Une étude menée récemment par un cabinet new yorkais s’est penchée sur les attentes et les valeurs des femmes musulmanes du sud est-asiatique, en Indonésie et en Malaisie. Les résultats dressent le portrait de femmes attachées aux valeurs religieuses mais pleinement engagées économiquement dans leurs sociétés. Un focus signé Anis Muslimin, rédactrice à Forbes.
Cette étude menée par le groupe de réflexion de J. Walter Thompson basé à New York donne un aperçu des perspectives des femmes musulmanes dans la région de l’Asie du sud-est et la manière dont elles pourraient affecter la mode, le secteur de la beauté, la technologie et les industries alimentaires. Quelque 1 000 femmes musulmanes indonésiennes et malaisiennes ont été interrogées. La majorité de cet échantillon est âgé de 18 à 39 ans et 23 % des personnes interrogées ont 40 ans et plus; la plupart des répondantes (90 %) vivent dans des zones urbaines et périurbaines. La religion est citée comme un aspect essentiel de la vie pour la plupart de ces femmes, beaucoup d’entre elles affirmant que l’Islam est « très » important pour elles (94 %). Environ un tiers des femmes déclarent voyager à l’extérieur de leur pays au moins une fois par an et presque toutes ont le sentiment qu’il existe beaucoup plus d’opportunités pour les femmes que par le passé. Cependant, de nombreuses personnes interrogées estiment que les jeunes femmes devraient jouir de plus de libertés et avoir une voix plus forte dans leurs communautés et au sein des gouvernements locaux et nationaux.
Le mariage de la religion et de la modernité
Ces résultats font apparaître l’émergence d’une culture de femmes musulmanes en Asie du Sud-Est. Des femmes non conventionnelles, plus progressistes et davantage axées sur leur carrière. L’auteur-compositeur-interprète malaisienne Yuna, qui vit aux États-Unis, et se montre sur scène habillée d’un turban plutôt que d’un foulard traditionnel, en est l’incarnation.
En Indonésie, trois adolescentes portant le hijab ont formé le groupe de thrash metal « The Voice of Baceprot », au grand dam des conservateurs de leur pays. « Avec la résurgence de la piété publique, de plus en plus de musulmans sont conscients de la nécessité de trouver un équilibre entre la religion et la modernité ; pour eux, ils ne sont pas opposés », a déclaré Eva Nisa, professeur d’études religieuses à la Victoria University of Wellington, qui mène une recherche sur la jeunesse musulmane en Malaisie et en Indonésie. La population musulmane de l’Asie du Sud-Est représente 240 millions de personnes, soit environ 40 % de la population de la région. En Indonésie, 87,2 % de la population s’identifient comme musulmans, ce qui en fait le pays islamique le plus peuplé au monde. En Malaisie, 60 % des 30 millions d’habitants du pays sont musulmans.
L’envol de la mode islamique
Le changement d’attitude influence la croissance de l’industrie de la mode. La marque de sport principale Nike lancera l’année prochaine son Nike Pro Hijab. En 2015, la chaîne japonaise de mode décontractée Uniqlo avait présenté une ligne de vêtements de la créatrice américaine Hana Tajima. Ces dernières années, la Malaisie a connu la montée en puissance d’entrepreneurs locaux spécialisés sur la mode « hijabi ». Noor Neelofa Mohd Noor, fondatrice de Naelofar Hijab, et Vivy Yusof, cofondatrice de FashionValet,, qui ont toutes deux un large public sur les réseaux sociaux, figurent parmi les pionnières de l’industrie locale de la mode. Le duo est apparu cette année sur le classement de Forbes en Asie dans la catégorie commerce de détail et commerce électronique.
En Indonésie, la mode « hijabi » est dominée par le site de commerce en ligne HijUp.com de Diajeng Lestari, 31 ans, la première et la plus importante plate-forme en ligne de mode islamique en Indonésie. Les dépenses dans ce secteur étaient estimées à 243 milliards de dollars en 2015, 11 % du marché mondial et 5,7 % de plus que l’année précédente.
La croissance de cette industrie a changé la perception des femmes musulmanes portant le hijab. La mode est le moyen le plus efficace de communiquer que l’islam ne concerne pas seulement le terrorisme ou des personnes qui s’entretuent.
Les dépenses totales des consommateurs musulmans pourraient atteindre 368 milliards de dollars d’ici à 2021, selon les derniers chiffres du Rapport sur l’état de l’économie islamique mondiale 2016-2017, établi par Thomson Reuters et DinarStandard.
La nourriture halal, une priorité
Outre la mode islamique, la nourriture halal est une autre priorité des femmes musulmanes d’Asie du Sud-Est. Neuf personnes interrogées sur dix estiment qu’il est « très » important pour elles que la nourriture halal soit « sans porc, certifiée par un organisme islamique et sans alcool ». Sushi King, une chaîne de 113 points de vente en Malaisie, a récemment été certifiée halal, pour répondre aux besoins des habitants qui ne souhaitent pas manger dans des restaurants non certifiés halal. En Malaisie, une certification halal ne peut être délivrée que par Jakim, le Département malaisien du développement islamique, un organe dirigeant la vie religieuse musulmane. « Le halal est utilisé comme outil de marketing », a déclaré Faisal Fadzil, fondateur de la société malaisienne Tanamera Tropical Spa Products.
Le désir de produits et services halal fait que de plus en plus d’entreprises introduisent des produits halals, même dans les produits cosmétiques. La société japonaise Shiseido a récemment fait certifier des produits halals dans sa marque de cosmétiques Za. D’autres sociétés comme Unilever ont lancé Sunsilk Hijab, une gamme spéciale de shampooings et de revitalisants conçus pour traiter les problèmes liés au port d’un couvre-chef, comme les cheveux moites et le cuir chevelu gras, et pour prévenir la perte de cheveux. Selon le rapport Thomson Reuters et DinarStandard, le marché halal mondial devrait passer de 1,9 billion de dollars en 2015 à 3,5 billions de dollars en 2021.
L’intégration économique des « hijabis »
Pour Hanna Faridl, responsable communautaire de HijUp.com, l’impact de l’industrie halal est démontré par le fait que les femmes portant le hijab sont désormais perçues différemment. Elle même reconnaît ne plus être ignorée professionnellement à cause de son hijab ou même avoir des problèmes avec des contrôles d’immigration comme auparavant.
« La croissance de cette industrie a changé la perception des femmes musulmanes portant le hijab. La mode est le moyen le plus efficace de communiquer que l’islam ne concerne pas seulement le terrorisme ou des personnes qui s’entretuent », at-elle déclaré au Groupe Innovation. Les perspectives de plus en plus globales des femmes musulmanes d’Asie du Sud-Est dans les domaines de l’alimentation, de la mode, des voyages et de la technologie défient non seulement les stéréotypes, mais en font aussi une force de frappe commerciale sur le marché mondial.
Anis Muslimine
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