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vendredi 15 novembre 2024

Daniel-Youssouf Leclercq : ma charte des imams

La charte des imams a fait couler beaucoup d’encre et échauffer encore plus de sang, comme les divergences ouvertes des acteurs du CFCM l’ont rappelé. Chroniqueur et bloggeur, connaisseur historique de l’institutionnalisation de l’islam en France, Daniel-Youssouf Leclercq a sa propre opinion sur cette charte et sur la fonction d’imam. Il l’exprime dans les colonnes de Mizane.info.

Sauf exceptions à la règle, par nécessité ou par contrainte, par égard ou par pitié, fonctionnariser des « Imams officiels » n’est pas la meilleure solution pour assouvir le peu d’appétit religieux de la communauté musulmane.

Le plus grand travers de la fonction officielle d’Imam, telle qu’elle est perçue aujourd’hui, est de servir d’alibi à ceux qui se dispensent de se cultiver religieusement, indépendamment du fait que ceux qui en font office soient autoproclamés, démocratiquement ou autoritairement, sponsorisés ou labellisés par tel ou tel régime local ou consulaire.

Etre Imam n’est pas un métier comme être Rabbin, Pasteur, Curé ou Moine, accrédités par des clergés dont l’Islam s’est volontairement dispensé.

Un Imam ne devrait d’ailleurs logiquement pas être rémunéré puisque l’accomplissement de la Prière est d’obligation pour tout Musulman.

Ça se bousculerait beaucoup moins au portillon s’il ne s’y rattachait pas de prébendes.

En 1967, au cours d’une rencontre islamo-chrétienne où il est intervenu, le Professeur Muhammad Hamidullah a précisé le rôle mineur du « Ministre du culte » en Islam :

« Le but de l’Imam est simplement de synchroniser les actes pour qu’il n’y ait pas une anarchie. C’est tout. N’importe quelle personne peut diriger la prière des autres fidèles. Il n’y a pas d’Imam ordonné, il n’y a pas de sacrement pour ainsi dire, comme cela existe dans les autres religions. Mais j’ai employé le mot « pour ainsi dire » exprès, parce que chez les musulmans aussi il y a peut-être un certain aspect de la vie qui représente ce que représente le sacrement par exemple chez les chrétiens : répéter le crédo (il n’y a de dieu qu’ALLAH et Muhammad est Son Prophète) et professer sa foi c’est vraiment le sacrement pour chaque individu musulman. Donc chaque individu est ordonné et consacré pour être le ministre de DIEU pour ainsi dire ; en ce sens n’importe qui peut devenir Imam et n’importe qui peut diriger la prière avec les autres ».[1]

Son avis sur la question permet d’enfoncer de gros clous dans le cercueil de l’ordination des Imams par la république laïque française et dans le crâne des amateurs de charte fraîche.

N’importe quel Musulman doit pouvoir s’adonner aux Offices de Prière de façon autonome, que ce soit seul ou en assemblée, devant (comme Imam) ou derrière (Ma’moum).

Tout fidèle possédant le minimum requis peut être appelé, en certaines circonstances, à diriger l’Office en commun.

En général la préséance va au meilleur connaisseur du Saint Coran, au plus âgé, au propriétaire des lieux, au voyageur à qui il est permis de raccourcir la prière, à une personnalité qu’on veut honorer, etc.

Petite précision, cette faculté ne remet nullement en question le rôle des « Muftis » (Juristes) – officiant aussi comme Imams – auxquels recourent les Musulmans pour traiter des questions religieuses complexes.

Ceci dit, ce recours devrait rester marginal puisque la connaissance de la religion est hautement préconisée par l’Islam.

Pour dissocier le rôle de l’Imam et du juriste, citons le cas de ‘Aïcha, l’épouse du Prophète (ص), consultée en tant que tel[2] sans jamais diriger d’Office en commun.

Les identitaires, les autorités françaises et leurs collabos qualifient les Musulmans pratiquants d’islamistes pour les distinguer de ceux pour lesquels la religion est subsidiaire voire superflue.

Les « islamistes » sont communément définis comme des réfractaires aux usages locaux, des fondamentalistes bornés, des contestataires des lois en vigueur, des séparatistes inassimilables, des activistes politiques, des rebelles envers la république, des extrémistes et des terroristes potentiels ou en devenir.

À chaque échéance électorale, les différents gouvernements français, de droite ou de gauche, empêtrés dans les crises économiques et sanitaires, les désignent à la vindicte populaire en tant que cinquième colonne nuisible aux intérêts du pays.

Après les épisodes d’identité nationale, de bannissement du Hijab au sein des écoles publiques et du Niqab dans l’espace public, les accusations de communautarisme islamique et de séparatisme hostiles à la France, le pouvoir projette de séculariser l’Islam et de rééduquer les Musulmans en assujettissant les Imams à une charte humiliante.

Le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) a été sommé par le Gouvernement français d’élaborer et d’assujettir les Imams à cette charte d’allégeance infamante, de sorte à marginaliser voire inculper ceux qui y seront réfractaires.

À l’intérieur du panier de crabes du CFCM, les frères de religion se pincent mutuellement pour démontrer au gouvernement français leur meilleure conformité aux principes de la république, leur plus grande subordination et leur déficience islamique, rivalisant d’inventivité et de déloyauté pour se discréditer les uns les autres.

Entre les audiences, les réceptions, la recherche de notoriété et d’avantages, les courbettes, la servilité et les distinctions gouvernementales, la collaboration, le mouchardage et la charte, quelle place leur reste-t-il pour la religion ?

Daniel-Youssouf Leclercq

Notes :
[1] https://mdhamidullah.files.wordpress.com/2015/11/imam.pdf (page 389)
[2] « Masrouq rapporte qu’il se rendit chez `Aïcha et lui dit : « 0 mère des Croyants, un homme qui envoie une victime à la Mecque, tout en demeurant dans la ville qu’il habite, et qui recommande d’enguirlander cette victime, ne doit-il pas, à partir de ce jour, rester en état d’ihram (sacralisation) jusqu’au moment où les pèlerins reprennent leur état normal ? » J’entendis battre des mains derrière la portière et `Aïcha me dire : « Je tressais les guirlandes des victimes de l’Envoyé de DIEU ; il envoyait ces victimes à la Ka’ba et ne s’interdisait rien de ce qui est licite aux hommes envers leurs femmes jusqu’au retour des pèlerins »». (Boukhary 73/15/1).

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