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mardi 03 décembre 2024

Karbala vu par Tabari : Acte I – Alliance et désaveu

Illustration : Abbas ibn Ali à la bataille de Karbala, par le peintre persan Abbas al-Moussavi.

Que s’est-il passé à Karbala ? Quelles sont les circonstances qui ont mené à l’assassinat tragique de Hussain et de sa descendance le jour de ‘Achoura ? Pour le savoir, Mizane.info publie de longs extraits du chapitre VII et l’intégralité du chapitre VIII du tome IV des Chroniques de Tabari (voir note de bas de page) consacré à cet événement majeur auquel Mizane.info a consacré un dossier. Acte I : alliance et désaveu. 

Lorsque les habitants de Koufa surent que Hussain était à la Mecque, ils firent partir, en secret, une personne chargée de lui porter le message suivant : « Nous sommes tes partisans, comme nous l’avons été de ton père, et nous sommes les ennemis des Banu Oumayya ; et de même que nous avons combattu pour ton père contre Talha et Zubair, et contre les Syriens à Ciffïn, nous voulons prendre les armes pour toi. Viens immédiatement à Koufa. Nous ferons mourir [le gouverneur] No’mân, fils de Beschîr, nous te livrerons la ville et nous te prêterons le serment de fidélité. Il y a à Koufa et dans l’Iraq plus de cent vingt mille hommes qui sont prêts à sacrifier leur vie pour toi et à combattre contre Yazîd, comme ils ont combattu contre Mou’âwiya, pour t’assurer le califat, auquel Yazîd, que nous ferons périr, n’a aucun droit ». Enfin, il était dit dans la lettre des gens de Koufa, que les plus marquants des adhérents de Hussain s’abstenaient d’assister à la prière publique présidée par le lieutenant de Yazîd, qu’ils regardaient leurs adversaires, quant à leur vie et à leurs biens, comme étant hors la loi musulmane, qu’ils considéraient Hussain comme le souverain légitime et qu’ils l’attendaient.

Le conseil de Abdallah ibn ‘Abbas

Hussain communiqua cette lettre à ‘Abdallah, fils d’Abbâs, en lui demandant avis. ‘Abdallah lui dit : « Envoie d’abord quelqu’un avant de t’y rendre toi-même pour voir ce qu’ils feront; car les habitants de Koufa sont des gens perfides, et tu sais comment ils ont agi envers ton père ». — »Ils disent, répliqua Hussain, que douze mille hommes de notre parti ont prêté le serment ». ‘Abdallah, fils d’Abbâs, dit : « Ne t’abandonne pas à cette illusion. S’il le faut absolument, envoies-y un homme de confiance pour voir si ces hommes te reconnaissent comme souverain ; ensuite tu partiras toi-même ». Hussain, approuvant cet avis, fit partir pour Koufa Mouslim, fils de ‘Aqîl, fils d’Abou Tâlib, en lui recommandant de se tenir caché en quelque endroit de la ville, d’attendre que les partisans d’Alî vinssent prêter le serment d’hommage et de l’avertir quand ils seraient un certain nombre. « Alors, ajouta-t-il, s’il faut venir, je viendrai ».

Lorsque la nouvelle se répandit à Koufa que Mouslim, fils d’Aqîl, était arrivé, qu’il se tenait caché dans tel endroit de la ville pour recevoir le serment d’hommage au nom de Hussain,et que celui-ci allait le suivre, le peuple se porta vers Mouslim et lui prêta serment. Quand le nombre des adhésions fut de douze mille, Mouslim en avertit Hussain par lettre. Les principaux habitants de Koufa, tels que Soulaïmàn, fils de Çorad ; Mousayyib, fils de Nadjaba; Rift’a, fils de Schaddàd; Habib, fils de Houzhâhir, et Hâni, fils d’Orwa, qui avaient prêté serment, écrivirent également à Hussain et envoyèrent leurs lettres par des messagers. Hussain, très satisfait de ces lettres, répondit qu’il allait venir sous peu. Puis arrivèrent deux nouveaux messagers de Koufa qui lui apportèrent cent cinquante lettres, et qui insistèrent pour qu’il se préparât. Hussain les congédia également avec la réponse qu’il allait venir.

Hussain avait aussi un grand nombre de partisans à Baçra. Il fit partir pour cette ville un affranchi, nommé Soulaïmàn, avec une lettre adressée aux anciens partisans de son père, tels que A’hnaf, fils de Qaïs; Mâlik, fils de Misma’ ; Sa’d (Mas’oud?), fils d’Amr, et aux autres notables de Baçra, et leur fit dire : « Que tous ceux qui sont de mon parti se rendent à Koufa ; car je suis sur le point de m’y rendre moi-même ». Puis il fit ses préparatifs de départ, tandis que les habitants de Koufa, qui avaient achevé de prêter le serment, lui envoyèrent un nouveau messager.

(…..)

« Ne pars pas, ne te fie pas aux gens de Koufa »

Le lendemain, ‘Obaïdallah, fils de Ziyâd, convoqua le peuple et le harangua. « Je suis venu, dit-il, pour faire mettre à mort tous ceux qui ont prêté serment à Hussain. Or, je sais que vous êtes tous partisans de Hussain ». Puis, s’adressant à Hânî, fils d’Orwa, il lui dit : « J’ai appris que Mouslim, fils de ‘Aqil, se trouve dans ta maison ». Hânî le nia. — « Jure qu’il n’y est pas », dit ‘Obaïdallah. Hânî le jura. Alors ‘Obaïdallah le fit retenir et envoya à sa maison arrêter Mouslim, qui fut amené en la présence de Obaïdallah. Hânî et Mouslim furent retenus prisonniers. Une foule d’environ cinquante mille personnes se rassembla à la porte du palais et réclamait les deux prisonniers. ‘Obaïdallah donna l’ordre de conduire Mouslim et Hânî sur la terrasse, de les décapiter et de jeter leurs têtes au milieu de la foule. A ce spectacle, le peuple fut saisi de terreur. Cet événement eut lieu au mois de dhul hiddja de l’an 60 de l’hégire. Le même jour, Hussain, fils de ‘Alî, quitta la Mecque, avec toute sa famille, suivant l’invitation que lui avaient adressée les principaux habitants de Koufa. Il ignorait ce qui venait de se passer dans cette ville.

Lorsque Hussain quitta la Mecque, tous ceux qui le voyaient lui dirent : « Ne pars pas; ne te fie pas aux gens de Koufa ». ‘Abdallah, fils d’Abbâs, vint le trouver et lui dit : « Mon cousin, ne quitte pas la Mecque et le sanctuaire de Dieu ! » Mais ‘Abdallah, fils de Zobaïr, qui avait levé ouvertement l’étendard de la révolte et qui gouvernait la Mecque, désirait le départ de Hussain, afin d’avoir le champ libre dans la ville. [Aussi le confirmait-il dans sa résolution.] ‘Abdallah, fils de ‘Abbâs, [vint de nouveau chez Hussain et lui] dit : « Mon cousin, ne te laisse pas tromper par les paroles des gens de Koufa; car tu sais de quelle façon ils ont agi envers ton père et envers ton frère. Si, malgré tout, tu veux partir, n’emmène pas ces femmes et ces enfants, avant de voir comment l’affaire tournera. Si les gens de Koufa avaient un si grand désir de t’avoir, ils chasseraient d’abord le lieutenant de Yazid qui se trouve dans leur ville. Or, je crains qu’ils ne te fassent mourir et qu’ils n’épargneront même pas tes enfants ». Hussain repoussa ces conseils et partit avec toute sa famille, escorté de quarante cavaliers et de cent hommes à pied.

L’avertissement de Hourr

En route, Hussain rencontra une caravane qui transportait l’impôt du Yémen à Damas. II s’en empara, en disant qu’étant l’imam légitime, il y avait plus de droits que Yazîd. Mais il rendit aux particuliers ce qui appartenait à chacun, et ne garda que l’argent destiné au trésor public. A moitié du chemin, dans le désert, il fit la rencontre de Farazdaq, le poète, et de Hammam, fils de Ghâlib, qui venaient de Koufa, mais qui ne connaissaient pas encore l’arrivée dans cette ville d’Obaïdallah, fils de Ziyâd. Hussain leur demanda quel était l’état de ses affaires à Koufa. Farazdaq lui dit : « Le cœur des hommes est avec toi, mais je ne connais pas le destin de Dieu ». Hussain répliqua : « Personne ne peut empêcher l’accomplissement de ce que Dieu a décidé ». Étant ainsi sans nouvelles en ce qui concernait ‘Obaïdallah, fils de Ziyâd, Hussain poursuivit sa route rapidement, afin d’arriver à Koufa avant que Yezîd connût son voyage.

Après avoir fait mourir Mouslim et Hâni, ‘Obaïdallah, fils de Ziyâd, nomma de nouveaux gouverneurs pour les différentes villes de sa province. Une lettre de Yezîd l’avertit que Hussain avait quitté la Mecque et l’invita à envoyer des troupes sur la route de cette ville. Ayant donc désigné à chaque gouverneur son poste, il fit appeler ‘Omar, fils de Sa’d, fils d’Abou-Waqqâç , à qui il avait donné le gouvernement de Reî, et lui dit : « Il faut que tu ailles prendre Hussain ». ‘Omar répondit : « Il faut que tu me dispenses de cela ». — « Si tu veux que je te dispense de cela, répliqua ‘Obaïdallah, renvoie-moi ta nomination au gouvernement de Reï. ‘Omar dit : « Accorde-moi un délai; je réfléchirai cette nuit ». Après avoir réfléchi cette nuit, ‘Omar se ravisa de ne point renoncer à son poste et de tuer Hussain. En conséquence, ‘Omar, fils de Sa’d, partit le premier jour du mois de Mouharrem de l’an 61, avec quatre mille hommes, et se dirigea vers le désert. Hussain avait fait halte à trois milles de Qâdesiyya.

‘Omar, fils de Sa’d, fit appeler un homme, nommé Hourr, fils de Yazîd, qui, en son cœur, était partisan d’Ali, et lui ordonna de marcher en avant, pour mettre en bon état les puits et les stations de campement. Arrivé à l’endroit où Hussain avait campé avec toute sa famille, à trois milles de Qâdesiyya, Hourr lui dit : « Où vas-tu ? » — « A Koufa », répondit Hussain. Hourr dit : « Retourne sur tes pas ; car une armée est proche ; ‘Omar, fils de Sa’d, arrive avec quatre mille hommes ! Mouslim, fils de ‘Aqîl, a été mis à mort. Retourne ! » Hussain dit : « Comment pourrais-je retourner avec toute ma famille ? » Hourr lui recommanda de s’écarter de la route, et Hussain, suivant ce conseil, s’étant mis en marche, arriva à un endroit nommé Karbala, où il fit halte. ‘Omar, fils de Sa’d, étant entré dans le désert, eut avis que Hussain se trouvait à Karbala, et il se dirigea vers cet endroit.

La requête de Hussain

Lorsque Hussain aperçut l’armée qui s’approchait, il monta à cheval et marcha à sa rencontre avec ses quarante cavaliers et les cent hommes à pied qui constituaient son escorte. Puis il forma ses rangs de bataille et attendit l’ennemi. ‘Omar, fils de Sa’d, s’avança, salua Hussain et l’exhorta à renoncer à son projet. Il lui dit : « Certes, quoique votre droit soit le plus légitime, Dieu ne veut pas que le gouvernement vous appartienne. D’ailleurs, tu ne peux pas continuer la lutte ; ton père a lutté, et cependant il n’a pas obtenu le pouvoir; sa vie s’est consumée en affliction et à la fin il a été tué. Ton frère Hasan, quand il a reconnu qu’il n’aurait pas le pouvoir, a prêté le serment pour être délivré des soucis. Toi aussi, renonce à cette entreprise ». Hussain répondit : « Accordez-moi une de ces trois choses : ou laissez-moi libre, afin que je puisse me rendre à la Mecque, et je n’essaierai plus à gagner le pouvoir ; ou j’irai dans une contrée quelconque, où je vivrai tranquille ; ou bien laissez-moi aller auprès de Yazid ». ‘Omar dit : « C’est bien ; attends maintenant que j’écrive à ‘Obaïdallah, fils de Ziyâd, pour demander ses ordres ». ‘Omar fit camper son armée et expédia une lettre à ‘Obaïdallah, fils de Ziyâd.

‘Obaïdallah répondit : « Hussain doit venir d’abord auprès de moi, et je le dirigerai moi-même vers Yazîd ». Hussain dit : « Je veux me rendre directement auprès de Yazîd ; envoie quelqu’un de tes hommes avec moi ». « Il faut absolument, répondit ‘Obaïdallah, qu’il vienne auprès de moi. » Omar lui écrivit deux ou trois lettres, mais ‘Obaïdallah lui répondit : « Tout cela est inutile, il faut qu’il vienne auprès de moi pour prêter le serment entre mes mains ». Hussain refusa. Il se passa ainsi une semaine. Alors, ‘Obaïdallah envoya un messager auprès de Omar, fils de Sa’d, et lui fit dire : « T’ai-je envoyé vers Hussain pour te livrer avec lui à des conversations amicales ? Si tu n’attaques pas, j’enverrai quelqu’un qui attaquera ».

Omar, fils de Sa’d, monta immédiatement à cheval et conduisit ses troupes au combat; puis il cria : « Ô Hussain, j’ai fait beaucoup d’efforts pour n’avoir pas part à ta mort; mais à présent ce n’est plus facile à éviter ». Hussain demanda encore un délai d’un jour, et Omar le lui accorda. Cependant, ‘Obaïdallah, fils de Ziyâd, fit appeler Schamir, fils de Dsou’l-Djauschan, et lui dit : « ‘Omar, fils de Sa’d, nous trompe ; il est dans les intérêts de Hussain. Vas-y ; si Omar ne veut pas attaquer, enlève-lui le commandement de l’armée et sa nomination au gouvernement de Reï. Tu prendras le commandement et tu m’enverras Hussain en personne ou sa tête ».

Hussain venait d’obtenir le délai d’un jour qu’il avait demandé, lorsque, vers le soir du même jour, Schamir arriva au camp. Il dit : « Je ne lui accorde même pas une heure ». Omar, fils de Sa’d, fit sortir ses troupes, marcha contre Hussain et lui dit : ‘Obaïdallah a envoyé un autre général. Hussain dit : « La nuit est proche, accordez-moi au moins cette nuit ». Les soldats demandèrent qu’on la lui accordât et Schamir fut obligé de céder. Hussain employa toute la nuit à préparer ses armes.

Vers minuit, il arriva un messager de la part de Obaïdallah, apportant à Omar, fils de Sa’d, l’ordre suivant : « Quand tu commenceras les hostilités, coupe l’ennemi de l’Euphrate ; ne leur laisse point accès à l’eau, pour qu’ils meurent de soif. Et quand tu auras tué Hussain, fais piétiner son corps par les chevaux. » Omar, fils de Sa’d, envoya immédiatement ‘Amr, fils de Haddjâdj, avec cinq cents hommes pour occuper les bords du fleuve, de sorte que Hussain et les siens furent privés d’eau à boire.

« Je ne vous ai pas amenés à la guerre, je vous délie de votre serment »

Hussain passa toute la nuit à préparer ses armes en chantant des élégies. Son jeune fils Ali, qui était malade, couché dans la tente, en l’entendant ainsi chanter, se mit à pleurer. Alors, toutes les femmes poussèrent des cris et des sanglots. Hussain leur dit : « Ne pleurez pas, car l’ennemi s’en réjouirait ». Puis, élevant son regard vers le ciel, il s’écria : « Seigneur, tu sais qu’ils m’ont prêté serment et qu’ils l’ont violé. Venge-moi d’eux ! » Ensuite, il réunit ses partisans qui l’avaient suivi et leur parla ainsi : « Tout ce qui vous arrive, c’est vous-mêmes qui l’avez préparé. Ce n’est pas moi qui vous ai jetés dans la guerre. Nous sommes un petit nombre et l’ennemi est en force. Quant à moi, j’ai fait le sacrifice de ma vie. Non seulement, je ne vous ai pas amenés à la guerre, mais je vous délie de votre serment. Que tous ceux qui voudraient s’en aller, partent ! » Ils répondirent : « Ô fils de l’apôtre de Dieu, quelle excuse pourrions-nous donner à ton grand-père, au jour de la Résurrection, d’avoir abandonné son fils dans un tel lieu, entre les mains de ses ennemis ? Non, nous t’avons voué notre vie ! » Hussain se prépara donc au combat.

Un homme, nommé Tirrimâ’h, partisan d’Ali, ayant appris que Hussain se trouvait enfermé à Karbala, monta sur une chamelle de course et arriva cette nuit auprès de Hussain, et lui dit : « Prends mon chameau, je te conduirai dans ma tribu, je t’y garderai, et personne ne saura y pénétrer ». Hussain répondit : « Il serait honteux de fuir et d’abandonner ces femmes et ces enfants; et d’ailleurs, sans eux, la vie me serait à charge. » Tirrimâ’h s’en retourna. Hussain s’étant endormi pendant un peu de temps, vit en songe le Prophète, qui lui dit : « Ne t’afflige pas, ô Hussain ; demain soir, tu seras avec moi ». En se réveillant, il renonça à tout espoir de sauver sa vie. Quand il fut jour, il fit la prière. C’était le vendredi, dixième jour du mois de Mouharrem (Achoura).

Le sermon de Hussain 

Omar, fils de Sa’d, ayant disposé ses troupes, s’avança pour engager le combat. Hussain abandonna son cheval, monta sur un chameau, se présenta devant les rangs de l’ennemi, de façon à être vu de toute l’armée d’Omar, et parla ainsi : « Gens de Koufa, je sais que mes paroles ne me sauveront pas; mais je veux parler, pour établir votre responsabilité devant Dieu et ma propre innocence, avant que la lutte s’engage. Vous savez tous, dit-il encore, que je suis le fils de Fâtima, fille de l’apôtre de Dieu, et le fils d’Ali, cousin du Prophète et le premier croyant. Dja’far aux deux ailes était mon oncle, Hamza, le prince des martyrs, était l’oncle de mon père, et Hassan était mon frère, dont le Prophète a dit qu’il était le seigneur des habitants du Paradis. Si vous croyez en Dieu et en la mission de mon grand-père, l’apôtre de Dieu, dites-moi quel crime j’ai commis, pour que vous attentiez à ma vie. Ne voyez-vous pas que les chrétiens vénèrent même le sabot de l’âne de Jésus et les juifs tout ce qu’il leur reste de Moïse, et comment toutes les nations honorent leurs prophètes et la famille de ceux-ci ! O mon peuple, depuis que je suis avec vous, je n’ai versé le sang d’aucun d’entre vous, et je n’ai pris le bien de personne ; par quel crime, à vos yeux, ai-je mérité la mort ? Je demeurais à Médine près du tombeau de mon grand-père, et vous ne m’y avez pas laissé. Je suis allé à la Mecque, et vous m’avez appelé, vous, gens de Koufa, par des lettres et par des messagers. Maintenant, je vous dis comme a dit Moïse au peuple de Pharaon : Si vous ne me croyez pas, écartez-vous, afin que j’aille au sanctuaire de Dieu; j’y demeurerai jusqu’à ce que je quitterai ce monde ; c’est dans l’autre monde qu’il deviendra manifeste, qui a eu le droit pour lui et qui a mal agi. » Personne ne répondit à ce discours.

Alors Hussain dit : « Je rends grâces à Dieu, qui prononce contre vous ; car mon accusation contre vous est inéluctable et vous n’avez rien à alléguer contre moi. Puis, s’adressant à plusieurs, individuellement, Hussain dit : Un tel et un tel, ne m’avez- vous pas écrit pour m’appeler auprès de vous, disant dans votre lettre que vous m’avez prêté serment ? M’avez-vous appelé pour me tuer ? » Ils répondirent : « Nous sommes dégoûtés de ce serment ». Hussain s’écria : « Grâces soient rendues à Dieu ! Vous n’avez plus aucun argument vis-à-vis de Dieu et du Prophète ! Puis il dit : Seigneur, tu es mon consolateur dans toute affliction, ma richesse dans toute adversité, ma force dans tout malheur, mon protecteur, dans toute circonstance. Tu es la source de toute grâce et le terme de toute extrémité; protège-moi, ô toi le plus miséricordieux ! »

Hussain fit ensuite agenouiller son chameau et reprit son cheval ; il aligna ses troupes et se tint tranquille en attendant que l’ennemi commençât l’attaque.

Notes :

*L’ouvrage original en langue arabe de Tabari (Târîkh al-rusul wa l-mulûk) a fait l’objet de certaines critiques portant sur sa méthodologie dans la mesure où l’auteur aurait intégré toutes sortes de récits sans opérer de tri sélectif établi sur une approche historique critique. A ces critiques se sont ajoutées celles portant sur la version persane synthétique du livre de Tabari qui a « peu à peu remplacé » la version originale très volumineuse. Voici ce qu’en disait Hermann Zotenberg, auteur de l’une des deux traductions orientalistes existantes à partir de la version de Bel’ami.   

« Vers 352 de l’hégire (968), le vizir Abou Ali Mohammed ben AbdAllah Bel’ami traduisit en persan, d’après les ordres de Mansour ben Nou’h, prince samanide dans le Khorasan, l’ouvrage de Tabarî, en supprimant les longues citations des autorités sur lesquelles Tabarî avait appuyé sa narration, et en choisissant une seule des différentes relations que l’auteur arabe rapporte sur un même fait. La version persane, à son tour, se répandit rapidement dans les différentes parties de l’Orient; elle fut traduite plus tard en turc et même en arabe, et remplaça peu à peu l’ouvrage original, qui, en raison de son étendue, ne fut que rarement reproduit, et dont on ne possède plus aujourd’hui que quelques fragments. »

Malgré ces observations préliminaires générales sur l’ensemble de cette encyclopédie de Tabari, notre rédaction a choisi de publié des extraits du chapitre VII et l’intégralité du chapitre VIII de la traduction de Zotenberg dont le contenu correspond, dans ses grandes lignes historiques, à ce que l’on sait sur la mort de Hussain assassiné ainsi que sa famille par une armée envoyée sur les ordres de Yazid, fils de Mou’awiyya. 

Cette publication prévue en deux parties vient contribuer à mieux faire connaître cet événement à la fois tragique, fondateur de l’histoire de la civilisation islamique et largement méconnu par le grand public musulman. Elle œuvre en ce sens à la réintégration de l’histoire de l’institution des Ahl al Bayt, attribué parfois exclusivement et faussement à la seule tradition chiite, à la mémoire de la tradition sunnite de l’islam à laquelle elle appartient tout autant, les deux traditions étant finalement les deux faces d’une même pièce.

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