Houria Bouteldja, invitée de l’émission « Ce soir ou jamais » de Frédéric Taddei.
Co-fondatrice et porte parole du Parti des Indigènes de la République (PIR), la célèbre militante décoloniale a annoncé sur sa page Facebook quitter l’organisation, 15 ans après sa création.
C’est une annonce surprise dans les milieux militants.
Houria Bouteldja, co-fondatrice du Parti des indigènes de la république, a annoncé sur son compte Facebook quitter l’organisation politique qui avait vu le jour il y a quinze ans.
En 2005, un texte historique et un rassemblement politique avait, on s’en souvient, marqué les consciences : « Nous sommes les indigènes de la République ».
Un texte signé à l’époque par plusieurs acteurs et personnalités issus de la France post-coloniale, dénonçant le traitement raciste et néo-colonial des populations noires et maghrébines par l’Etat français.
Porte-voix du mouvement puis du Parti qui en est issu, opposé à l’intégrationnisme, Houria Bouteldja a incarné ces quinze dernières années la voix de l’antiracisme politique, contribuant à diffuser dans le débat public des notions comme la race sociale, la blanchité ou le privilège blanc, notion entrées depuis dans le vocabulaire politique.
Auteur(e) d’un ouvrage publié en 2016, intitulé « Les Blancs, les Juifs et nous : Vers une politique de l’amour révolutionnaire » (édition La Fabrique), première figure féminine française issue de l’immigration post-coloniale engagée dans l’antiracisme politique, Houria Bouteldja a fait office en la matière de pionnière, traçant une voie que poursuivra la génération suivante des Assa Traoré, Sihame Assbague, Fatima Ouassak.
On ignore les raisons précises à l’origine de cette décision de départ, également prise par d’autres militants de l’organisation.
Evoquant la fin d’un cycle pour le PIR, Houria Bouteldja a déclaré préférer se faire « hara-kiri » plutôt que de laisser la structure politique qu’elle a contribué à fonder décliner.
Mizane.info reproduit l’intégralité de son texte :
« Il est temps pour moi de tirer ma révérence. Je quitte le PIR.
Je prends cette décision non sans une certaine tristesse mais avec beaucoup de lucidité. Nous sommes aujourd’hui à la fin d’un cycle.
Le PIR que j’ai eu l’honneur de co-fonder il y a 15 ans avec Sadri Khiari, Youssef Boussoumah, Mehdi Meftah, Atman Zerkaoui et d’autres est sûrement l’organisation politique autonome de l’immigration qui laissera le plus de traces et le plus grand héritage théorique et politique en France depuis les années 80.
Je ne verserai pas ici dans une hypocrite fausse humilité. Je pèse chaque mot que j’écris. L’émergence du mouvement décolonial est la plus grande réussite politique, en France, depuis la chute du mur de Berlin et l’apparition du mouvement écologique.
Ce que le PIR a apporté dans l’action, la réflexion, la propagande, la théorie, en un mot, dans la stratégie, marque un tournant, pas seulement pour la possibilité d’un mouvement autonome indigène, mais pour l’essor de tout le mouvement révolutionnaire.
Nous avons forgé des armes pour tenter de résoudre la question de l’unité des classes prolétaires (majorité décoloniale) sur la base de la notion de « races sociales », de l’antiracisme et de l’anti-impérialisme avec comme tout bagage une foi inébranlable et autant de moyens qu’une bande de clodos.
C’est un apport majeur qui n’a pas fini de produire ses effets, par-delà les vicissitudes d’une période pour le moins chaotique, déconcertante et effrayante.
Tout cela s’est fait dans un mélange d’audace, de panache, de provocation, de défiance, mais aussi dans l’amour des nôtres et des Blancs même si ces derniers sont rares à le savoir.
Bref, aujourd’hui le PIR rayonne dans toutes les universités et les milieux antiracistes occidentaux – notamment grâce au réseau décolonial international (DIN) – où il est cité en exemple et où je suis considérée comme une véritable théoricienne décoloniale.
Il est aussi reconnu, bien que dans une moindre mesure, dans certains pays du sud.
Sauf en France, cela va sans dire, où je suis considérée comme une sorcière, jusque chez les féministes qui dénoncent… la chasse aux sorcières. La boucle est bouclée.
Avec mes frères et mes sœurs de lutte, nous avons toujours tenu à privilégier un langage franc et sans détour qui refuse obstinément de fuir le réel au risque parfois de heurter ou de creuser l’incompréhension.
Nous nous sommes cognés maintes fois sur le mur épais de la résistance blanche, comme nous nous sommes cognés à celui, à peine moins épais, de l’intégrationnisme indigène sous toutes ses formes.
C’est dans ce paysage hostile qu’il a fallu chercher les chemins d’une dignité éprouvée, terrée, cachée, réprimée, mais toujours visible et prête à bondir pour tout œil tendre et empathique.
Les lâches ont été nombreux, les hypocrites et les calculateurs tout autant. Blancs ou indigènes.
C’est à eux qu’on doit le développement de notre sens aigu de la ruse, de la manœuvre et du billard à dix bandes.
Mais dans le tas, il y a eu des rencontres exceptionnelles, des fous sublimes et de belles âmes, militants ou anonymes.
Entre les deux, il y a ceux qu’on a déçus pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Si la déception est justifiée, je le regrette.
Aujourd’hui, toutes les portes nous sont fermées. Devenus trop radioactifs, nous sommes même un fardeau pour nos amis, qui n’ont d’autres choix que de devenir radioactifs à leur tour ou devenir des « traîtres de raison ». C’est la fin d’un cycle qui a connu la naissance et l’épanouissement spectaculaire de l’antiracisme politique.
Mais son apogée et ses succès ne pouvaient pas ne pas s’accompagner du sacrifice de l’organisation qui s’est trouvée être le cœur palpitant et la cheville ouvrière de ce phénomène politique, d’un sacrifice à la hauteur de l’affront, à la hauteur du crime de lèse-blanchité.
Chacun, en toute responsabilité, a joué un rôle plus ou moins heureux dans cette histoire.
Aussi, si j’avais un dernier vœu à formuler, il serait le suivant : je souhaite que celles et ceux qui n’ont pas jugé utile de nous honorer le temps de notre existence, s’abstiennent de le faire le jour où le Tout Puissant nous rappellera à lui.
« Aimons-nous vivants » comme disait la chanson. Question d’éthique.
Maintenant, il faut savoir partir. Autant le faire dans l’honneur et éviter, autant que faire se peut, de finir dans la fange ou d’assister au triste spectacle de la dégradation d’un outil conçu pour la libération des indigènes.
Aussi, je préfère me faire hara-kiri que de laisser aux traîtres ou à l’ennemi la jouissance d’avoir porté l’estocade.
S’il plaît à ces derniers de croire qu’ils y sont pour quelque chose, je leur laisse volontiers à cette triste consolation.
Je pars sans amertume et avec la fierté de n’avoir jamais été ferrée par les Blancs de gauche et leur bonne conscience qui leur fait office de dignité.
Je veux dire aussi – comme l’atmosphère est plus islamophobe que jamais – à quel point je suis attachée à l’islam et à notre Prophète (sws) même si je ne suis pas la musulmane idéale dont rêve ma mère.
C’est sûrement cette identité profonde qui m’interdira de capituler et me permettra de faire les choses autrement. Si Dieu veut, d’autres voies s’ouvriront.
Nous sommes un certain nombre à partir (et ils s’exprimeront s’ils le souhaitent), d’autres restent.
C’est ce qui empêchera la dissolution du PIR qui est l’option que j’aurais défendue si elle avait été approuvée par tous. Ce n’est pas le cas.
Je ne peux que souhaiter bon courage à ceux qui poursuivent l’aventure.
Je remercie les derniers piriens, celles et ceux qui partent, celles et ceux qui restent. Je remercie mes précieux frères et sœurs du DIN, et Ramon Grósfoguel en particulier.
Je remercie Stellix et La Fabrique, ainsi que les frères et sœurs de Bruxelles.
Je remercie les derniers Blancs/Juifs, ceux qui ont résisté jusqu’au bout et qui ont été à la hauteur des défis de leur temps. Vous êtes ma famille.
Avec tout mon amour révolutionnaire. »
Houria Bouteldja
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