Seconde partie des Chroniques de l’historien et théologien musulman Tabari consacrée à l’épisode de la révolte de Abdallah ibn Zubayr. Aujourd’hui, récit de la contestation armée, matée, des kharidjites, du blocus de la Mecque par le général d’Abdel Malik, le sanguinaire Haddjaj et son assaut final contre Abdallah ibn Zubayr.
Mukhtar se rendit à la Mecque, auprès d’Abdallah, fils de Zubayr. Lorsque Ibn Zubayr l’invita à le reconnaître comme souverain (ce fut en l’an 61), Moukhtâr lui dit : « Je le veux bien à condition que tu n’aies aucun secret pour moi ». Ibn Zubayr lui accorda ce qu’il demandait, et en fit son confident. Moukhtâr était un homme d’une grande bravoure, et lors du siège de la Mecque par ‘Hoçaïn, fils de Nomaïr, il attaqua souvent les Syriens et en tua un grand nombre. Chaque fois qu’avec sa troupe de soixante-dix hommes, composée des gens de sa famille et de ses affranchis, il se jetait sur l’ennemi, il rompait le centre de l’armée.
Après le départ de l’armée de Syrie, Moukhtâr aida ‘Abdallah, fils de Zubayr, dans la reconstruction de la Kaaba, qui avait été démolie par les machines de guerre des Syriens. Ces nombreuses preuves de dévouement lui avaient gagné l’estime d’Abdallah. Puis, lorsque, après la mort de Yezid, la fortune d’Abdallah s’éleva, qu’il prétendit ouvertement au califat, qu’il fut reconnu par le ‘Hedjâz, l’Égypte, le Yémen et les provinces occidentales, et qu’il eut nommé comme gouverneur de Bassorah, [‘Omar, fils d’] ‘Obaïdallah, fils de Ma’mar, Moukhtâr espérait qu’il aurait le gouvernement de Koufa. Ce poste ayant été donné à ‘Abdallah, fils de Yézid, l’Ançâr, Moukhtâr abandonna la cause d’Ibn Zubayr, et sur la nouvelle que les gens de Koufa, sous la conduite de Souleymane, fils de Çorad, allaient se soulever pour venger la mort de ‘Hosaïn, il se rendit dans cette ville, où il arriva une semaine avant ‘Abdallah l’Ançâr.
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Merwân, après avoir, au commencement de l’an 65, fait la campagne d’Égypte, revint en Syrie, que Moç’ab, fils de Zubayr, avait envahie. Il repoussa Moç’ab, et résida ensuite à Damas. Cependant toutes les provinces, en dehors de la Syrie, étaient au pouvoir d’Abdallah, fils de Zubayr.
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De même que les Khâridjites de Koufa s’étaient concertés et groupés autour de Souleymane, fils de Çorad, de même ceux de Bassora s’étaient donné un chef en la personne de Nâfi’, fils d’Al- Azraq. Il y avait entre les conjurés des deux villes des entrevues et des correspondances ; et lorsque Souleymane envoya partout des émissaires pour recueillir des adhésions et des secours, et afin d’enrôler les hommes pour la guerre contre les meurtriers de ‘Hosaïn, les Khâridjites de Baçra répondirent à cet appel. A la mort de Yazid, ils firent demander à Souleymane de donner le signal du soulèvement; mais Souleymane refusa en disant qu’il avait fixé l’année 65 comme l’époque où l’on entrerait en campagne. Les hommes de Bassora ne voulurent pas attendre, parce que, disaient-ils, ils ne verraient plus jamais leur ville aussi dégarnie de troupes qu’en ce moment-là, où l’armée était déchirée par des luttes intestines, en Syrie.
En conséquence, ils choisirent pour chef Nâfi’, fils d’Azraq. Lorsque ‘Omar, fils d’Obaïdallah, fils de Ma’mar, le Temîmite, nommé gouverneur de Baçra par ‘Abdallah, fils de Zubayr, arriva, il se rendit maître de la ville et en chassa Nâfi’. Celui-ci campa aux portes avec vingt mille hommes, et il y eut des combats chaque jour, jusqu’à ce qu’enfin ‘Omar fils d »Obaïdallah, nomma son frère ‘Othmân général en chef. Il y eut aussi journellement des meurtres parmi la population turbulente de la ville ; car les Khâridjites voulaient le respect de la loi. ‘Othmân ayant été tué également, les gens de Baçssora se dispersèrent et les Khâridjites s’emparèrent de la ville.
‘Abdallah, fils de Zubayr, informé de ces faits, y envoya comme gouverneur ‘Abdallah, fils de ‘Hârith, lequel donna le commandement de l’armée à Mouslim, fils d’Obaïs. Un grand nombre d’habitants de Bassora s’étant enrôlés sous ses drapeaux, les Khâridjites quittèrent la ville et se rendirent dans l’Ahwâz ; ils s’avancèrent jusqu’à un endroit nommé Doulâb. Mouslim les poursuivit et les atteignit à Doulâb, où une bataille terrible s’engagea. Il y eut un grand nombre de morts des deux côtés. Nafi’ ayant été tué, les Khâridjites mirent à leur tête ‘Abdallah, fils de Mâ’houz, et continuèrent la lutte, jusqu’à ce que les deux partis fussent las de combattre. Les troupes de Bassora, dont les deux tiers avaient été tués, retournèrent dans leur ville. Les habitants, découragés, n’osèrent plus sortir pour combattre les Azrâqites. Ils les maudissaient [dans la prière].
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Les Azrâqites s’établirent de nouveau aux portes de la ville. ‘Abdallah, fils de ‘Hârith, écrivit à ‘Abdallah, fils de Zubayr, que les habitants de Baçra, après avoir perdu la plupart des leurs, étaient découragés. Ibn Zubayr, ayant lu cette lettre, destitua ‘Abdallah, fils de ‘Hârith, et nomma à sa place ‘Hârith [fils d’Abi-Rabi’a]. Celui-ci, en arrivant à Bassora, fit un appel au peuple, pour combattre les Khâridjites; mais il ne se présenta personne, et les Khâridjites trouvèrent le temps d’occuper tout le territoire entre Bassora et l’Ahwâz; ils y exercèrent leurs déprédations, et pillèrent et massacrèrent les habitants. Mouhallab, fils d’Abou-Çofra, après son retour du Khorâsân, avait été investi du gouvernement de cette même province par ‘Abdallah, fils de Zubayr. Lorsqu’il vint à Bassora, où il avait sa famille, pour y prendre ses dispositions pour le départ, les habitants de la ville se réunirent et dirent : « Il n’y a que Mouhallab qui soit capable de combattre les Khâridjites ».
En conséquence, ils rédigèrent, au nom d’Ibn Zubayr, une lettre qu’ils firent parvenir à Mouhallab, et dans laquelle il était dit : « Il faut qu’avant de partir pour le Khorasân, tu extirpes le fléau des Khâridjites ». Les notables de la ville et ‘Hârith, le gouverneur, se rendirent auprès de lui et, après avoir fait des vœux pour le calife, ‘Abdallah, fils de Zubayr, ils lui dirent : « Personne ne pourra nous délivrer des Khâridjites, si ce n’est toi ». Mouhallab répondit :
Le prince des croyants ne peut pas me commander de combattre tous ces gens ; et s’il me le commandait, je ne le ferais qu’à ces conditions : Il faut que je puisse lever de chacune des tribus qui habitent Bassora deux mille hommes; que je sois mis en état immédiatement de leur payer leur solde; que je puisse disposer d’une somme d’argent, afin de gagner ceux d’entre les Khâridjites que je ne réduirais pas par l’épée ; enfin que toutes les contrées que je leur enlèverai, soient mises sous mon autorité.
Mouhallab adressa ensuite à ‘Abdallah, fils de Zubayr, une lettre dans laquelle il lui déclarait qu’il exécuterait ses ordres aux conditions indiquées. Les habitants de Bassora, de leur côté, avaient écrit à Ibn Zubayr, lui avaient exposé l’état de leur ville et les ravages commis par les Azrâqites, et lui avaient fait part de la lettre supposée qu’ils avaient fait parvenir en son nom à Mouhallab, pour l’engager à combattre les Khâridjites, dans l’espoir que Dieu, par son moyen, anéantirait le fléau des Khâridjites. ‘Abdallah, fils de Zubayr, écrivit aux habitants de Baçra qu’il approuvait ce qu’ils avaient fait, et répondit à Mouhallab qu’il lui accordait toutes ces demandes.
En conséquence Mouhallab leva une armée et marcha contre les Azraqites qui, campés au nombre de douze mille hommes, au Petit-Pont, se décidèrent à s’éloigner du territoire de Bassora, afin de l’obliger à les suivre. Ils gagnèrent le Grand-Pont, puis le territoire de l’Ahwâz, et s’arrêtèrent en un endroit situé entre les deux bourgs de Sillâ et Sillabra. Mouhallab, les ayant atteints, fit halte et établit un camp retranché, où il resta jusqu’à ce que les renforts qu’il avait appelés de Bassora fussent arrivés. Les Azrâqites, de leur côté, rassemblèrent des forces dans l’Ahwâz, à Ispâhân et dans les autres contrées qu’ils occupaient. Ils cherchaient à surprendre l’armée de Mouhallab ; mais celui-ci, par son activité intelligente et sa prudence, tenant constamment sur pied ses postes et ses gardes, déjouait toutes leurs entreprises.
Enfin les Azrâqites, au nombre de trente mille hommes, offrirent le combat à Mouhallab. L’armée de Bassora s’étant mise à fuir, Mouhallab courut après ses hommes et leur cria : « Voilà l’ardeur et le courage que vous montrez, après m’avoir forcé à entreprendre cette guerre ! » Une partie des fuyards revinrent, les autres continuèrent leur course, poursuivis par les Azrâqites. Lorsque ceux-ci furent rentrés dans leur camp, se croyant à l’abri de tout danger, après avoir défait l’armée ennemie, et que plusieurs étaient déjà descendus de cheval, Mouhallab avec trois mille hommes, les seuls qui étaient restés auprès de lui, se jeta sur eux ; lui et ses soldats firent jouer leurs sabres et massacrèrent un grand nombre d’ennemis. Le lendemain, Mouhallab, ayant rallié ses troupes, poursuivit les Azrâqites dans l’Ahwâz. Ceux-ci coururent jusqu’à Ispâhân et jusqu’en Kirmân. Mouhallab se rendit à [la ville de] Ahwâz.
Quand les troupes qui s’étaient enfuies du champ de bataille et qui ne connaissaient pas la victoire de Mouhallab, rentrèrent à Bassora, les notables de la ville se disposaient déjà à l’abandonner et à se sauver, lorsque la lettre de Mouhallab criant la victoire d’Ahwâz vint les rassurer. Les fuyards eux-mêmes retournèrent auprès de Mouhallab, lequel réunit sous son autorité, en les recevant d’Abdallah ibn Zubayr, toutes les contrées qu’il venait d’enlever aux Khâridjites. Il y demeura trois ans. Les Khâridjites avaient perdu dans la bataille sept mille hommes.
Il y eut [en cette année 68] à la Mecque, au temps du pèlerinage, quatre drapeaux différents, appartenant à quatre Imams, dont chacun était opposé à l’autre ; à savoir, le drapeau d’Abdallah, fils de Zubayr, qui résidait à la Mecque; celui de Muhammad, fils de la ‘Hanéfite, qui était venu avec les pèlerins de Médine et qui avait refusé de marcher sous le drapeau d’Ibn Zubayr, parce qu’il ne reconnaissait pas son autorité; celui qu »Abdou’l-Mélik avait envoyé de Syrie, et celui de Nadjda.
On pouvait craindre qu’il n’y eût des luttes entre ces différents partis, dont chacun se rendait à ‘Arafat avec son drapeau, et accomplissait la prière séparément. Les pèlerins des différentes contrées, qui prenaient part au pèlerinage, étaient étonnés de ce spectacle et se demandaient quel était le véritable Imâm, et au nom de qui devaient se faire la juridiction, la prière du vendredi, les mariages et autres contrats, puisqu’il y avait quatre Imâms en même temps.
En cette même année [72] ‘AbdoulMélik envoya ‘Haddjâdj, fils de Yousef, à la tête d’une armée contre ‘Abdallah, fils de Zubayr, et la Mecque fut assiégée pendant huit mois.
(…)
Muhammad, fils de la ‘ Hanefite, qui s’était retiré des affaires du monde et qui menait une vie uniquement consacrée au service de Dieu, vint, à l’époque du pèlerinage, à la Mecque. ‘ Abdallah, fils de Zubayr, le fit appeler et exigea qu’il lui prêtât le serment de fidélité. Muhammad répondit qu’il le ferait, quand ‘ Abdallah serait généralement reconnu comme calife. ‘ Abdallah insista pour qu’il prêtât le serment sur le champ, lui et les gens de sa maison. Muhammad ayant refusé, ‘ Abdallah le fit arrêter avec sept de ses compagnons, et les fit enfermer dans l’édifice du puits Zemzem . Le lendemain il les fit amener et les menaça de les faire égorger et de brûler leurs corps, s’ils ne prêtaient pas le serment. Muhammad demanda un délai d’une année. ‘ Abdallah répondit qu’il ne lui accorderait pas même une heure. Alors Muhammad dit : « Le Prophète a accordé un délai à Çalwan, qui était païen, et toi, tu ne veux pas m’en accorder ! » ‘Abdallah, cédant aux instances de ses partisans, décida qu’il attendrait deux mois, pendant lesquels Muhammad et ses gens resteraient consignés dans l’édifice du puits Zemzem , et il y plaça une garde. Muhammad dit à ses compagnons : Il n’y a que Moukhtar qui puisse lutter contre cet homme et nous venir en aide. En conséquence, il écrivit à Moukhtar, lui exposa sa situation et lui demanda de venir à son secours, lui et les gens de Koufa et de Bassora.
Moukhtår, ayant pris connaissance de sa lettre, fut très content de ce que Muhammed eût besoin de lui, et s’écria : « Je l’aiderai d’une façon telle qu »Abdallah, fils de Zubayr, en sera étonné ! » Il se rendit à la mosquée, monta en chaire et harangua le peuple. Il dit : « Voici une lettre de notre Imâm. ‘ Abdallah, fils de Zubayr, le tient en prison contre tout droit. Et cependant c’est Muhammad qui est le souverain légitime. Il faut aller à son secours ! » Le peuple répondit à cet appel. Moukhtar choisit mille hommes, qu’il fit partir pour la Mecque, par groupe. L’entreprise était facile car l’eau et les fourrages étaient abondants cette année-là. Moukhtar donna trente mille dirhems à ces hommes et leur recommanda de dissimuler leur but jusqu’au moment où ils entreraient, tous en même temps et inopinément, par les portes de la ville, pour délivrer Muhammad. Il adressa aussi une lettre au gouverneur du Yémen qui était de son parti, et l’engagea à se rendre avec ses troupes à la Mecque, à se joindre aux mille guerriers qu’il y envoyait, à tuer les gardiens de Muhammad et à le délivrer. Ces mille hommes, étant arrivés aux portes de la Mecque, pénétrèrent subitement dans la ville. Le sabre à la main et en criant : « A nous les parents du Prophète! A nous les parents de ‘ Hosaïn ! » Ils se rendirent à la mosquée, tuèrent les gardiens et délivrèrent Muhammad et ses gens. Ils voulurent continuer à combattre, mais Muhammad leur défendit de combattre dans le sanctuaire de Dieu. Il se rendit ensuite à Médine, où il ne fut occupé que de la pratique de la religion.
(…)
Lorsque ‘AbdoulMélik fit appel aux habitants de Syrie pour marcher sur la Mecque et diriger la guerre contre Ibn Zubayr, il ne se présenta personne qui eût voulu attaquer le temple de Dieu. Enfin ‘Haddjâdj se leva dans l’assemblée et demanda à être chargé de cette expédition, en disant avec assurance qu’il en rapporterait la tête d ‘Abdallah, fils de Zubayr. ‘Abdou’l-Mélik lui donna un corps de deux mille hommes. ‘Haddjâdj vint à la Mecque, un engagement eut lieu autour du puits Zemzem, et l’armée de la Mecque eut un grand nombre de morts. ‘Haddjâdj, en annonçant sa victoire à ‘Abdou’l-Mélik, lui demanda en même temps des renforts. ‘Abdou’l-Mélik lui envoya encore cinq mille hommes. C’était au mois de ramadhân, et les Mecquois eurent beaucoup à souffrir.
Les combats ne cessaient pas pendant les mois de chawwâl et de dhou’l-qa’da. ‘Abdallah, fils de Zubayr, vit son armée constamment diminuer, soit par des pertes dans les batailles, soit par des défections; car beaucoup de soldats s’enfuirent et se rendirent dans le Yémen ou à Médine. Enfin ‘Haddjâdj ayant bloqué la ville, il se trouvait enfermé avec environ deux mille combattants. Le premier jour du mois de dhou’l-‘hidja, il se livra un combat acharné. Il y avait dans la ville un grand nombre d’étrangers qui étaient venus, de l’orient et de l’occident, pour accomplir le pèlerinage.
Les vivres commençaient à manquer, et les cérémonies du pèlerinage ne purent s’accomplir, parce que ‘Abdallah, en sa qualité d’Imâm, ne pouvait conduire les pèlerins au mont ‘Arafat. ‘Haddjâdj leur fit proposer de sortir de la ville et de faire le voyage du mont ‘Arafât avec lui; mais tous refusèrent.
Haddjadj continua donc à faire la guerre sur le territoire sacré, et ses balistes et machines de guerre lancèrent des pierres sur le temple de la Ka’ba, qui fut endommagé ; mais il ne réussit point à se rendre maître de la ville. Un jour, une pierre lancée par les balistes ayant frappé le temple, le soleil s’obscurcit. Les troupes de ‘Haddjâdj, effrayées par ce phénomène, demandèrent que les balistes fussent retirées ; mais ‘Haddjâdj leur dit : « Ne craignez rien; car nous sommes dans notre droit, et ceux-là sont dans leur tort » ; il tira lui-même la corde de la machine, et força par des menaces les soldats à continuer l’attaque.
Huit mois se passèrent ainsi, et les gens de la Mecque souffraient du manque de vivres. Enfin une partie d’entre eux s’enfuirent à Médine, d’autres se rendirent auprès de Haddjâdj, qui leur accorda l’amnistie. Haddjâdj, sachant ‘Abdallah abandonné de tous ses soldats, lui envoya un message et lui fit dire : « Ne cours pas à ta perte; viens chercher l’amnistie; je t’accorderai tout ce que tu demanderas; car je sais que tu n’as plus de soldats ». ‘Abdallah lui répondit : « Quelle est ton autorité, et quel est ton pouvoir, pour que je doive te demander l’amnistie ? Je ne veux que l’amnistie de Dieu ! » Haddjâdj comprit qu’il cherchait la mort, et il donna l’ordre de pousser le siège avec plus de rigueur, de sorte qu’à la fin il ne resta avec ‘Abdallah que cinq combattants.
La mère d’Abdallah était Asmâ, fille d’Abou Bakr, femme fort avancée en âge et aussi distinguée par son expérience que par sa sagesse. C’est suivant son conseil qu »Abdallah agissait en toute chose. Il alla donc la trouver et lui dit : « Mère, tout le monde m’a quitté; on a agi envers moi comme on avait agi envers ‘Hosaïn, fils d »Ali, avec cette différence que les fils de ‘Hosaïn ont combattu jusqu’à leur dernier souffle, tandis que deux de mes fils m’ont abandonné et ont accepté l’amnistie de ce misérable. Maintenant ‘Haddjâdj me fait dire qu’il m’accorderait tout ce que je demanderais, si je voulais me rendre à lui. Qu’en penses-tu ? »
Asmâ, fille d’Abou Bakr lui dit : « Mon fils, si tu as la conscience d’avoir été dans ton droit, ne te livre pas entre les mains des Beni-Oumayya. Puis n’est-il pas certain que, quelle que soit la puissance qui te resterait, il faudra mourir un jour ? Je pense donc que tu continues la lutte ; au moins n’auras-tu pas courbé la tête sous la honte, et tu seras mort honorablement. »
‘Abdallah répliqua : « Ma mère, tel est aussi mon sentiment, et j’ai eu le dessein d’agir comme tu viens de le dire; mais j’ai désiré te l’annoncer et prendre congé de toi ; car je veux me faire tuer. Ma mère, j’ai toujours suivi la voie de la justice, je n’ai jamais agi injustement et je n’ai jamais fait tort à personne. Je me suis appliqué à servir Dieu, et en toute chose j’ai observé sa volonté. Dieu est témoin de mes actions et de mes paroles. » ‘Abdallah embrassa sa mère et sortit.
Il se rendit à la Ka’ba et passa toute la nuit dans la prière. Puis, après avoir accompli la prière de l’aurore avec ceux qui étaient restés auprès de lui, ils prirent leurs armes et allèrent combattre. Chaque fois qu’il chargeait l’ennemi, ‘Abdallah récita des vers, entre autres celui-ci : « Si j’avais des forces et des compagnons, je saurais bien vous punir ! » Il lutta ainsi jusqu’à l’heure de la prière du matin. Après avoir accompli cette prière et s’être reposé pendant un moment, il se jeta de nouveau sur les ennemis et les repoussa jusqu’à la porte de Çafà ; mais il fut atteint à la tête par une pierre lancée du haut de la montagne, et il tomba ; les soldats l’entourèrent, hachèrent son corps avec leurs sabres et lui coupèrent la tête, qu’ils suspendirent à la gouttière de la Kaaba. Haddjâdj fit son entrée dans la ville, et reçut le serment des habitants au nom d’AbdoulMélik. Ensuite, après avoir laissé Târiq comme gouverneur de la ville, il se rendit à Koufa, et il en prit le gouvernement. Le gouvernement de l’empire appartenait maintenant à ‘AbdoulMélik, sans qu’il lui restât un seul compétiteur.
Tabari
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