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jeudi 21 novembre 2024

Ghaleb Bencheikh : « Quiconque veut attenter à la liberté d’une musulmane de se voiler librement me trouvera face à lui »

Ghaleb Bencheikh

Ghaleb Bencheikh est le président de la Fondation pour l’islam de France. Il est par ailleurs l’un des architectes de la conférence internationale de Paris pour la paix et la solidarité qui s’est tenue ce mercredi 17 septembre et au terme de laquelle un mémorandum inter-religieux a été signé. La rédaction de Mizane.info a voulu savoir ce que signifiait concrètement ce mémorandum et quelles pourraient être les prochaines actions qui y seront menées. Entretien.

Concernant la conférence internationale de Paris pour la paix et la solidarité, vous avez parlé d’événement historique. En quoi l’est-il ?

Il y a déjà eu des conférences internationales sous l’égide de l’ONU.

Mais la conférence de Paris pour la paix et la solidarité est historique car elle a donné lieu à la signature d’un mémorandum (retrouver l’intégralité du mémorandum sur ce lien, ndlr) dans lequel deux éléments majeurs sont inscrits : le respect absolu et la promotion de la liberté de conscience et de la liberté de religion.

Que ceci soit signé par le secrétaire de la Ligue islamique mondiale, on ne l’a jamais vu, ni entendu auparavant. Cela n’a jamais été fait avant, c’est une première. L’autre élément est que ce même secrétaire général de la Ligue islamique mondial est prêt à aller à Auschwitz, ce qui est aussi une première.

En outre, il n’y a jamais dans une capitale européenne, autant de muftis, d’imams, de ‘oulémas, de grands cheikhs, de leaders musulmans et de dignitaires religieux réunis et devant lesquels j’ai pu moi-même exprimer la chose suivante : nous sommes résolument et définitivement contre le terrorisme abject et la violence extrémiste.

Qu’on ne nous ne dise plus jamais : où sont les condamnations des musulmans, où sont leurs responsables ? A partir du 17 septembre 2019, il n’y aura pas de plus sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Et je ne veux plus jamais entendre ni dans mes conférences, ni dans la presse : les responsables musulmans n’ont pas condamné le terrorisme.

Qu’espérez-vous concrètement de ce mémorandum ?

J’attends avant tout l’effectivité de ses déclarations et l’engagement des signataires à mettre en pratique concrètement ses orientations. Notamment ceux pris à propos de la jeunesse à travers des lieux de formation, des instituts et des écoles.

Il est important de rappeler que les engagements au respect de la liberté de conscience ne concernent pas seulement l’Arabie saoudite mais aussi les contextes islamiques.

Et une visite à Srebrenica ? « Oui, pourquoi pas ? Dans les rencontres que j’aurais avec les uns et les autres, je le proposerais. »

Nous nous donnerons une année au terme de laquelle nous verrons ce qui a été fait car généralement dans la signature des memoranda ou des chartes, il n’y a pas de calendrier fixé pour accompagner la mise en œuvre des résolutions prises.

Dans une année, les témoins de bonne foi seront fondés de demander aux signataires : « Vous avez signé un document vous engageant à promouvoir la liberté de conscience, la fraternité et la formation des jeunes en ce domaine : qu’avez-vous fait ? ».

Le mémorandum parle de renforcer l’entente et l’amitié, de promouvoir l’harmonie interreligieuse. La seule action concrète qui figure dans le mémorandum est une visite prévue au camp de Auschwitz. Pourquoi n’avoir pas proposé également après cette visite à Auschwitz où des victimes furent tuées parce que juives, une visite par exemple à Srebrenica en Bosnie-Herzégovine où d’autres victimes furent tuées parce que musulmanes durant la guerre de Yougoslavie, ou dans d’autres lieux marquants comme le mémorial de Sabra et Chatila au Liban. Sur le plan symbolique, n’est-ce pas un devoir de le faire ?

En dehors de toute concurrence mémorielle, il n’y aurait aucune raison pour que cela ne soit pas le cas. A ceci près, il y a chez certains musulmans des pans de théorie conspirationniste, négationniste et révisionniste quant à la réalité de ce qui s’est passé dans les camps de concentration nazis.

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Et, le fait que le secrétaire de la Ligue islamique mondiale s’y rende (à Auschwitz, ndlr) montre au moins en interne la volonté que ce sujet ne soit plus instrumenté pour des considérations politiques religieuses ou politiques.

Vous proposeriez vous-mêmes aux membres de la délégation de la conférence une telle visite à Srebrenica par exemple ?

Oui, pourquoi pas ? Dans les rencontres que j’aurais avec les uns et les autres, je le proposerais.

La question israélo-palestinienne est au cœur du fossé qui s’est creusé entre les communautés musulmanes et juives. Cette question a été la grande absente de la conférence et du mémorandum. Pour quelle raison ?

Parce que cette rencontre et ce mémorandum se voulaient dans un premier temps d’ordre spirituel, religieux et éthique et non d’ordre politique. Sans mésestimer du tout la question palestinienne, il faudrait alors aussi aborder le Yémen, les Rohingyas, etc.

Pour ma part, je crois à la diplomatie d’Oslo, étape par étape, même si elle a montré ses limites. Si nous avions voulu aborder toutes ces questions en même temps, avec toutes ses strates politiques et religieuses, nous n’aurions pas eu la conférence internationale et la signature du mémorandum.

Tout conflit de cette nature, que ce soit le conflit israélo-palestinien ou un autre, doit être aplani. On doit le résoudre pour que ses conséquences fâcheuses soient annihilées.

Il y a eu l’acte I. d’autres suivront, lorsque la confiance et l’amitié seront instaurées. Dans toute cette affaire, je ne suis qu’un simple médiateur qui s’efforce de permettre aux différents leaders religieux de se rencontrer et de débattre ensemble.

Ainsi les générations à avenir ne connaîtront-elles pas les atrocités de la guerre et les affres des conflits armés.

Après les attentats de Pittsburgh (dans une synagogue), Christchurch (dans deux mosquées) et Colombo (dans une église), nous savons que la haine et le ressentiment frappent de manière indistincte les fidèles dans leurs lieux de culte.

Il nous faut donc une solidarité interreligieuse pour y faire face.

La question israélo-palestinienne occupe néanmoins, de par son ancienneté et sa centralité, une place singulière qui a déterminé la nature des relations entre communautés juives, chrétiennes et musulmanes. Atteindre les objectifs de paix et d’amitié entre les religions ne passe-t-il pas nécessairement par une résolution équitable de ce conflit ? Les leaders religieux ne peuvent-ils pas y contribuer ?

Islam

Il est vrai que ce conflit était au départ politique et il s’est par la suite confessionnalisé. On ne peut donc pas faire semblant de croire qu’il ne s’agit que d’un conflit politique car ses répercussions religieuses sont réelles.

Alors oui, tout conflit de cette nature, que ce soit le conflit israélo-palestinien ou un autre, doit être aplani. On doit le résoudre pour que ses conséquences fâcheuses soient annihilées.

La conférence s’est déroulée en France. Depuis les années 90, on a pu observer la montée d’une forme d’intolérance laïque ou de laïcisme au nom duquel la liberté de conscience de citoyennes françaises a été niée, notamment les femmes musulmanes qui ont fait le libre choix de porter un voile par convictions religieuses. Allez-vous faire de ce sujet l’un des thèmes d’action de la conférence voire même de la FIF ?

Au risque de décevoir vos lecteurs, j’aurais deux niveaux de réponse. Le premier : je suis viscéralement attaché à la liberté de conscience, et tout simplement à la liberté.

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Quiconque veut attenter à la liberté d’une femme musulmane de se voiler librement, dans le cadre de ce que permet la loi française, me trouvera face à lui ! J’ajouterais immédiatement qu’en tant que musulman, je ne suis pas théologiquement convaincu du port voile.

La liberté de conscience n’est pas entravée en France. Quant au débat interne entre savants musulmans (sur le voile), il est très en deçà de ce que nous sommes en droit d’attendre.

Nous n’avons pas suffisamment traité en interne, d’un point de vue théologique et savant, ce débat, qui avait été réglé définitivement avant 1979. Entre 1923 et 1979, ce débat avait été réglé définitivement d’un point de vue savant, jusqu’à la révolution iranienne de Khomeiny.

Le port du voile a toujours été une réalité historique chez un certain nombre de femmes musulmanes avant et après la révolution iranienne, dans le monde musulman. Ceci étant dit, si du point de vue personnel, cette pratique ne vous semble pas convaincante, défendrez-vous pour autant, du point de vue cette fois ci de vos fonctions de président de la FIF, cette liberté religieuse sérieusement entravée dans la société française par une médiatisation négative et une hostilité affichée par certains élus ou éditorialistes ?

Ne jamais entrer par effraction dans la conscience d’autrui. Chacun est libre de se vêtir comme il l’entend. Mais, le président de la FIF doit encourager l’éducation et la culture. L’important pour les jeunes femmes musulmanes est de ne pas être culpabilisées.

L’essentiel est leur droit à l’éducation, à l’honneur, à l’insertion dans le corps professionnel, en tenant compte de la psycho-sociologie globale de la Nation française.

Des actions (conférences, colloques, débats) de sensibilisation des élites françaises ne vous semblent-elles pas indispensables étant donné que ces discours laïcistes, en entravant l’exercice de la liberté de conscience, nuisent considérablement à l’image de la France et à ses valeurs ?

La liberté de conscience n’est pas entravée en France. Quant au débat interne entre savants musulmans, il est très en deçà de ce que nous sommes en droit d’attendre.

Nous avons fait une focalisation maladive sur un épiphénomène qui n’est pas au cœur de la spiritualité islamique ni maintenant ni à travers l’Histoire.

Cette fixation n’est-elle pas plutôt le fait des médias français ?

Une polémique donne naissance à une autre polémique. Chez certains de mes compatriotes musulmans, il y a eu une focalisation sur la dimension religieuse de leur identité comme si seule cette dimension était présente. Or, l’identité est multiple.

Nous sommes citoyens, syndicalistes, entrepreneurs, supporters du PSG ou de l’OM et nous sommes de confession islamique. Malheureusement, il y a eu fixation maladive sur des formes figées de l’islam axées sur le voile, la barbe ou le qamis.

Ces sujets n’épuisent pourtant pas l’appartenance à la Nation française des citoyens de confession islamique. La FIF insiste sur l’inclination pour les valeurs esthétiques et la beauté.

Les belles lettres, les beaux-arts, la poésie et la musique sont au cœur de sa mission culturelle aussi.

Des actions de sensibilisation d’institutions publiques ne seraient-elles pas de nature à apaiser la société française dans sa globalité ?

Oui, c’est vrai. Il faudrait également que les institutions religieuses et cultuelles, telles que la Mosquée de Paris ou le CFCM par exemple, œuvrent en ce sens. Il y a une véritable vacance du terrain là-dessus. Cette carence est préjudiciable.

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Ce qui prime chez la FIF sont les questions d’éducation, d’instruction, d’acquisition du savoir, de culture et de connaissance, d’ouverture sur l’altérité, etc. Ensuite, nous nous occuperons de ces questions de crispations.

Le plus important est de pouvoir s’armer intellectuellement par l’éducation et la connaissance pour affronter les polémiques avec une maîtrise de son patrimoine intellectuel et culturel musulman, mais aussi français, car ces citoyens sont français.

Ils ne doivent pas intérioriser l’idée qu’ils ne sont pas des citoyens. Ce débat doit être réglé d’une manière civilisée et apaisée avec le droit dans le cadre de la République française.

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