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mardi 14 mai 2024

La notion d’excommunication chez Ghazali et Ibn Taymiyya : le procès d’al-Hallaj 3/3

Dernière partie de l’article de Nordine Aissou consacré à l’étude de la notion d’excommunication chez Ghazali et Ibn Taymiyya. L’auteur décortique cette fois le procès d’al-Hallaj vu par Ibn Taymiyya, mettant en valeur, au terme d’une analyse critique, les faiblesses de l’argumentation du célèbre Damascène. Nordine Aïssou est diplômé en théologie et en droit en langue arabe à l’Institut européen des sciences humaines, et auteur d’une recherche sur le principe de pénibilité en droit.

Hallāj jugé en 309/922 ne jouit pour Ibn Taymiyya d’aucune excuse, d’aucune interprétation pouvant le délier du jugement d’anathème.

La fatwa est précédée par un ensemble de questions qui laisse transpirer rigueur et obstination. Elles débordent la personne de Hallaj pour s’étendre plus particulièrement à tous ceux qui accorde crédit à ses thèses.

Ces questions se veulent d’après nous, être une sorte de préambule avant la débâcle, destinées à aiguiller le mufti, et pourquoi pas in fine à l’orienter.

Voici le préambule de la fatwa :

« Que disent les maîtres de l’Islam sur Hallāj ? Concernant celui qui dit : « je suis convaincu par ce quoi est convaincu Hallāj (le monisme particulier), qu’incombe-t-il à ce dernier ? Et s’il dit : « Il a été tué injustement comme ont été tués les prophètes ou qu’il dise encore :

« Hallāj est un proche de Dieu (un intime), qu’incombe-t-il à celui-là pour ce propos, enfin est ce que Hallāj a été tué par l’épée de la législation (en somme légitimement) ? » 1

Et la réponse liminaire d’Ibn Taymiyya :

« Hallaj fut tué pour hétérodoxie 2, laquelle fut établie contre lui en vertu de ses aveux et d’autres choses que ses aveux. L’affaire qui fut établie contre lui était de nature à rendre obligatoire son exécution 3 : il y a là-dessus accord (ittifāq) des Musulmans. »

Pour Ibn Taymiyya, qui adopte les propos tenus par Hallāj est incrédule, un apostat d’après le consensus des musulmans.

Ibn Taymiyya et la condamnation du monisme 

Toujours selon lui, Hallāj est un hérétique car ses propos « anā-lhaqq » (« Je suis la Vérité », référence au nom divin et à la Divinité elle-même, ndlr), se définissent comme une forme particulière de monisme (al hulūl al khāss p.189), relèvent de la mécréance à l’instar de la position de Jésus chez les chrétiens, ou de ‘Ali chez certains courants chiites extrémistes (nusayris).

Retrouvez la 1ere partie de cet article 

Pour Ibn Taymiyya, les adeptes de ce type de propos sont à l’image de ceux qui suivront l’Antéchrist, émerveillés et subjugués par ses « miracles ».

Pour lui, point de divergence parmi les « gens de la communauté » ; celui qui croit à « l’infusion et l’union (hulūl wa ittihād) » et sur le fait que l’homme est un Dieu, cet individu-là est un apostat dont le sang peut être versé.

Le fait qu’un certain nombre de soufis ont banni Hallaj, notamment al Qushayri, et qu’à sa connaissance, aucun maître éponyme qu’il fasse parti des doctes ou des maîtres spirituels, n’a fait l’éloge de Hallaj, est rappelé dans la plupart des fatwas émises sur cette question, comme pour marquer le fait qu’une forme de consensus existait dans les confréries soufies, ce qui reste à démontrer.

Quant à l’homme qui a perdu sa raison par amour ou par ivresse et qui tient des propos similaires à ceux de Hallaj, il n’est pas justiciable, et est donc excusable.

Illustration de l’exécution d’al-Hallaj.

Ce qui n’est pas le cas d’al Hallaj qui aurait reconnu et maintenu sa position dans des écrits ou à voix haute, autrement dit selon lui, dans un état de sobriété.

Telle est la position d’Ibn Taymiyya.

Concernant les propos tenus par al-Hallaj comme la locution « Anal Haqq », ils sont bien attestés et reconnus historiquement. La question étant de savoir ce qu’expriment ces locutions théopatiques, dans quel état spirituel et psychique furent-ils prononcés, et si al-Hallaj était bien en possession de toute sa raison.

A propos des écrits d’al Hallaj, il n’est pas possible d’en inférer un argument décisif sur la non ivresse de son auteur, ces écrits ayant pu tout a fait être rédigés sous l’effet d’une ivresse prolongée et ravivée par le fait d’en témoigner.

D’autres accusations portées contre al-Hallaj durant son procès sont reprises par Ibn Taymiyya.

Parmi elles, citons le fait d’avoir autorisé la pratique d’un pèlerinage à domicile en compensation du Hajj et celui d’avoir déclaré : « Je serais capable de pouvoir rédiger quelque chose de pareil à ce Coran » ou tint des propos de cette sorte » 4.

On remarquera que la première accusation relève tout au plus de l’innovation religieuse (bid’a) qui n’est pas passible de sanction pénale, et non de l’hétérodoxie.

Quant aux propos sur le Coran, il n’est pas établi qu’ils aient fait l’objet de plusieurs témoins, ce qui ne permet pas d’écarter la possibilité d’une erreur ou d’une exagération.

L’absence de consensus strict sur Hallaj

Ibn Taymiyya niera tous les phénomènes miraculeux attribués à Hallāj et optera pour une sorcellerie apprise et même enseignée. Selon le Damascène, al-Hallaj se serait même rendu coupables de pratiques de sorcellerie et d’états psychiques d’ordre satanique. Un ouvrage de magie lui serait attribué.

Le fait qu’un certain nombre de soufis ont banni Hallāj, notamment al Qushayri, et qu’à sa connaissance, aucun maître éponyme qu’il fasse parti des doctes ou des maîtres spirituels, n’a fait l’éloge de Hallāj, est rappelé dans la plupart des fatwas émises sur cette question (à savoir quatre avis juridiques, ndlr) comme pour marquer le fait qu’une forme de consensus (ijma’) existait dans les confréries soufies, ce qui reste à démontrer 5.

Quant à ceux qui pensent que Hallāj est un saint, ils ne connaissent rien de cette affaire.

Sur les états mystiques, la position d’Ibn Taymiyya n’est pas de les nier mais d’ajouter qu’il n’est pas concevable qu’un Ami de Dieu (wali) profère des blasphèmes ou des propos hérétiques comme l’incarnation divine (al hulūl al khāss).

Ibn Taymiyya poursuivra en réfutant le fait que les personnes exécutées pour hétérodoxie étaient à rapprocher du cas des martyrs parmi les Prophètes et les saints, énumérant à ce sujet un certain nombre de personnes exécutés sous l’épée de la Loi, tels Jahm ibn safwān, Ja’d ibn dirhām et d’autres.

Mais selon lui, il y a une distinction à faire entre les prophètes et les compagnons du Prophète qui ont été tués injustement et « ces hérétiques » qui sur la base du consensus des savants furent passibles de cette sentence.

Nous nous contenterons de dire à ce propos que l’analogie faite par Ibn Taymiyyah n’est pas probante et qu’elle relève du cas d’espèce de l’analogie shabah (dite comparable) qui est en droit (fiqh) le degré le plus faible de l’analogie, chaque nom cité ayant fait l’objet d’une condamnation pour des motivations différentes, dans des contextes différents.

En conclusion, poursuit le mufti damascène, l’avis que porte sur lui-même chaque individu ou chaque groupe se considérant sur le droit chemin ne saurait être admis, dès lors que le Livre, la tradition prophétique ainsi que l’unanimité des savants convergent pour déclarer ces individus comme s’étant fourvoyés.

Si malgré tout Dieu a daigné agréer le repentir de Hallāj, cela lui sera bénéfique sur le plan eschatologique mais indifférent pour son présent, selon l’avis de plusieurs savants auxquels Ibn Taymiyya se réfère dans cet avis.

La machine théologico-judiciaire 

Fatwas terribles que propose Ibn Taymiyya qui argumente par élimination, en faisant l’impasse complète sur une éventuelle interprétation allégorique comme a pu le supposer al Ghazālī.

Ibn Taymiyya quadrille de manière implacable la consultation juridique de sorte que les tenant et aboutissant de la question soient traités.

Les analogies pour convaincre l’auditoire ne manque pas, et la possibilité d’autres éventualités telle que la sainteté est écartée.

Le consensus des oulémas pour lier le canonique au spirituel devient un rempart solide, et l’accusation de sorcellerie embellit et enjolive l’idée pénétrante de l’hérésie de Hallaj.

Nous supposons que ce qui anime Ibn Taymiyya à ce moment-là est la peur de se voir contredire dans son propre système de références et de valeurs. La volonté de préserver son système interprétatif de toute faille mystique susceptible de le remettre en cause a très probablement jouer un rôle psychologique dans son acharnement contre al-Hallaj.

Dans ce vaste arsenal fondé sur la solide armature de la Parole de Dieu, du Prophète et du consensus, par laquelle toutes les failles juridiques du droit canon restent inopérantes, aucun plaidoyer ne saurait contrecarrer la machine théologico-judiciaire.

Cette mécanique réductrice administrant une preuve à caractère général s’est montrée dénuée d’attention à l’égard de l’état psychique et mystique de Hallāj qui a fini flagellé, mortifié, amputé, ayant marché sur ses moignons en faisant dix-neuf pas avant d’être crucifié et décapité, sous le regard impitoyable d’une foule hystérique qui avait réclamé sa mort. Sa dépouille sera brûlée.

Les avis d’Ibn Taymiyya sont prononcés au nom d’une Loi réinterprétée, se voulant au quotidien, de par l’effort intellectuel investi, être une recherche d’un modèle d’obéissance à Dieu.

Ce qui précisément ne lui octroie pas la qualité de perfection puisqu’Ibn Taymiyya ne cessera tout au long de sa carrière de mufti, de réviser des avis dans le domaine de la théodicée, du droit ou de la politique.

Malgré tout, ses fatwas sont bien entendu à replacer dans le contexte du moyen-âge.

Elles s’appuient à ce titre sur deux piliers : la position théologique sur le repentir de l’apostat (zindiq) et la conception orthodoxe des états mystiques.

Sur le premier point, Ibn Taymiyya adopte la position la plus intransigeante, celle du non pardon et du refus du repentir de l’apostat. Un avis qu’il reprend notamment de l’école de Malik et d’Ibn Hanbal.

Il est à noter qu’Ibn Taymiyya mentionne le repentir d’al Hallaj dans certaines de ses fatwas mais soulève des doutes sur la réalité de ce repentir dans d’autres, affirmant qu’il y a équivoque là-dessus.

L’étonnant commentaire du crédo de Hallaj

Sur les états mystiques, la position d’Ibn Taymiyya n’est pas de les nier mais d’ajouter qu’il n’est pas concevable qu’un Ami de Dieu (wali) profère des blasphèmes ou des propos hérétiques comme l’incarnation divine (al hulūl al khāss).

Il reprend sur ce point la distinction entre soufisme orthodoxe et hétérodoxe que l’on retrouve déjà chez Al Ghazali.

Retrouvez la 2e partie de cet article 

Ajoutons qu’il existe un commentaire (al istiqama) d’Ibn Taymiyya d’un crédo attribué à al-Hallaj dans lequel le Damascène évalue les affirmations théologiques de son auteur en les qualifiant de vrai, fausse, équivoque ou relevant de la locution mystique.

Ce texte est étonnant dans la mesure où Ibn Taymiyya l’utilise pour réfuter la thèse de « l’infusion et l’union (hulūl wa ittihād) », sans pourtant jamais faire référence à l’accusation dont al-Hallaj sera lui-même l’objet.

Dans ces fatwas la modestie et l’humilité sont sublimées, l’allégorie des traditions prophétiques ou coraniques n’ont été d’aucune utilité 5.

En réalité, nous supposons que ce qui anime Ibn Taymiyya à ce moment-là est la peur de se voir contredire dans son propre système de références et de valeurs.

La volonté de préserver son système interprétatif de toute faille mystique susceptible de le remettre en cause a très probablement jouer un rôle psychologique dans son acharnement contre al-Hallaj.

Le rapport d’Ibn Taimiyya à loi divine est imbu de la lettre et son caractère opiniâtre lui inspire une conception pernicieuse de la justice. Une conception dénuée de clémence sur le cas d’al Hallaj.

Des interrogations subsistent

D’autres questions se posent. Pourquoi ne pas avoir mentionné de hadīths clairs et sans équivoques justifiant la possible exécution de Hallāj, alors que notre mufti est un spécialiste de ce domaine ?

Depuis quand l’islam a-t-il autorisé la pratique de la torture, de l’amputation et de l’incinération d’individus quelconque en raison de leurs idées, de leurs pratiques ou de leurs croyances ? 6

Pourquoi alors ne pas avoir aussi excommunié al Ghazālī qui a dans sa période de retraite, été en proie à l’interrogation et au scepticisme sur sa raison et même sur le sensible, étant donné que le doute a pu aussi effleuré sa foi ?

On ne saurait trop louer la prudence éclairée de certains maîtres éponymes tels que Muhammad ibn Idrīss Chafi’i qui disait :

« Ray ī sawāb yahtamilu al khațā, wa ray ghairi ī khațā yahtamilu sawāb », « mon avis soutient une exactitude non dénuée d’erreur et l’avis d’autrui contient une erreur non dénué d’exactitude », prudence qui ne figure pas un tant soit peu dans la doctrine d’Ibn Taimiyya, ou du moins dans les fatwas que nous avons mentionnées.

A la lecture de différents ouvrages d’Ibn Taymiyya, nous remarquons que toute action ou propos apparentés à une forme de concurrence au Prophète de l’Islam l’ont conduit à un rejet violent de leurs auteurs et l’ont pratiquement plongé dans un état de jalousie particulièrement intense.

La nature de Dieu est à ses yeux suffisamment exprimée par le Coran pour avoir besoin de scolastique, le droit est renvoyé en grande partie à la tradition prophétique et à ceux qui sont proches de cette période.

Ainsi, certains avis juridiques sont à rejeter, la spiritualité se trouve tout entière dans la personne de Muhammad, toute tendance mystique exagérée devant à ce titre être condamnée.

D’après Henri Laoust, les raisons qui ont pu amener Ibn Taymiyya à user de l’excommunication sont à mettre en lien avec « l’État (qui) ne s’acquitte que fort imparfaitement de ses fonctions canoniques … Il méconnaît jusqu’à ses devoirs moraux et fait de l’ivrognerie et de la prostitution un élément de sa fiscalité. Le régalisme de ce système social et politique fait de l’Etat mamlūk un organisme colonial qui n’a d’autre fin que la domination, d’autre méthode que l’exploitation ». 7

La déstabilisation au niveau politique du gouvernement, notamment par l’entrée dévastatrice des Mongols à Bagdad, par la rébellion des ismaéliens au Nord de la Syrie ainsi que les diverses résistances, sans oublier sa franchise acerbe, conduisirent Ibn Taymiyya, nous le croyons, à une certaine fermeture, dans un but ultime et similaire à celui d’al Ghazālī, à savoir, la défense du sunnisme face au courant chiite qui attribue à l’imam l’infaillibilité (al ‘isma) par le biais d’une théophanie.

Remettre en lumière la tolérance du Coran

Ainsi, bien que nos deux auteurs se rejoignent dans leurs démarches de structuration de la pensée musulmane, ils diffèrent cependant fondamentalement dans leur approche.

Al Ghazali reste plus nuancé, plus méthodique, tout en étant conscient que sa définition était trop basique et dans une certaine mesure inadaptée à l’évolution des différentes pensées et doctrines.

Sa volonté d’élargir le cercle de la communauté et d’étouffer l’excommunication dans une théorie difficilement applicable par respect du principe sacré de la jama’a (groupe) reste à ses yeux primordial et le distingue d’Ibn Taymiyya, en dépit du fait que certaines positions d’Al Ghazalī  étaient identiques ou similaires..

Tandis qu’Ibn Taymiyya, inspiré par la volonté de prémunir de la déviance la communauté musulmane, s’accrochera à la littéralité du texte, malgré sa polysémie et nous pouvons même dire sa sémiologie, éléments qui n’ont pas suffi à le dissuader de ses jugements radicaux sur les philosophes musulmans, dont le célèbre Averroès faisait partie, ou sur la figure mystique de Husayn Ibn Mansūr al Hallāj.

Nous n’oublions pas qu’Ibn Taymiyya n’a cessé de lutter pour un idéal viable et adapté aux circonstances de son temps, comme le dira le professeur Laoust :

« En bon hanbalite, il a porté plus haut qu’on ne l’avait jamais fait avant lui le culte mystique de la révélation et de la tradition scripturaire et il a poussé, en ses ultimes conséquences, le dogme de l’infaillibilité du Prophète, comme rarement l’avait fait avant lui les écoles dissidentes du Sunnisme… Sa sociologie a voulu concilier le sens traditionnel de la solidarité inter-islamique et les particularismes régionaux qui, depuis longtemps avaient abouti au cloisonnement politique et géographique de la communauté 8. »

Nous conclurons cet article par l’émission d’un vœu. Que l’antique tolérance présente dans certains passages du Coran (voir début de la surat al mumtahanna « l’examinante » qui selon la tradition a été révélée suite à la trahison d’un compagnon du Prophète, Hātib ibn Abī Balta’a, ainsi que la sourate « les appartements » et d’autres encore), et dans la vision majoritaire du sunnisme soit de nouveau mise en lumière, afin d’éclairer certains esprits étriqués, qui par une connaissance fragile des textes et de l’histoire du monde musulman, s’érigent en vaillant défenseurs de la religion où Dieu est accaparé, et où le Coran et la tradition prophétique se retrouvent vidés de leurs sens et de leurs objectifs principaux, à savoir une adoration qui promeut un équilibre entre le corps et l’âme humaine ainsi qu’un respect de sa liberté de conscience et une clémence indélébile pour l’ensemble des créatures, comme l’a si bien exprimé l’imām Fakhr- D-Dīn Rāzī lorsqu’il définissait l’adoration : « al ‘ubūdiya  huwa ta’dzīm amri llah wa chafaqatu bi-l-khalq», « l’adoration c’est la vénération de Dieu et la compassion pour la création ».

Nordine Aissou

Notes :

1-Question telle qu’elle est formulée dans le tome I de l’édition complète des fatawas d’Ibn Taymiyya, Ibn Taimiyya, Taķī-D-Dīn al Harrānī, Majmū’at al fatāwas, Dār ibn hazm et Dār el wafā, quatrième édition, 2011, Beyrouth.

2-Voir Majmu’ al fatawah, Ibn Taymiyya, tome XXXV. P 108-119.

3- Il convient de distinguer plusieurs questions qui ne peuvent être traitées dans le cadre de la troisième partie de cet article qui est consacrée à la position d’Ibn Taymiyya sur l’excommunication à travers le cas de figure d’al-Hallaj.

Parmi ces questions se trouve celle de la définition de l’apostat (murtad) qui est à distinguer du statut de l’hérétique (zindiq) et la question du traitement pénal dont ces statuts relèvent ou non selon les sources islamiques (Coran et sunna) et selon leurs interprétations par les docteurs de la loi (fuqhahas).

Il est néanmoins indispensable de préciser que ces questions restent d’actualité et de souligner que pour l’auteur de cet article, la redéfinition et la révision des avis relatifs à l’exécution et la peine de mort sont une évidence.

Nous nous contenterons de mentionner le fait que le Coran ne dit nulle part qu’une sanction n’est prévu ici-bas contre les dénégateurs, les apostats ou les hérétiques de l’islam, a fortiori la peine de mort.

Quant au célèbre hadith sur l’exécution de l’apostat, il fait l’objet de la part des spécialistes de plusieurs critiques, soit sur le sens à porter au terme de murtad (ennemi déclaré plutôt qu’apostat pacifique et avéré), soit sur l’existence d’autres hadiths mentionnant le fait qu’un individu a demandé au Prophète de le libérer de son serment d’allégeance à l’islam et que ce dernier y a concédé.

Ces seules références mériteraient une révision des positions des partisans de la peine de mort et en ce qui nous concernent plaident pour une politique active en faveur de la liberté de conscience, les troubles publics sur des questions relatives aux idées en général ou à la foi et à la croyance religieuse en particulier pouvant être gérée autrement, par la discussion ou le débat, à l’instar de ce que préconisent maints versets du Coran.

4- Selon le témoignage de ‘Uthman al Makki, traditionniste, élève de Bukhari et ancien maître d’al-Hallaj. Voir Massignon, Louis, La passion de Husayn Ibn Mansūr Hallāj, étude d’histoire religieuse, Gallimard, 1975.

5-Le contraire serait même vrai. Massignon énumère plusieurs avis de savants de l’islam exprimant des positions tout à fait différentes soit sur la doctrine de l’union, soit sur la personne d’al-Hallaj ou sur le jugement porté contre lui. Parmi eux, citons entres autres, Ibn ‘Arabi, Al Baqillani, Tawfī, Ibn Hajar al ‘Asqalani et al Haythamī. Ces exemples brisent à eux seuls le consensus (ijma’) contre al-Hallaj, soutenu par Ibn Taymiyya, ibid,  Massignon Louis, p.51,52,58,59,60, tome 2.

5- Ibn Taymiyyah est adepte d’un littéralisme fort qui, à ce titre, nie tout sens figuré. Cette position intenable finit par le mener vers des contradictions et le conduit même à une auto-réfutation de ses thèses littéralistes.

Qu’on songe au célèbre hadith qudsi (parole divine inspirée au Prophète) où Dieu fait l’éloge de ses adorateurs qui ne cessent de se rapprocher de Lui au point qu’Il devient les yeux avec lesquels ils voient, les oreilles avec lesquelles ils entendent, etc.

Pris à la lettre, ce hadith qudsi serait de nature à alimenter la thèse d’al hulūl al khāss (union et infusion divine) qu’Ibn Taymiyyah rejette précisément.

6-On nous rétorquera que le Coran mentionne l’amputation des membres, à ceci près que cette mention concerne les bandits de grands chemin qui se rendaient coupable non seulement de vol mais encore de violence, de truanderie et parfois même de meurtre, ce qui est, convenons-en, très loin des propos d’amour tenus par al-Hallaj.

7- Laoust Henri, Thèse de doctorat, Essai sur les doctrines sociales et politiques de Taķī-D-Dīn Ahmad B.Taimīya, pages 68-69, imprimerie de l’institut français d’archéologie orientale, le Caire, 1939.

8- ibid, page 578.

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