquer une indignation justifiée ; elles ont indiqué en particulier que ces propos n’avaient pas été tenus d’une manière objective contribuant à un débat d’intérêt général (par exemple sur le mariage d’un enfant), mais pouvaient uniquement être compris comme ayant visé à démontrer que Mahomet n’était pas digne d’être vénéré.
La Cour souscrit à l’avis des tribunaux nationaux selon lequel Mme S. était certainement consciente que ses déclarations reposaient en partie sur des faits inexacts et de nature à susciter l’indignation d’autrui.
Les juridictions nationales ont estimé que Mme S. avait subjectivement taxé Mahomet de pédophilie, y voyant sa préférence sexuelle générale, et qu’elle n’avait pas donné à son auditoire des informations neutres sur le contexte historique, ce qui n’avait pas permis un débat sérieux sur la question.
Dès lors, la Cour ne voit pas de raison de s’écarter de la qualification que les tribunaux nationaux ont donnée aux déclarations litigieuses, à savoir celle de jugements de valeur, qualification qu’elles ont fondée sur une analyse détaillée des propos tenus.
La Cour juge en conclusion qu’en l’espèce les juridictions nationales ont soigneusement mis en balance le droit de la requérante à la liberté d’expression et les droits d’autres personnes à voir protéger leurs convictions religieuses et préserver la paix religieuse dans la société autrichienne.
La Cour ajoute que, même dans le cadre d’une discussion animée, il n’est pas compatible avec l’article 10 de la Convention de faire des déclarations accusatrices sous le couvert de l’expression d’une opinion par ailleurs acceptable et de prétendre que cela rend tolérable ces déclarations qui outrepassent les limites admissibles de la liberté d’expression.
Enfin, dès lors que Mme S. a été condamnée à verser une amende d’un montant modeste et que cette amende se situait dans le bas de l’échelle des peines, la sanction pénale en question ne saurait passer pour disproportionnée.
Dans ces conditions, et eu égard au fait que Mme S. a formulé plusieurs déclarations accusatrices, la Cour considère qu’en l’espèce les juridictions autrichiennes n’ont pas excédé leur ample marge d’appréciation lorsqu’elles ont condamné Mme S. pour dénigrement de doctrines religieuses.
En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 10. »