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jeudi 14 novembre 2024

Ismail al-Faruqi : l’essence civilisationnelle de l’islam 1/2

Quel est le fondement civilisationnel de l’islam ? Quels principes et quelles méthodologies ce fondement entraîne-t-il ? Quel type d’Homme la religion musulmane a-t-elle promu ? Pour répondre à ces questions essentielles, Mizane.info publie en deux parties un texte du regretté docteur en philosophie Ismail al-Faruqi, professeur dans de nombreuses universités américaines et moyen-orientales et auteur de nombreux ouvrages sur la philosophie islamique de la connaissance.

Il ne fait aucun doute que l’essence de la civilisation islamique est l’islam; ou que l’essence de l’Islam est le tawhid, l’acte d’affirmer qu’Allah (Dieu) est le Créateur unique, absolu et transcendant, le Seigneur et le Maître de tout ce qui est.

Ces deux prémisses fondamentales vont de soi. 

Elles n’ont jamais été mises en doute par ceux qui appartiennent à cette civilisation ou qui y participent. 

Ce n’est que récemment que les missionnaires, orientalistes et autres interprètes de l’Islam ont mis en doute ces prémisses. 

Quel que soit leur niveau d’éducation, les musulmans sont convaincus de manière apodictique que la civilisation islamique a une essence, que cette essence est connaissable et capable d’analyse ou de description, qu’elle est tawhid 1 . 

L’analyse du tawhid comme essence, comme premier principe déterminant de la civilisation islamique, est l’objet de cet article.

Le Tawhid est ce qui donne à la civilisation islamique son identité, ce qui lie tous ses constituants entre eux et en fait ainsi un corps organique intégral que nous appelons civilisation. 

En liant des éléments disparates ensemble, l’essence de la civilisation, dans notre cas précis le tawhid, les informe avec son propre moule. 

Elle les remanie afin de les harmoniser avec d’autres éléments. 

Sans nécessairement changer leur nature, l’essence transforme les éléments qui composent une civilisation, leur donnant un nouveau caractère constitutif de cette civilisation. 

La gamme de transformation peut varier de légère à radicale, selon la pertinence de l’essence pour les différents éléments et leurs fonctions. 

Cette pertinence ressortait en bonne place dans l’esprit des observateurs musulmans des phénomènes civilisationnels. 

C’est pourquoi ils prirent le tawhid comme titre de leurs œuvres les plus importantes et y intégrèrent tous les sujets sous son égide. 

Ils ont regardé le tawhid comme le principe le plus fondamental qui inclut ou détermine tous les autres principes; et ils y trouvèrent la fontaine, la source primitive déterminant tous les phénomènes de la civilisation islamique.

Traditionnellement exprimé sous sa forme la plus simple, le tawhid est la conviction et le témoignage que « il n’y a de Dieu que Dieu ». 

Cette déclaration négative, brève jusqu’aux limites les plus extrêmes de la brièveté, porte les significations les plus grandes et les plus riches de tout l’Islam. 

Parfois, toute une culture, toute une civilisation ou toute une histoire se trouve compressée en une seule phrase. 

C’est certainement le cas de la kalimah (déclaration) ou shahadah (témoignage) de l’islam. 

Toute la diversité, la richesse et l’histoire, la culture et l’apprentissage, la sagesse et la civilisation de l’Islam sont compressés dans cette phrase la plus courte «La ilaha illa Allah».

Le Tawhid comme vision du monde

Le Tawhid est une vision générale de la réalité, de la vérité, du monde, de l’espace et du temps, de l’histoire humaine. 

En tant que tel, il comprend les principes suivants :

La dualité

Ismail al-Faruqi.

La réalité est de deux types génériques, Dieu et non-Dieu ; Créateur et créature. 

Le premier ordre n’a qu’un seul membre, Allah, l’Absolu et le Tout-Puissant. 

Lui seul est Dieu, éternel, créateur, transcendant. 

Rien ne lui ressemble; Il reste à jamais absolument unique et dépourvu de partenaires ou d’associés. 

Le second est l’ordre de l’espace-temps, de l’expérience, de la création. 

Cela inclut toutes les créatures, le monde des choses, des plantes et des animaux, les humains, les djinns et les anges, le ciel et la terre, le paradis et l’enfer, et tout leur devenir depuis qu’ils sont nés. 

Les deux ordres du Créateur et de la création sont totalement et absolument disparates en ce qui concerne leur être, ou ontologie, ainsi que leur existence

Il est à jamais impossible que l’un soit uni, fusionné, ou confondu dans l’autre.2

L’idéalisme

La relation entre les deux ordres de réalité est de nature idéelle. 

Son point de référence chez l’homme est la faculté de comprendre. 

En tant qu’organe et dépositaire de connaissances, la compréhension comprend toutes les fonctions gnostiques de la mémoire, de l’imagination, du raisonnement, de l’observation, de l’intuition, de l’appréhension, etc. 

Tous les humains sont dotés de compréhension. 

Leur dotation est suffisamment forte pour comprendre la volonté de Dieu de l’une ou des deux manières suivantes : lorsque cette volonté est exprimée en mots, directement par Dieu à l’homme, et lorsque la volonté divine est déductible par l’observation de la création. 3

La téléologie

La nature du cosmos est téléologique; c’est-à-dire, intentionnelle.

Elle sert le dessein de son Créateur. 

Le monde n’a pas été créé en vain. 4 

Il n’est pas le fruit du hasard. 

Tout ce qui existe, existe dans une mesure qui lui est propre et remplit sous ce rapport un certain but d’ordre universel. 5 

Le monde est en effet un « cosmos », une création ordonnée, et non pas un « chaos ». 

En lui, la volonté du Créateur est toujours réalisée. 

Ses modèles ou ses objets sont traversés par la nécessité de la loi naturelle. 

Aucune créature autre que l’homme n’agit ou n’existe d’une manière autre que ce que le Créateur a ordonné pour elle. 6

L’homme est la seule créature dans laquelle la volonté de Dieu s’actualise non nécessairement, mais du fait de son propre consentement personnel. 

Les fonctions physiques et psychiques de l’homme font partie intégrante de la nature, et en tant que telles, elles obéissent aux lois qui les concernent avec la même nécessité que toutes les autres créatures. 

Mais les fonctions spirituelles – à savoir, la compréhension et l’action morale – ne relèvent pas du domaine de la nature déterminée. 

Ils dépendent de leur sujet et suivent sa détermination. 

L’actualisation de la volonté divine par eux est d’une valeur qualitativement différente de l’actualisation nécessaire par d’autres créatures. 

L’accomplissement nécessaire ne s’applique qu’aux valeurs élémentaires ou utilitaires; l’accomplissement libre s’applique à la morale. 

Cependant, les buts moraux de Dieu, ses commandements à l’homme, ont une base dans le monde physique, et par conséquent ont aussi un aspect utilitaire. 

Mais ce n’est pas ce qui leur donne leur caractère distinctif, celui d’être moral. 

Cette liberté qui est la condition des actes moraux rendant également possible leur violation confère la dignité spéciale que nous attribuons aux choses « morales ». 7

Capacité de l’Homme et malléabilité de la nature

Puisque tout a été créé dans un but, la réalisation de ce but doit être possible dans l’espace et dans le temps. 8 

Dans le cas contraire, il n’y aurait pas d’échappatoire au cynisme. 

La création elle-même et les processus de l’espace et du temps perdraient leur sens et leur signification. 

Sans cette possibilité, le taklif, ou obligation morale, tombe à terre ; et avec sa chute, la finalité de Dieu ou sa puissance est détruite. 

La réalisation de l’absolu, c’est-à-dire de la raison d’être divine de la création doit être possible dans l’histoire; c’est-à-dire dans le processus de temps qui sépare la création et le Jour du Jugement. 

En tant que sujet de l’action morale, l’homme doit donc être capable de changer lui-même, ses semblables ou la société, la nature ou son environnement, de manière à actualiser le modèle divin, ou commandement, en lui aussi bien qu’en eux. 9 

En tant qu’objet de l’action morale, l’homme ainsi que ses semblables et son environnement doivent tous être capables de recevoir efficacement l’action de l’homme, du sujet. 

Sans cette faculté de détermination, la capacité d’action morale de l’homme serait impossible et la nature intentionnelle de l’univers s’effondrerait. 

Pour que la création ait un but – et c’est une hypothèse nécessaire si Dieu est Dieu et que son œuvre n’est pas dénuée de sens- la création doit être malléable, transformable, capable de changer sa substance, sa structure, ses conditions et ses relations afin d’incarner ou de concrétiser le modèle ou le but humain. 

Ceci est vrai pour toute la création, y compris la nature physique, psychique et spirituelle de l’Homme. 

Toute création est capable de réaliser le devoir-être, la volonté ou le modèle de Dieu, l’absolu dans cet espace et en ce temps. 10

Responsabilité et jugement

Si l’homme a l’obligation de se changer lui-même, sa société et son environnement pour se conformer au modèle divin, et qu’il en est capable, et si tout ce qui fait l’objet de son action est malléable et apte à recevoir son action et à incarner son but, il s’ensuit alors avec nécessité qu’il est un être responsable. 

L’obligation morale est impossible sans responsabilité ni calcul. 

À moins que l’homme ne soit responsable et à moins qu’il ne rende compte de ses actes, le cynisme redeviendrait inévitable.

Le jugement, ou l’engagement de la responsabilité, est la condition nécessaire de l’obligation morale, de l’impératif moral. 

Cela découle de la nature même de la normativité. 11 

Il est indifférent que ce jugement se déroule dans l’espace-temps ou à la fin de celui- ci, ou les deux, mais il doit avoir lieu. 

Obéir à Dieu, c’est-à-dire réaliser ses commandements et actualiser son modèle, c’est atteindre l’état de falah désignant le succès, le bonheur et la facilité. 

Ne pas le faire, lui désobéir, c’est encourir le châtiment, la souffrance, le malheur et les angoisses de l’échec.

Le Tawhid comme essence civilisationnelle

En tant qu’essence de la civilisation islamique, le tawhid a deux aspects ou dimensions : la méthodologie et le contenu. 

Le premier détermine les formes d’application et de mise en œuvre des premiers principes de la civilisation; ce dernier détermine les premiers principes eux-mêmes.

La dimension méthodologique

La dimension méthodologique comprend trois principes, à savoir l’unité, le rationalisme et la tolérance. 

Celles-ci déterminent la forme de la civilisation islamique, une forme qui imprègne chacun de ses composants.

Il n’y a pas de civilisation sans unité. À moins que les éléments constituant une civilisation ne soient unis, tissés et harmonisés les uns avec les autres, ils ne constituent pas une civilisation mais un conglomérat. 

Un principe unifiant les différents éléments et les appréhendant dans son cadre est essentiel. 

Un tel principe transformerait le mélange des relations élémentaires les unes avec les autres en une structure ordonnée dans laquelle des niveaux de priorité ou des degrés d’importance seraient perceptibles. 

La civilisation de l’Islam place les éléments dans une structure ordonnée et régit leur existence et leurs relations selon un modèle uniforme. 

En eux-mêmes, les éléments peuvent être de provenance locale ou étrangère. 

En effet, il n’y a aucune civilisation qui n’ait adopté certains éléments qui lui étaient étrangers. 

Ce qui est important, c’est que la civilisation digère ces éléments, c’est-à-dire qu’elle remanie leurs formes et leurs relations et les intègre ainsi dans son propre système. 

Les « mettre en forme » avec sa propre forme, c’est en fait les transformer en une nouvelle réalité où ils n’existent plus en eux-mêmes ou dans leur ancienne dépendance, mais en tant que parties intégrantes de la nouvelle civilisation dans laquelle ils ont été intégrés. 

Ce n’est pas un argument contre une civilisation qu’elle contienne de tels éléments exogènes; mais c’est un argument dévastateur contre toute civilisation quand elle ne fait qu’ajouter des éléments étrangers de manière disjointe, sans re-formation ni intégration. 

En tant que tels, ces éléments coexistent simplement avec la civilisation. 

Ils n’en font pas partie organiquement. 

Mais si la civilisation a réussi à les transformer et à les intégrer dans son système, le processus d’intégration devient son indice de vitalité, de son dynamisme et de sa créativité. 

Dans toute civilisation intégrale, et certainement dans l’Islam, les éléments constitutifs, qu’ils soient matériels, structurels ou relationnels, sont tous liés par un principe suprême. 

Dans la civilisation islamique, ce principe suprême est le Tawhid

C’est la jauge ultime du musulman, son guide et critère dans sa rencontre avec d’autres religions et civilisations, avec des faits ou des situations nouvelles. 

Ce qui s’y associe est accepté et intégré. Ce qui ne l’est pas est rejeté et condamné.

Le Tawhid, ou doctrine de l’unité absolue, de la transcendance et de l’ultimité de Dieu, implique que Lui seul est digne d’adoration, de service. 

Le fidèle vit sa vie selon ce principe. Il cherche à ce que tous ses actes se conforment à ce modèle, pour actualiser le dessein divin. 

Son existence doit donc refléter l’unité de son esprit et de sa volonté, objet unique de son service. 

Sa vie ne sera pas une série d’événements mis ensemble, mais sera liée à un seul principe primordial, à un seul cadre qui leur confèrera leur unité. 

Le rationalisme 

En tant que principe méthodologique, le rationalisme est constitutif de l’essence de la civilisation islamique. 

Il se compose de trois règles ou lois : premièrement, le rejet de tout ce qui ne correspond pas à la réalité; deuxièmement, le déni des contradictions ultimes; troisièmement, l’ouverture aux preuves nouvelles et/ou contraires. 

La première règle protège le musulman contre l’opinion, c’est-à-dire contre toute revendication de connaissance non vérifiée et non confirmée. 

L’affirmation non confirmée, déclare le Coran, est un exemple de zann, ou connaissance trompeuse, et est interdite par Dieu, si léger soit son objet. 12 

Le musulman est définissable comme la personne qui ne prétend à rien d’autre qu’à la vérité. 

La seconde règle le protège contre la simple contradiction d’un côté et le paradoxe de l’autre. 13

Le rationalisme ne signifie pas la priorité de la raison sur la révélation mais le rejet de toute contradiction ultime entre eux. 14

Le rationalisme étudie sans cesse des thèses contradictoires, en supposant qu’il doit y avoir un aspect qui a échappé à la considération et qui, s’il était pris en compte, exposerait la relation contradictoire. 

De même, le rationalisme conduit le lecteur vers la révélation et non de la révélation elle-même à une autre lecture, avec comme mobile la crainte qu’une signification non évidente ou peu claire ne lui ait échappé qui, si elle était reconsidérée, éliminerait la contradiction apparente. 

Une telle référence à la raison ou à la compréhension aurait pour effet d’harmoniser non pas la révélation en soi (la révélation est au-dessus de toute manipulation par l’homme!) mais l’interprétation ou la compréhension humaine de celle-ci par le musulman. 

Cela met sa compréhension de la révélation en accord avec les preuves cumulatives découvertes par la raison. 

L’acceptation du contradictoire ou du paradoxal, comme possibilité, n’est acceptable que pour des faibles d’esprit.

La troisième règle, l’ouverture à des preuves nouvelles ou contraires, protège le musulman contre le littéralisme, le fanatisme et l’immobilisme du conservatisme. 

Cela l’incline à l’humilité intellectuelle et l’oblige à ajouter à ses affirmations et à ses démentis l’expression « Allahu a’lam » (Allah sait mieux !), convaincu que la vérité est plus grande et déborde sa maitrise.

En tant qu’affirmation de l’unité absolue de Dieu, le tawhid est l’affirmation de l’unité de la vérité. Car Dieu, dans l’Islam, est la vérité. 

Son unité est l’unité des sources de la vérité. Dieu est le Créateur de la nature d’où l’homme tire sa connaissance. 

Les objets de la connaissance sont les modèles de la nature qui sont l’œuvre de Dieu. 

Certes, Dieu les connaît puisqu’il est leur Auteur tout comme Il est la source de la révélation. 

Il donne à l’homme sa connaissance; et sa connaissance est absolue et universelle. 

Dieu n’est pas un esprit malveillant dont le but serait de tromper l’Homme. 

Il ne change pas non plus son jugement comme le font les hommes lorsqu’ils corrigent leur connaissance, leur volonté ou leur décision. 

Dieu est parfait et omniscient. Il ne fait aucune erreur. Dans le cas contraire, Il ne saurait être le Dieu transcendant de l’Islam.

La tolérance

En tant que principe méthodologique, la tolérance est l’acceptation du réel identifié comme tel jusqu’à preuve du contraire. La tolérance est un principe épistémologiquement pertinent. 

Il est tout aussi pertinent pour l’éthique d’établir le principe de l’acceptation du désir jusqu’à ce que son caractère indésirable ait été établi. 15 

Le premier est appelé sa’ah, le second Yusr

Les deux protègent le musulman d’un rapport de clôture sur le monde, d’une inertie conservatiste. 

Tous deux le poussent à dire oui à la vie et à affirmer l’exigence de nouvelles expériences. 

Tous deux l’encouragent à aborder les nouvelles données qui s’offrent à lui muni de sa raison scrutatrice, assisté de son effort constructif, et par là-même à enrichir son expérience de vie, à faire avancer sa culture et sa civilisation.

En tant que principe méthodologique tiré de l’essence civilisationnelle de l’islam, la tolérance est la conviction que Dieu n’a pas laissé les Hommes sans messager qui leur enseignent qu’il n’y a de Dieu que Dieu et qu’ils lui doivent adoration et service, 16 et sans les avertir contre le mal et ses causes. 17 

À cet égard, la tolérance est la certitude que tous les hommes sont doués d’un communis sensus (sens commun) qui leur permet de connaître la vraie religion, de reconnaître la volonté et les commandements de Dieu. 

La tolérance est la conviction que la diversité des religions est le produit de l’histoire avec tous ce que cela implique pour l’être humain comme conditions spatio-temporelles, facteurs affectifs, préjugés, passions et intérêts. 

Derrière la diversité religieuse se dresse al din al hanif, la religion primordiale de Dieu avec laquelle tous les hommes sont nés avant qu’une acculturation ne les fassent adhérer à telle ou telle religion. 

La tolérance oblige le musulman à entreprendre une étude de l’histoire des religions en vue de découvrir en chacune la dotation primitive de Dieu qu’il envoya à tous ses apôtres en tout lieu et en tout temps. 18

La tolérance transforme la confrontation et les condamnations réciproques entre les religions en une recherche scientifique coopérative sur la genèse et le développement des religions pour distinguer ce qui relève du développement historique et du donné originel de la révélation. 

Sur le plan éthique, la notion très importante du Yusr devrait immuniser le musulman contre toute tendance à nier la vie et lui assurer le minimum d’optimisme nécessaire pour maintenir la santé, l’équilibre et le sens des proportions, malgré toutes les tragédies et afflictions qui frappent la vie humaine.

Dieu a assuré à ses créatures que « dans les épreuves, nous avons ordonné la facilité [ yusr ]. » 19 

Et comme Il leur a ordonné d’examiner chaque réclamation et de s’en assurer avant de juger 20, les usuliyyun (docteurs en jurisprudence) ont eu recours à l’expérimentation avant de juger bon ou mauvais tout ce qui n’était pas contraire à une injonction divine claire.

Les deux notions de Sa’ah et Yusr dérivent directement du tawhid entendu comme principe métaphysique et éthique. 

Dieu, qui a créé l’homme pour qu’il se montre digne dans ses actes, l’a rendu libre et capable d’action positive et de mouvement affirmatif dans le monde. Telle est sa raison d’être.21

Ismail al-Faruqi

Notes :

1-Voir notre réfutation des orientalistes qui soulèvent le doute sur le fait que l’islam a une essence ou qu’il est connu ou connaissable, dans «L’essence de l’expérience religieuse dans l’islam», Numen , 20 (1973), pp. 186 – 201.

2-À cet égard, le tawhid se distingue du soufisme et de certaines sectes de l’hindouisme, où la réalité du monde se dissout en Dieu, et Dieu devient la seule réalité, le seul existant. De ce point de vue, rien n’existe vraiment sauf Dieu. Tout est une illusion; et l’existence est irréelle. Le Tawhid contredit également les anciennes vues égyptiennes, grecques et taoïstes qui vont dans une direction diamétralement opposée à celle de l’Inde. Dans cette vue, l’existence du Créateur se dissout dans celle de la création ou du monde. Tandis que l’Égypte soutenait que Dieu est en effet Pharaon. L’antiquité gréco-romaine a soutenu que Dieu est tout aspect de la nature humaine ou de la personnalité amplifiée à un degré qui la place au-dessus de la nature dans un sens mais la maintient immanente dans la nature dans un autre. Dans les deux cas, le Créateur est confondu avec Sa création. Sous l’influence de son sacerdoce, le christianisme s’est séparé du tawhid quand il a affirmé que Dieu s’est incarné dans le corps de Jésus et a affirmé que Jésus est Dieu. C’est la distinction unique de l’Islam qui a souligné la dualité ultime et la disparité absolue de Dieu et du monde, du Créateur et de la créature. Par sa position claire et sans compromis sur la transcendance divine, l’Islam est devenu la quintessence de la tradition de la prophétie sémitique, occupant le juste milieu entre l’exagérationnisme oriental (indien), qui nie la réalité de la nature, et l’exagérationnisme occidental (grec et égyptien), qui nie celle de Dieu.

3-Ce principe indique la séparation ontologique absolue de Dieu et de l’homme, l’impossibilité de leur union par incarnation, déification ou fusion. Le principe, cependant, ne nie pas la possibilité de communication entre eux. En fait, il est inséparable de la prophétie ou de la communication divine à l’homme d’un commandement auquel l’homme est censé obéir. Cela n’exclut pas non plus la possibilité de communication par l’intellect ou l’intuition, comme lorsque l’homme observe les créatures, réfléchit à leur origine et leur sens, et conclut qu’elles doivent avoir un créateur et un concepteur qui mérite d’être connu. C’est la voie de l’idéalisme ou du raisonnement. En dernière analyse, c’est ce principe de séparation ontique de Dieu et du monde qui distingue le tawhid de toutes les théories qui apothéosisent l’homme ou humanisent Dieu, qu’elles soient grecques, romaines, hindoues, bouddhistes ou chrétiennes.

4-Comme l’indiquent les versets du Coran 3: 191 et 23: 116.

5-Tel que contenu dans les versets du Coran 7:15; 10: 5; 13: 9; 15:29; 25: 2; 32: 9; 38:72; 41:10; 54:49; 65: 3; 75: 4, 38; 80:19. 82: 7; 87: 2? 3.

6-Coran 17:77; 33:62; 35:43; 48:23; 65: 3.

7-Tout acte accompli «par nature» est ipso facto amoral et ne mérite ni récompense ni punition. Les exemples sont la respiration, la digestion ou un acte de charité ou d’injustice commis sous la contrainte. Il en va tout autrement de l’acte libre qui implique que son auteur le fasse ou ne le fasse pas, ou fasse quelque autre acte.

8-Ceci est attesté par les versets qui parlent de la perfection de la création de Dieu (voir les notes 4, 5 ci-dessus) et ceux qui soulignent l’obligation et la responsabilité morales de l’homme. Ces derniers sont trop nombreux pour être mentionnés.

9-Telle est la signification impliquée dans les versets qui parlent de la soumission de la création à l’homme, à savoir 13: 2; 14: 32? 33; 16: 12, 14; 22: 36, 37, 65; 29:61; 31: 20, 29; 35:13; 38:18; 39: 5; 43:13; 45: 11? 12.

10-Comme l’indiquent les accents omniprésents d’obligation morale dans le Coran.

11-Les versets traitant du jugement final sont très nombreux et il n’est pas nécessaire de les citer tous; quelques exemples: l’homme ne sera pas laissé seul sans jugement (75:36), mais rendra compte devant Dieu (88:26, 4:85)

12-Dieu a interdit à l’homme de douter de ses semblables dans 4: 156; 6: 116, 148; 10:26, 66; 49:12; 53:23, 28.

13-Ce terme grec n’a pas d’équivalent en arabe, ce qui illustre la différence d’esprit. Le terme grec se réfère à un dogme irrationnel auquel adhère le chrétien.

14-Les philosophes ont élevé la raison au-dessus de la révélation et lui ont donné un statut prioritaire pour juger des revendications religieuses. Ils ont certainement tort de le faire. Le penseur islamique est certainement capable de définir la raison différemment et d’utiliser sa définition comme prémisse de toutes les autres affirmations. La question de la validité de l’une ou l’autre définition peut certainement être soulevée, et nous n’avons aucun doute sur la viabilité philosophique, ou le caractère raisonnable – non, la supériorité ! – de la définition islamique. La définition donnée ici, que le rationalisme est le rejet de la contradiction ultime de soi, a, en outre, la valeur de perpétuer la tradition des pères justes.

15-La preuve de cela peut être trouvée dans les versets qui remettent en question l’interdiction arbitraire, par exemple, 5:90; 7:13; 66: 1, ainsi que le principe usali (juridique) convenu par tous selon lequel «rien n’est haram (interdit) sauf sur la base d’un texte». Considérez aussi le verset: «Dieu a en effet détaillé pour vous ce qu’il a interdit» (6: 119, 153).

16-Coran 6:42; 12: 109; 13:40; 14: 4; 15: 9; 16:43; 17:77; 21: 7, 25; 23:44; 25:20; 30:47; 37:72; 40:70.

17-ibid. , 4: 162; 35:23.

18-ibid. , 30:30.

19-ibid. , 94: 6.

20-ibid. , 49: 6.

21-Voir ci-dessous.

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