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dimanche 28 avril 2024

Droits de l’Homme, individualisme et islam : l’Occident face à lui-même

Le contexte actuel de propos racistes et islamophobes ciblant les musulmans de France ouvre une interrogation périlleuse pour la conscience occidentale. Pris en étau entre les principes de son idéologie droit-de-l’hommiste et individualiste d’une part et ses désirs de pureté civilisationnelle d’autre part, l’Occident se retrouve pris au piège avec lui-même. Un face à face dont il lui sera difficile de sortir indemne. Une chronique de Mizane.info signée Melchi Sédech al-Mahi.

La proclamation des libertés individuelles comme valeur absolue dont le socle idéologique puise sa substance dans la déclaration des droits de l’Homme, provoque un certain hiatus.

Cette dissonance provient probablement du fait que l’idéologie qui porte ces droits est une utopie dont l’application ne peut jamais être sainement et totalement effective.

Pour le dire simplement, l’idéologie des droits de l’Homme évacue les identités collectives et fait donc le pari d’une société structurée par un agglomérat de droits individuels.

Or, ceux-ci ne manquent pas d’entrer inextricablement en contradiction les uns avec les autres et ce malgré le complexe de procédures légales créé par une société sur-judiciarisée.

On ne peut affirmer une identité collective en s’appuyant sur un concept vide (la laïcité) qui dit moins ce que nous sommes que ce que nous ne sommes pas (…) Le libéralisme instaure un panthéisme du vide qui ne peut inclure en lui-même que des individus.

Pourquoi le voile islamique fait-il si peur au-delà de l’alimentation d’un feu médiatique et hystérique de pompiers pyromanes ?

Car il est précisément perçu comme un symbole d’une identité collective vivante, une presqu’institution concurrente de l’identité collective française, ou occidentale qui, elle, se désagrège à vue d’œil.

En effet, les arguments contre le port du voile ou de l’islam en général se constituent au nom d’un « bien commun français » dissolue face à la horde de principes prônés par les « envahisseurs ».

Le dilemme moral de l’Occident

Nous ne sommes pas de ceux qui nient le problème, qu’un certain mal-être civilisationnel pose de façon de plus en plus virulente, en revendiquant des solutions qui selon nous, ne font qu’accentuer le quiproquo.

Il faut pour autant être assez lucide pour comprendre que la désagrégation des sociétés occidentales se produit avant tout par le mouvement même de l’Occident et dont l’immigration ou l’islam de ce point de vue, n’apparaissent au pire que comme un facteur dérisoire de ce phénomène.

La laïcité, transposition nationale de l’idéologie libérale, se conçoit depuis le début de son histoire soit comme un ordre symbolique anti-religieux, soit comme un ensemble de droits instituant un espace neutre où se dissoudrait la religion comme chose sociale et spirituelle (le roman nationale républicain s’occupant du bien commun).

droits de l'Homme

Les moyens et la rhétorique divergent mais le résultat est le même : sans la survivance de cette mythologie nationale qui s’effrite sous le poids de sa propre logique, voit le jour une société sans forme d’individus atomisés dont le fin tissu de valeurs disponibles s’étiole sous le poids d’une logique marchande totalitaire.

Cette dynamique dont nous parlons est précisément le résultat de l’application de l’idéologie des droits de l’Homme, véritable charte du libéralisme dont l’objet est à la fois économique et sociétal.

A lire du même auteur : Le transhumanisme : un réductionnisme toujours plus fou

Ce que nous disons, c’est que la modernité est intrinsèquement fondée sur une conception anti-sociale du réel et les sociétés qui en sont directement issues, pour ne rien dire des autres, font face à une crise structurelle de leurs institutions.

droits de l'Homme

Pour ne pas laisser l’idéologie individualiste rendre les sociétés perméables à ce qui semble être le fait social de l’islam, qui avancerait sous le couvert de choix individuels, on en vient à réaffirmer le concept de laïcité comme un fort marqueur culturel d’une identité française séculaire.

Il en résulte le hiatus dont nous parlions, car on ne peut affirmer une identité collective en s’appuyant sur un concept vide qui dit moins ce que nous sommes que ce que nous ne sommes pas.

Le libéralisme instaure un panthéisme du vide qui ne peut inclure en lui-même que des individus.

Plus concrètement, il faut comprendre à titre d’exemple que c’est au nom même de ces droits individuels que le port du voile islamique ne peut être interdit sans déroger aux principes que l’on souhaite par ailleurs défendre en le combattant (le port du voile).

Individualiser le fait religieux, vouloir briser ou déconstruire la «  oumma » au lieu de contribuer à sa constitution, c’est à notre sens fermer la porte à l’insufflation d’une réelle identité collective et culturelle, c’est briser une identité qui tend et chemine vers l’universel, ayant de véritables racines, mais aussi des ailes, une identité dont les fruits ont pendant des siècles et quoi qu’on en dise, nourri des sociétés diverses et florissantes.

Autrement dit, l’Occident se trouve, dans cette polémique nauséabonde, en discussion avec lui-même et se pose la question de savoir comment articuler en son sein des valeurs contradictoires.

Nous poserons donc volontiers la question pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent se la formuler à eux-mêmes : doit-on sacrifier l’identité collective, forcément impulsée par les institutions, aux droits individuels, c’est-à-dire aux désirs de chacun ?

On conviendra que quelle que soit la réponse, il est un peu tard pour se poser la question (elle se pose de manière impérative aux pays orientaux).

Il est en tout cas malséant de reprocher ses propres choix civilisationnels à ceux qui en subissent le plus les conséquences, en l’occurrence les populations du Sud (souvent islamiques) frappées continuellement et brutalement par la modernisation violente de leur société traditionnelle et donc par la destruction de leur identité collective, (au nom évidemment des droits de l’homme).

Le pari d’une identité collective

Pour en revenir à l’Occident, si l’on veut être cohérent, on doit admettre que l’on ne peut, par exemple, accepter de modifier l’institution du mariage en faveur de nouveaux droits « communautaires » d’une part et interdire ou honnir l’expression religieuse minoritaire d’autre part.

On ne peut, de la même façon, prôner à la fois une société fondée sur des « principes institutionnels » d’une part, et d’autre part tout réduire en dernière instance à une question de Produit Intérieur Brut.

droits de l'Homme

Ou bien le désir de chacun (surtout celui de consommer) devient un droit pour tout le monde et pour l’individu musulman également, mais alors la politique ne sera rien d’autre que de la gestion (qui risque de devenir bien compliquée), ou bien l’institution doit définir en grande partie le bien commun par lequel les citoyens devront faire société et alors il faudra tenir compte dans la mesure du possible des différentes cultures qui composent désormais cette « citoyenneté ».

Nous avons bien dit cultures et non pas individus !

C’est un peu en ce sens que Pierre Manent souhaite plus ou moins redéfinir le contrat social en tenant compte de la religion et de l’islam en particulier, en tant que phénomène social.

Les « musulmans » tout autant emprisonnés que le reste des Français dans cette vision idéologique des droits de l’Homme, pour ne plus échapper à la question réelle qui se pose et pour être d’ailleurs un vecteur d’enrichissement véritable, doivent également à notre sens s’émanciper de l’idéologie individualiste en tant que norme absolue.

« La religion vivante est en réalité comme un printemps ; l’eau continue à en couler afin d’inonder et nourrir les champs qui l’entourent. En plus de la foi, je peux fournir des arguments pour mes croyances, et je suis déterminé à préserver ma vision du monde parce que je l’ai étudiée et que j’ai acquis une certitude à propos de sa vérité à la fois par la foi et l’intelligence ». Nasr

La femme musulmane doit pouvoir en effet dire haut et fort que le port du voile, en plus d’un choix, est le fruit d’une institution religieuse, culturelle et/ou familial qu’elle entend respecter, car cette institution la précède et la structure en tant qu’individu.

On doit se rendre compte en Occident que l’individu est un concept qui, en soi, n’a pas de réalité.

En assumant une culture et non plus de simples choix individuels, les musulmans en France pourront peut-être, ne pas devenir de simples produits folkloriques, consommateurs effrénés de produits halals ou créateurs de marché de niche : « femmes-féministes-imams » ou autres « rappeurs en qamis » …

N’oublions pas que ce sont le plus souvent des individus déracinés sans institution de sens et sans culture qui sombrent dans une folie meurtrière, qu’ils se disent musulmans ou racialiste.

droits de l'Homme

Individualiser le fait religieux, vouloir briser ou déconstruire la «  oumma » au lieu de contribuer à sa constitution, c’est à notre sens fermer la porte à l’insufflation d’une réelle identité collective et culturelle, c’est briser une identité qui tend et chemine vers l’universel, ayant de véritables racines, mais aussi des ailes, une identité dont les fruits ont pendant des siècles et quoi qu’on en dise, nourri des sociétés diverses et florissantes mais riche d’une même vision du monde dont l’Occident ne veut toujours rien savoir si ce n’est avant de l’avoir passé au crible de son propre logiciel.

Déconstruire le phénomène religieux comme fait social et identité collective ne fera qu’accentuer la lutte de tous contre tous.

La dynamique traditionnelle du Vivant

Si les Occidentaux ont renoncé à leur identité au profit de l’idée qu’ils se font de l’objectivité, s’ils ont renoncé à leurs institutions pour une « gouvernance par les nombres » comme le dit Alain Supiot et bien il faut oser dire, même si on est musulman et même si nous le disons depuis un point de vue islamique ou plus largement traditionnel, il faut oser dire que notre vision des choses est différente !

Le musulman-individu, émancipé de sa tradition, n’est selon nous pas une solution. On ne construit rien de bon sur du vide.

La Tradition doit être entendue non pas comme une histoire figée, mais comme un coffre dont le trésor est un éternel présent.

Comme le dit Sayed Nasr en substance, il faut être le langage vivant et contemporain des vérités éternelles qui nous habitent.

« La religion vivante est en réalité comme un printemps ; l’eau continue à en couler afin d’inonder et nourrir les champs qui l’entourent. En plus de la foi, je peux fournir des arguments pour mes croyances, et je suis déterminé à préserver ma vision du monde parce que je l’ai étudiée et que j’ai acquis une certitude à propos de sa vérité à la fois par la foi et l’intelligence »[1].

Concernant les prescriptions religieuses tel que le port du voile, il s’agit pour nous de répondre, que les musulmans en aient conscience ou non, à une injonction dont la finalité, pour ce monde en tout cas, est certes individuelle mais aussi sociale et collective.

Les musulmans dans leur diversité sont évidemment porteurs d’un certain rapport au réel, d’une vision du monde ayant forcément des implications ici et maintenant et qui impactera d’une manière ou d’une autre « la collectivité sociale ».

Nous croyons-donc qu’il nous faut pouvoir discuter en profondeur les mythes qui composent notre temps et partager sans complexe mais sans fougue belliqueuse, notre propre vision du monde à partir d’une épistémè islamique et sans systématiquement se cacher derrière la laïcité ou les droits de l’Homme.

Pouvoir, toujours et avant tout en plaçant le spirituel au-dessus du social et de l’individu, en discuter librement, avant que ces problématiques ne se posent autrement que par les mots ! Et Dieu est plus Savant !

Melch Sédech al-Mahi

Notes :

[1] https://sahilbadruddin.com/seyyed-hossein-nasr-on-role-of-thinking-in-islam-past-present-and-future/?fbclid=IwAR3V0_vpp0BwBQNXoEIOS3MFRABIL05385t8J4IdhZfDjfN8CySGtt_zKsc

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