François Burgat.
Politologue, l’un des grands spécialistes français de l’islam politique et du monde arabe, François Burgat a répondu aux questions de Mizane.info après l’annonce du Conseil d’état validant l’expulsion de Hassan Iquioussen. François Burgat voit dans cette décision l’une des pages sombres de l’histoire judiciaire française et a exprimé ses craintes sur l’avenir politique de l’Etat de droit en France.
Mizane.info : Vous attendiez-vous à cette décision du Conseil d’état validant l’expulsion de Hassan Iquioussen ?
François Burgat : Ce n’est pas une surprise. J’avais déjà tweeté au moment de l’annonce de la saisie du Conseil d’état. Même si cette institution n’est pas une chambre homogène, c’est tout de même la juridiction qui a cautionné la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France. On savait donc que le Conseil d’état était capable de produire ce genre de décision. Bien que les magistrats ne soient pas chaque fois les mêmes, il y a une certaine atmosphère. Avoir cautionné la dissolution du CCIF, qui représente à mon sens la plus formidable forfaiture judiciaire de notre République, annonçait le pire dans l’affaire Iquioussen.
Cette décision a provoqué l’abattement d’une partie importante des musulmans de France. A travers cette expulsion de Hassan Iquioussen qui avait pourtant joui d’une mobilisation importante pour le soutenir, quel message est adressé à la communauté musulmane française ?
Pour moi, c’est tout à fait comparable à la décision de dissolution du CCIF. Ce qui avait été dit sur le CCIF était aussi odieux que ce qui est dit aujourd’hui sur Hassan Iquioussen. C’était un avant-goût. C’est très grave. Il s’agit de la République en marche arrière toute. C’est une République qui se tire une balle dans le pied et nie ses propres principes. Le dossier n’était pas crédible. On a pris des propos anciens décontextualisés. A ce régime là, on peut vider la France de la moitié de ses binationaux, y compris dans d’autres religions. Lentement, la France est en train de sortir de l’état de droit.
La légitimité du Conseil d’état est-elle posée aujourd’hui ? L’institution est-elle sous influence politique ?
Les institutions judiciaires ont dans certaines circonstances écrit des pages dorées de notre histoire et dans d’autres circonstances des pages sombres. Le Conseil d’état vient d’écrire une page sombre de l’histoire de la juridiction française. Ce n’est malheureusement ni la première, ni la dernière. Il y a déjà eu des compromissions judiciaires dans le passé, sous l’occupation allemande ou la colonisation, et il y a eu aussi des phases de résistance.
C’est une victoire politique pour Darmanin qui s’était engagé personnellement à expulser Hassan Iquioussen. Y voyez-vous un effet de ce que certains ont appelé une alliance politique informelle entre LREM et le Rassemblement national ?
Pas une alliance. Une surenchère. C’est à celui qui ira le plus loin. Dans cette course là, Renaissance (LREM) vient de marquer un point. Le paradoxe de cette situation est qu’un certain nombre de personnes, dont je fais partie, ont voté Macron pour prévenir l’arrivée au pouvoir du Front national. Or, depuis qu’il est au pouvoir, Macron a renforcé l’assise idéologique de ce parti (RN) au-delà de toutes limites. Cette expulsion est un nouveau jalon symbolique triste et important dans cette direction.
Le gouvernement Macron a quasiment cinq années devant lui. Faut-il s’attendre dans ces prochaines années à une multiplication de ce type de décision administrative ciblant des personnalités ou des structures musulmanes ?
Ce qui m’inquiète est la chose suivante. Je me disais : si Macron est élu, il n’aura plus besoin de chasser sur les terres du Rassemblement national, puisqu’il sera élu. Il l’a fait énormément avant le premier tour, puis a dragué LFI entre les deux tours. Mais n’ayant pas eu de majorité parlementaire, il a besoin en permanence du RN. Il va construire son action législative sur une collaboration avec le Rassemblement national (ex-FN). Donc, oui, il est vraisemblable qu’il va continuer à courtiser le Rassemblement national.