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lundi 23 décembre 2024

Faouzia Zebdi-Ghorab : «La Transcendance replace l’homme frappé du syndrome de l’autosuffisance dans sa véritable dimension»

Suite du dossier de la rédaction de Mizane.info consacré aux rapports entre islam et (post)modernité.  Écrivain et essayiste, enseignante diplômée d’un DEA consacré au « thème de l’exil dans la philosophie Ishraqi », auteure de l’ouvrage «Les prédicateurs musulmans face au discours dominant», Faouzia Zebdi-Ghorab expose sa réponse en deux temps : une analyse critique (historique et conceptuelle) de la modernité suivie d’un appel à la contribution des musulmans qui devront, selon l’auteure, prendre toute leur responsabilité dans la proposition d’un nouveau modèle.

Il est nécessaire, me semble-t-il, de commencer par interroger la question, avant même les termes de la question.

Car l’essentiel n’est pas seulement de savoir de quoi l’on parle, mais comment c’est-à-dire en quels termes.

Nous avons ici un rapport à établir entre islam et modernité.

Si la question de leur rapport se pose, c’est parce que l’islam modèle de civilisation jugé trop traditionnel est sommé de se positionner par rapport à un type de société qui se présente comme la norme et comme l’aboutissement idéal d’un processus historique de développement.

L’islam doit donc dire clairement la relation, le lien, les affinités qu’il entretient avec la modernité dont les sociétés occidentales sont donc l’emblème.

Les poncifs éculés d’un faux antagonisme

S’agit-il de s’interroger sur le rapport entre deux mondes jugés à priori antinomiques, l’un anti-progressiste et l’autre avant-gardiste ?

Auquel cas la question est complètement inopérante, car la question induit de fait la réponse : il n’y a aucun rapport entre islam et modernité !

Nous devons donc considérer que la question pose un vrai problème.

Selon certains, l’Islam correspond à une  réalité et la modernité à une autre réalité.

Auquel cas, le problème posé ne peut être résolu que si l’islam rejoint le train de la modernité en abandonnant ses « guenilles ».

Tous les débats plus ou moins discordants, voire lunaires, sur la modernisation ou réforme de l’islam viennent de ce que tout le monde n’est pas d’accord sur l’acception du mot « guenilles » c’est-à-dire sur la liste des vieilleries traînées par l’Islam comme des casseroles, et dont elle devrait se débarrasser pour rejoindre le train de la modernité.

Je pense pour ma part que poser le problème de l’islam et de la modernité en termes de calibrage n’a pas sens.

L’islam a des ajustements à faire, mais sur le plan interne c’est à dire avec ses propres normes ses propres outils qui sont tout à fait à même d’apporter les rectifications nécessaires à la revification de ses enseignements, et donc à son efficience civilisationnelle.

L’islam est une vision du monde avec son propre système de valeurs. Il est un paradigme intégral.

Mais revenons aux termes de la question et essayons de dresser un tableau de la modernité Qu’entendons-nous lorsque nous parlons de modernité ?

Le rendement au détriment du sens

Dans l’esprit du plus grand nombre, la modernité est surtout un mode de vie, une certaine organisation sociale et une certaine mentalité ou façon de penser.

C’est selon l’encyclopédie universalis, un monde de civilisation qui s’opposer au monde de la tradition. Il y aurait beaucoup à dire à propos de cette définition, mais nous nous retiendrons d’en faire le commentaire pour ne pas nous éloigner du sujet.

Shangaï.

La modernité représenterait donc le passage d’un monde traditionaliste, voire archaïque, dans son mode de gestion politique, dans son mode de pensée, etc… à un monde moderne symbolisé par une nouvelle organisation des sociétés humaines.

La transformation des mentalités se fait par le déclin du religieux au profit du rationnel. La modernité est donc forcément laïque.

L’idée de communauté nourrit en l’homme le sentiment de responsabilité vis-à-vis de son propre destin, mais aussi vis-à-vis du destin de tous les autres.

Ce rationalisme paré souvent de l’athéisme ouvre la porte au scientisme (et toutes les théories dont il est le père).

Ce rationalisme exacerbé pose un nouveau régime de véridiction où la vérité n’est plus révélée, mais démontrée.

C’est pourquoi dans une société dite moderne raison et progrès sont les deux valeurs sacrées. L’homme maître et possesseur de la nature est de fait maître et possesseur de lui-même.

Cette centralité de l’homme lui donne un sentiment de puissance, invulnérabilité, voire d’immortalité et le conduit vers une forme d’individualisme sans rivage.

A lire aussi : Mouhib Jaroui : «La modernité est toujours inachevée car portée par les efforts continus des individus»

Dans ce monde moderne que nous « pratiquons » tous les jours, la primauté est donnée aux activités économiques et aux capacités de rendement de chacun, au détriment du sens à donner à ce travail et à sa finalité : modernité comme état de pure science, stricte raison, et propre réflexion.

La phase terminale de la modernité

L’homme moderne, le nez dans le guidon vit par et pour un travail qui lui donne les moyens de vivre au-dessus de ses moyens sans que jamais ne soit posée la question des fins.

La modernité n’apparaît plus que comme l’aboutissement d’un processus de progrès technologique, scientifique qui a contribué à améliorer les conditions de vie de l’homme, mais en lui imposant comme condition sine qua non le dépassement de la foi religieuse.

Entrer dans la modernité suppose donc d’embrasser et d’épouser la modernité pour le meilleur comme pour le pire.

Or la modernité est en phase de crise terminale. Nous assistons en direct à la fin d’un paradigme historique qui a eu ses beaux jours et ses heures de gloire et qui les aura encore pour un temps, mais donc le déclin est certain.

Il ne s’agit pas d’une crise conjoncturelle, mais bien d’une crise structurelle doublée d’une crise des valeurs et du sens.

Problème : nous portons en nous les paradigmes de cette modernité.

Et nous sommes persuadés non seulement qu’une nouvelle ère n’est pas possible, mais que cette ère de la modernité représente la fin ultime du progrès humain.

Autrement dit nous avons intégré le logiciel de la modernité.

Pourtant même les tenants et les défenseurs de cette modernité sont obligés de reconnaître que l’humanité est face à un mur, et que l’idée du progrès effréné et immoral nous mènera droit à la catastrophe quoiqu’on face.

Le discours de supériorité culturelle des États modernes ébranlé par deux guerres mondiales barbares et sanglantes menées au cœur même du monde moderne — n’a plus de sens alors pourquoi devrait-il encore en avoir pour nous ?

Les pires guerres ont eu lieu au cœur d’une Europe moderne dont on pensait qu’elle avait atteint le summum de la rationalité. Des bombes atomes sont déversées par les USA classé numéro Un en terme de modernité et de droits de l’homme.

Ces événements qui n’ont pas eu lieu au Moyen- âge mais bien au XXe siècle ont fait perdre à l’occident sa primauté culturelle.

L’histoire de la modernité est terminée. Cette fausse hiérarchisation entre barbares et civilisés s’est écroulée.

Transcendance et communauté, les deux piliers d’une renaissance

Ceux que l’on avait traité en sous hommes durant tous ces derniers siècles présentent désormais un intérêt anthropologique, voire culturel.

Les pays d’Afrique sont désormais appelés pays émergents.

Les membres de ces sociétés modernes cherchent une issue à cette impasse : spiritualité, écologie, économie solidaire, troc, vie sans argent, ouverture aux autres cultures, mystique, valorisation de l’être plutôt que du paraître et de l’avoir… yoga, retraites spirituelles, voyages, harmonie avec la nature, etc).

Dans son désarroi, la communauté musulmane est en attente anxieuse d’un modèle de société qui la prendra dans son giron et la bercera.  Peut-être est-il temps que nous assumions pleinement notre responsabilité face à ce destin.

Une quête de sens qui milite pour une spiritualisation du monde qui ne passe plus par l’église et par la religion s’affirme.

Le post modernisme — qui s’oppose au progrès et aux lumières et qui s’exprime d’abord dans l’art — est ce cri de rupture.

C’est l’expression de la fin de l’idéologie progressiste tant vantée. On est désormais convaincus qu’en se ruant de façon effrénée vers le progrès et la croissance, la société n’œuvre pas pour le mieux et le bien-être de l’homme.

Incontestablement les bannières strictement libéralisâtres, progressistes et matérialistes n’ont pas vocation à flotter indéfiniment.

Donc, si l’islam devait se placer sous une bannière, il apparaît clairement que la bannière de la modernité est en berne depuis quelques années.

Faut-il se trouver un nouvel étendard ? De nouvelles couleurs pour lesquelles s’animer ou s’enflammer ?

Deux idées sont essentielles à la pérennité d’une civilisation : l’idée de transcendance et l’idée de communauté unique, basées sur une foi simple et forte.

La notion de transcendance relativisant tout savoir, tout avoir et tout pouvoir, replace l’homme frappé du syndrome de l’autosuffisance dans sa véritable dimension et dans son véritable rôle.

Elle rompt le cercle infernal du nombrilisme humain qui réduit toute action à sa dimension toute personnelle et qui refuse ainsi de reconnaître l’existence de valeurs absolues qui sont en nous malgré nous.

Quant à l’idée de communauté, elle nourrit en l’homme le sentiment de responsabilité vis-à-vis de son propre destin, mais aussi vis-à-vis du destin de tous les autres.

….

La dérision de la vie moderne

Dans son désarroi, la communauté musulmane est en attente anxieuse d’un modèle de société qui la prendra dans son giron et la bercera.

Peut-être est-il temps que nous assumions pleinement notre responsabilité face à ce destin.

Peut-être est-il temps que nous réalisions que nous sommes la solution aux souffrances qui déchirent nos sociétés malades de leur trop de modernité.

Peut-être est-il temps que nous réfléchissions aux outils à notre disposition et à la manière dont nous devons les utiliser afin de penser un type d’économie et de croissance qui ne soit pas synonymes de destruction inéluctable de la planète.

Que nous élaborions un type d’éducation qui n’œuvre pas à éteindre en chaque enfant à tout jamais, l’étincelle de la créativité et de la motivation.

Que nous pensions un type de politique qui ne soit pas synonyme de captation de pouvoir, et donc de richesses par une poignée d’individus qui décident du choix du mode de vie du reste des individus de la planète.

A lire également : Faouzia Zebdi-Ghorab : «Remettre Dieu au centre de nos préoccupations, c’est Le remettre au centre de nos discours»

Vous devez travailler plus nous dit-on. Pourquoi ? Pour gagner plus.

Pourquoi devons-nous gagner plus ? Pour consommer plus. Et pourquoi devons-nous consommer plus ?

En répondant à cette question, on réalise la dérision de nos vies modernes. Ah mais tu veux retourner à la bougie et au train à vapeur !!!

Si tu dis cela c’est que tu n’as strictement rien compris aux revendications et aux attentes de millions de gens autour de toi, mais aussi à travers le monde.

Mais cela signifie surtout que tu n’as aucune imagination, car tu n’as pas la capacité d’imaginer un monde meilleur, un monde plus juste, en un mot un monde plus BEAU.

Faouzia Zebdi-Ghorab

http://www.faouzia-zebdi-ghorab.com 

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