La conversion à la modernité n’a pas seulement atteint les élites arabes. En France, certains prédicateurs musulmans s’y serait engagés, au nom de la lutte contre « l’archaïsme » de certaines traditions. C’est le sujet du dernier livre de Faouzia Zebdi-Ghorab, « Les prédicateurs musulmans face au discours dominant ». L’auteure de « Le jeûne protestataire, martyre ou damnation ? » expose, sous forme de thèmes (la liberté, la fraternité, la notion de oumma) et décortique, de manière critique, l’approche de ces prédicateurs. Le focus de Mizane.info.
Faouzia Zebdi-Ghorab est, en France, l’une de ces rares musulmanes engagées dans une action de terrain et une réflexion profonde sur l’islam.
Une réflexion nourrie par deux décennies d’engagements politiques puis associatifs, et par une érudition solide agrémentée d’une culture philosophique et d’une étude des textes islamiques qui en font l’une des intellectuelles musulmanes offrant la perspective la plus riche sur ce sujet.
Cela tombe bien, car son dernier livre intitulé « Les prédicateurs musulmans face au discours dominant » met les pieds dans le plat de la thématique la plus incontournable de notre actualité : la nature de la relation que doit entretenir la vision islamique avec les paradigmes de la modernité.
« Depuis près de deux décennies, nous essuyons une nouvelle vague de discours qui convoquent pêle-mêle les mots : liberté, fraternité humaine, égalité, ouverture, principe de laïcité, citoyenneté, mixité…, adoubés par les termes : « équité », « tolérance » « noble caractère », « éthique », « comportement », « bienveillance »…
Ce sont là des mots inédits dans une atmosphère jusqu’alors conservatrice et surannée. Le discours islamique était en train de changer. Les détenteurs du discours islamique utilisent désormais une nouvelle terminologie et de nouveaux canaux. »
Le ton est donné.
Une pierre à l’édifice de la réflexion islamique contemporaine
Dans ce nouvel essai, Faouzia Zebdi-Ghorab passe donc au crible de la critique ce nouveau discours de ces prédicateurs musulmans prônant une compatibilité quasi-inconditionnelle entre les fondamentaux de la vision islamique et ceux portés par la modernité ou l’idéologie des Lumières.
L’une des critiques porte sur leur manque de consistance et de rigueur dans la manière dont ils intègrent des notions qu’ils ne définissent pas, voire même, qu’ils ne maîtrisent pas.
Pour Faouzia Zebdi-Ghorab, l’erreur de ces prédicateurs est d’embrasser aveuglément les fondamentaux du libéralisme contemporain quant il faudrait s’appuyer sur la richesse de la vision islamique pour en combattre les excès et proposer des alternatives.
Des notions faisant office de slogan, en lieu et place d’une véritable réflexion.
« Lors de ces exposés doctrinaux (…) les termes du débat ne sont pas explicites sur un plan linguistique, et encore moins du point de vue de la sémantique coranique ou de la terminologie propre à la tradition mohammadienne.
Or, le Coran a introduit la notion civilisatrice et cognitive de lecture qui permet de manier avec sérieux des notions riches et complexes. »
A lire également : A quoi sert un imam ?
Ce manque d’analyse approfondie contraste, selon l’auteure, avec l’enthousiasme ou le caractère péremptoire de ces même prédicateurs face à leurs contradicteurs.
« Ils exhortent les fidèles croyants à une lecture « plus libre », de leurs sources, mais à la condition qu’elle ne contredise pas leur point de vue idéologique.
Dans le cas contraire, leurs détracteurs sont d’affreux arriérés, des « délinquants religieux » ou des anarchistes adeptes de la dissension (…)
Jamais, depuis ce début de XXIe siècle, les orateurs musulmans de formation universitaire ou sans formation académique pour la plupart n’auront autant usé de pédagogie pour persuader leur auditoire en quête de vérités rédemptrices, de la justesse de leurs seuls propos, et surtout, de la pureté de leurs intentions.
Sont-ils réellement convaincus par cette modernité ou ne sert-elle qu’à nourrir des projets strictement personnels ? »
Un essai synthétique et bien écrit
Pour Faouzia Zebdi-Ghorab, l’erreur de ces prédicateurs est d’embrasser aveuglément les fondamentaux du libéralisme contemporain quant il faudrait s’appuyer sur la richesse de la vision islamique pour en combattre les excès et proposer des alternatives.
Ce à quoi elle les appelle solennellement.
« Votre devoir est justement de dire que le texte coranique annonce la bonne nouvelle, celle d’une autre représentation du monde et d’une organisation sociale humaine. Et nous pourrions ajouter qu’elles sont urgemment souhaitables. »
A lire aussi : La possession : une notion d’actualité brûlante
Pour toutes ces raisons, l’intérêt de l’essai de Faouzia Zebdi-Ghorab est double : il offre une présentation de ce nouveau discours dominant, axée sur ses éléments de langage et ses considérations doctrinales, et depuis une perspective hybride, associant références religieuses et analyses profanes contemporaines.
Il accomplit, par ailleurs, sans verser toutefois dans le pamphlet, le nécessaire travail de la pensée et de la spiritualité critique qui n’hésite pas à se confronter aux aspérités du rivage franco-islamique, mais depuis une perspective plus élevée, bien que rendue accessible aux lecteurs, au moyen d’une écriture brillante et d’un style littéraire soutenu qui en rend la lecture agréable.
Tous ces ingrédients font du livre de Faouzia Zebdi-Ghorab, « Les prédicateurs musulmans face au discours dominant », le livre incontournable de cette rentrée littéraire 2019.
Fouad Bahri
A lire également :