Fattouma Djerrari (à gauche) en compagnie de Nicolas Hulot à Douar Skoura au Maroc.
Fondatrice de l’association ESPOD, actrice engagée pour l’économie solidaire et l’agrobiologie, Fattouma Djerrari nous présente son travail et la philosophie de son action inspirée de la pensée de Pierre Rabhi dans un texte extrait de l’ouvrage « Graines de lumière ».
Chaque projet créateur de solidarité est, à mon sens, un acte de résistance qui oppose à la logique aliénante des marchés et des intérêts, le droit de rêver, d’imaginer, de désirer une vie en commun avec plus de justice, plus de fraternité, plus de paix universelle, plus de démocratie, et une économie autrement.
Chaque occasion nous confirme que ce dont l’humanité a besoin, ce n’est pas de conquérants, mais de bâtisseurs d’un vivre ensemble grâce à un contrat social local, régional et mondial fondé sur l’aspiration de toute personne et de tout peuple à la dignité, à la justice, à la liberté et à la paix.
Notre approche, initiée par Pierre Rabhi, tente de démontrer que la notion de conflit d’usage, de conflit social entre ville et campagne peut trouver sa solution dans le partage de compétences, favorisant la logique de coopération à celle de compétition ; elle vise en outre à renforcer des liens de solidarité entre le monde rural et le monde urbain, créant des ponts entre les hommes et les femmes qui les peuplent.
Faire les bons choix stratégiques
Devant la montée continue de l’emploi précaire, de l’exclusion et des inégalités sociales qui menacent tant la ville que la campagne, devant les écarts qui se creusent entre les deux zones, l’imagination et l’innovation sont sollicitées pour réduire ces écarts, pour redonner à chaque espace, sa beauté et son utilité.
Si les problèmes sont, aujourd’hui, d’ordre économique, les solutions sont à trouver dans les projets socio-économiques, générateurs de revenus, capables de promouvoir les régions en pleine paupérisation et de valoriser les ressources disponibles et les potentialités humaines.
Dans le domaine agricole, les centres d’appui aux initiatives locales sont des lieux pédagogiques de rencontres, d’échanges d’expertises, de savoir et de savoir-faire pour un développement équitable, basé sur une économie respectueuse de l’environnement et au service de l’homme.
La solidarité exprimée en termes d’économie solidaire, en tant qu’élément se situant à côté des logiques économiques du marché et d’un service public fragilisé, peut constituer des réponses qui seront apportées aux questions suivantes, engageant l’avenir de nos sociétés :
– comment structurer, cette économie solidaire, afin qu’elle relève d’une logique économique alternative ?
– la force productive principale du citoyen de demain restera-t-elle liée à la production des biens et des services habituels, ou résidera-t-elle dans la production de biens relationnels, afin de mettre en place de nouveaux rapports entre les humains ?
– quels sont les secteurs qui peuvent élaborer leurs éléments de réponses en transformant les freins en atouts ?
Favoriser les initiatives agricoles locales
En bref, au-delà de l’objectif de création d’emplois, l’économie solidaire sera-t-elle le creuset de nouvelles formules pour l’entreprise et la porte ouverte sur des garanties, permettant à tout citoyen de vivre dignement en faisant des projets, en particulier pour la production de biens relationnels ?
Deux secteurs d’activité me semblent épouser cette logique de production de biens relationnels : le secteur de l’agriculture à travers les centres d’appui aux initiatives locales et les AMAP (associations pour le maintien de l’agriculture paysanne ou ceinture verte productive), et le secteur social à travers le projet des maisons d’accueil pour les retraités.
En quoi consistent ces projets et pourquoi sont-ils intéressants ? Quel que soit le secteur concerné, le projet tente d’associer utilité, raison, sensibilité, émotion et intuition ; économie, humanisme et écologie.
Dans le domaine agricole, les centres d’appui aux initiatives locales sont des lieux pédagogiques de rencontres, d’échanges d’expertises, de savoir et de savoir-faire pour un développement équitable, basé sur une économie respectueuse de l’environnement et au service de l’homme ; une réponse concrète aux problèmes économiques et écologiques ; un rapprochement entre milieu urbain et milieu rural, entre modernité et tradition. Une belle valorisation des savoir-faire.
Les centres s’appuient sur les fondements de l’agroécologie. Derrière la question agricole et alimentaire, c’est bien entendu la dignité humaine qui est en jeu. Car il ne peut y avoir de « liberté sans autonomie, ni de paix sans pain » dira Pierre Rabhi. Le droit et le devoir des peuples à se nourrir par eux-mêmes sont au cœur de la démarche et de l’éthique.
Ces centres sont des réponses à des questions simples : comment reconnaître, valoriser, pérenniser et donner les moyens aux agriculteurs de vivre en zone périurbaine ? Comment permettre à la forte densité de population qui nous entoure de jouir et de se responsabiliser face au territoire rural environnant ? Comment partager et mieux vivre ensemble ?
La ferme et le milieu rural périurbain peuvent-il devenir un nouveau lieu de rencontre, facteur de lien social et créateur de développement local ?
Chaque centre aux portes de la ville sera un outil au service de cinq nécessités cruciales et urgentes dans le contexte du pays et permettra de contribuer à : – la sécurité et la salubrité alimentaire ; – l’effort national de stabilisation des populations rurales par l’économie ; la lutte contre la désertification ; la préservation de la biodiversité, etc.
Ce type de projets imagine des stratégies capables de faire l’inventaire des ressources et de les valoriser pour satisfaire les besoins élémentaires des populations concernées en terme d’emploi, d’activités génératrices de revenus, de stabilité et de dignité ; au départ des possibilités des populations et des ressources des régions.
Chaque centre est un laboratoire d’expérimentation, un showroom des produits disponibles, patrimoine de la région et du génie humain, un espace d’échange, de formation et de communion, favorisant l’émergence de l’initiative privée ; il offre des possibilités, en terme de savoir, de savoir-faire, de compétences et de ressources disponibles, et ce dans plusieurs domaines d’activité.
Les femmes et les jeunes, bénéficiaires des programmes d’actions locales
Il est le témoin de l’existence possible d’une économie plus équitable, une économie coopérative et mutualiste qui permet une meilleure redistribution des richesses, basée sur la valorisation des ressources disponibles, sur l’économie du patrimoine, du terroir et des savoir-faire.
Une économie à l’écoute des besoins et des potentialités, respectueuse de l’environnement, basée sur un contrat social au service de l’intérêt général.
Notre souci en matière de promotion humaine est de concilier modernité et tradition, économie formelle et économie informelle avec : – la satisfaction des besoins de proximité ; – la production et la consommation locale ; une ouverture sur le marché international ; la mise en place de structures artisanale, agricole et industrielle à taille humaine ; la mobilisation de l’énergie et des capacités directes ; le recours raisonné à l’énergie et à la technologie moderne, etc.
Les populations bénéficiaires ? Ce sont les populations rurales et périurbaines, les femmes et les jeunes, fragilisés par la mondialisation, et dont la survie dépend de l’informel : la production alimentaire directe, l’artisanat de nécessité, l’auto construction de la maison, les thérapeutiques traditionnelles, l’entraide, la solidarité, les productions culturelles, l’assistance mutuelle, en résumé tout ce qui a permis depuis des millénaires aux ancêtres de tous les peuples de survivre et de nous engendrer.
Chaque centre aux portes de la ville sera un outil au service de cinq nécessités cruciales et urgentes dans le contexte du pays et permettra de contribuer à : – la sécurité et la salubrité alimentaire ; – l’effort national de stabilisation des populations rurales par l’économie ; – la lutte contre la désertification ; – la préservation de la biodiversité ; – être un lieu d’accueil et d’hébergement pour un tourisme militant et solidaire.
Fattouma Djerrari
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