Employée systématiquement pour dénoncer, avec raison, les attaques d’extrémistes musulmans menées contre des civils, la notion de terrorisme n’est quasiment jamais utilisée pour qualifier les mêmes agressions lorsqu’elles sont le fait de militants d’extrême-droite ou d’auteurs aux mobiles racistes. Une assignation particulièrement éclairante qui en dit long sur l’usage politique de la catégorie de terrorisme. Un focus signé Fouad Bahri.
La chose était plus ou moins admise. Elle ne semble plus souffrir aucun doute à présent. La notion de terrorisme est une catégorie politique employée quasi exclusivement pour dénoncer le terrorisme d’extrémistes musulmans. Jamais, ou peu s’en faut, pour qualifier les attentats de militants de l’extrême droite dans toute sa nébuleuse.
La dernière affaire du triple meurtre de Kurdes à Paris l’a encore confirmé. En lieu et place d’une saisine du Parquet national antiterroriste, une information judiciaire a été seulement ouverte par le parquet de Paris pour « assassinat en raison de la religion, de tentative d’assassinat en raison de la race, l’ethnie, la nation ou la religion », selon 20 Minutes. Pourquoi ?
D’après Emmanuel Daoud, avocat pénaliste au barreau de Paris et le Parquet national antiterroriste, la notion de terrorisme est strictement encadré par le droit français.
Selon l’article 421-1 du code pénale, « constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes : les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, définis par le livre II du présent code ».
Ce qui constitue le caractère terroriste, est donc l’intentionnalité de l’acte, à savoir « troubler gravement à l’ordre public par l’intimidation ou la terreur », explique-t-il.
Du bon et du mauvais usage du terrorisme
Pour le moment, l’enquête n’aurait pas encore permis de démontrer si les mobiles de William. M auteur du triple assassinat raciste correspondent à cette définition. Une autre question se pose alors : pourquoi le Parquet national anterroriste se saisit immédiatement de dossiers dans lesquels les criminels sont des prévenus de confession musulmane, et ce avant même que la moindre enquête n’ait permis de prouver l’intentionnalité terroriste ?
Ce fait est devenu si courant qu’il ne peut plus être occulté. L’avocat Emmanuel Daoud le reconnait lui-même. « Le Parquet national antiterroriste semble avoir moins d’hésitation à se saisir de l’enquête lorsque l’assaillant est de confession musulmane (…) au démarrage, il y a moins d’hésitation quand le contexte est islamiste », confie-t-il à 20 Minutes.
La dimension judiciaire ne permet donc pas à elle seule de rendre compte de ce phénomène d’assignation confessionnelle du terrorisme à l’islam. Si le contexte d’attentats revendiqués par l’organisation terroriste Daesh permet d’expliquer en partie le réflexe sécuritaire des institutions judiciaires, il ne justifie aucunement la cécité volontaire des mêmes institutions à refuser de qualifier de terrorisme les attaques mortelles commises par des individus aux motivations racistes. D’autant moins que la France est en première ligne par rapport à ce phénomène selon le rapport annuel d’Europol sur le terrorisme en Europe.
L’affaire de l’arrestation de militants du groupe terroriste d’extrême droite AFO (Action des forces opérationnelles) en 2018 parmi lesquels un ex-policier et un ex-gendarme, groupe qui projetait de tuer des imams dits radicaux mais aussi des femmes voilées prises au hasard, et qui détenait plus d’une trentaine d’armes dont des grenades artisanales, avait déjà permis de faire la lumière sur la montée en puissance de ce terrorisme d’extrême droite.
Autre point, médiatique cette fois. On remarque que la notion d’extrême droite n’est pas employée, remplacée par celle d’ultra droite. Un choix qui s’expliquerait selon Nicolas Lebourg, historien et spécialiste de l’extrême droite cité par Le Monde, par le fait que « l’ultra droite, c’est un terme utilisé par les services de police pour désigner l’extrême droite violente », afin de la distinguer de l’extrême droite légale. Une précaution qui n’est plus de mise pour le terrorisme dit islamiste alors que la catégorie d’islamisme est également employée pour qualifier des partis issus de l’islam politique et légalistes dans le monde musulman, partis non terroristes. Enfin, observons que les mots « attentat » ou « terrorisme » sont systématiquement écartés des titres d’articles quand l’assaillant est un activiste raciste au profit de celui d’ « attaque ».
Une figure contemporaine du Mal
Il semblerait par ailleurs que la volonté d’attribuer exclusivement la notion de terrorisme à des musulmans relèverait d’un phénomène d’assignation primaire qui caractérise la dénomination de l’ennemi, celui qui structure de manière externe la frontière sociale entre le « Nous » et le « Eux ». Ce phénomène comporterait une dimension religieuse dans la manière où il désigne la figure du Mal.
Le terroriste est la figure contemporaine du Mal au sens où il est dénué de moralité, n’accorde aucune valeur à la vie, frappe de manière aveugle et sans limites, et tente par ce biais d’imposer un régime de peur à ses victimes. Un registre de la peur qui caractérise la représentation du Mal dans la culture occidentale moderne dans laquelle ce dernier n’est pas tant associé à la perversion ou à l’immoralité qu’à la peur que sa volonté de détruire inspire à ses victimes, à l’image des représentations démoniaques dans les films d’horreur.
De ce point de vue, la lutte contre le terrorisme revêt les oripeaux d’un combat, non contre un mal, mais contre le Mal du siècle. La nature religieuse de la revendication dévoyée, par les extrémistes musulmans, de leurs actes, n’a fait qu’intensifier cette perception inconsciente du phénomène.
En conséquence de quoi, l’assimilation d’autres formes de violence idéologique à l’usage médiatique du vocable terroriste, strictement réservé à l’islam, a semblé faire l’effet d’une résistance d’autant plus grande que cette assimilation induirait par-là un rapprochement, une proximité et une forme de porosité ethnoculturelle entre une identité nationale commune aux autochtones déviants (activistes de l’ultra droite) et non déviants.
Le Mal est unique et toujours lointain. Lorsqu’il se rapproche et revêt un visage qui nous est familier (le visage de la religion, de l’ethnie ou de la Nation), il en devient plus effrayant car le risque de la contamination est grand.
Le refus inconscient d’être associé sous une forme ou une autre au Mal pourrait expliquer ce mécanisme de refoulement consistant à ne pas désigner la violence des « nôtres » sous son nom. Le Mal, c’est forcément les autres et le terrorisme, la religion de l’Autre. Il est par ailleurs intéressant de constater que le même usage terminologique et univoque se retrouve, à un autre niveau, dans l’emploi du terme communautarisme, réservé exclusivement aux fidèles de l’islam, ce qui mériterait là-encore une analyse.
Le privilège occidental de la démence
Pour la notion de terrorisme, la gestion de ce dilemme langagier s’est faite en deux temps. Premier temps, le recours quasi exclusif à la psychiatrisation comme modalité de déculpabilisation pour tous les actes de violence isolés (Anders Breivik, Dylann Roof) émanant d’auteurs non musulmans, fussent-ils assortis d’une revendication de type nationaliste ou apparentée. Cette explication par le recours à des motivations psychologiques est, soulignons-le, le plus souvent refusée aux extrémistes musulmans, alors même que près de la moitié des auteurs d’attentats liés à Daesh ont été reconnus comme souffrant de troubles psychologiques.
A ce sujet, certains « experts » ont fait montre d’une grande créativité terminologique (radicalisation expresse) pour surmonter les contradictions parfois grossières observées entre une causalité idéologique pour le moins subite et un passage à l’action violente.
Second temps, pour les actions collectives de groupes d’extrême droite, cette option psychologisante étant par définition exclue, a laissé place à des motivations violentes ou criminelles classiques, et ceci, précisons-le, sur le plan de la perception médiatique, non sur le plan judiciaire. La dernière affaire de l’AFO montre bien le fossé entre la qualification judiciaire, « association de malfaiteurs terroriste criminelle », et les dénominations diverses employées dans la médiatisation de ce type d’affaire évoquées plus haut.
Dans les années 60 et 70, le terrorisme était principalement le fait de groupes d’extrême gauche (Brigades rouges, Bande à Bader, etc). Nous étions alors en pleine guerre froide et le communisme faisait office, à cette époque, de figure du Mal pour le bloc ouest. Le Mal de l’athéisme séculier qui se dressait sur la route de la liberté évangélique porté par les Etats-Unis, leader messianique du monde libre ! Depuis la chute du Mur de Berlin, l’ennemi a bien changé de visage mais pas de nature.
Fouad Bahri
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