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mercredi 22 mai 2024

La tentation d’un soufisme New âge

Culte de l’émotion, recentrage sur l’individu, rejet de l’initiation… Certaines expressions du soufisme contemporain semblent flirter avec les usages les plus représentatifs de la tendance du New âge. Que faut-il en penser ? C’est le thème de la dernière chronique de Melchi Sédech al Mahi sur Mizane.info.

Il y a une rhétorique très gênante dans certains discours concernant la nature du Taçawuf.

On s’aperçoit en effet qu’à certaines notions traditionnelles connues et reconnues comme la notion « d’élite » et « d’élite de l’élite », de « gens du commun » de « sciences de l’intérieur » et « science de l’extérieur », que chacun peut lire et observer dans toutes les traductions en langues occidentales d’autorités spirituelles authentiques mais aussi pour les arabisants directement dans les sources originales, sont substituées d’autres notions utilisées par le développement personnel et l’égalitarisme démocratique.

Le paradoxe c’est que l’on prétend que les premières notions seraient issues du gnosticisme chrétien (qui a été une doctrine hétérodoxe bien particulière) et toutes sortes d’occultismes en ne distinguant rien de tout ce qui a précédé la forme islamique et que les secondes très usitées dans le monde contemporain seraient en revanche purement orthodoxes.

Outre une volonté d’adaptation sans doute inappropriée, on reconnait ici malheureusement le penchant de l’exotérisme à ne reconnaître que l’historicité du message prophétique au détriment de son caractère universel, mais c’est un point que nous ne développerons pas ici.

Le plus symptomatique de ce genre de plaidoirie est le rejet de termes comme « ésotérisme » et « initiation », alors que ces mots correspondent parfaitement, étymologiquement, à l’idée qu’ils entendent signifier.

L’argument principal consiste en une critique visant ceux qui, en adoptant ces conceptions, seraient incapables d’une sincère réforme comportementale, morale et sociale au profit d’un but suprahumain supposé détaché de l’environnement direct de l’individu car résultant d’une arrogance intellectuelle et d’une quête illusoire vers ce qui dépasserait l’humanité en tant que telle.

Osons penser notre destinée spirituelle au-delà d’une politesse mondaine que les classes sociales bourgeoises ont parfaitement acquise sans pour autant avoir de modèle prophétique, osons donc la quête de l’être supérieur, supérieur à notre petit ego, osons la quête de ne plus être par nous-même. Osons dans ce sens bien compris le « suprahumains ».

Bien qu’il serait judicieux de se demander de quel égoïsme pourrait faire preuve celui qui cherche réellement à s’affranchir de son individualité, nous pouvons concevoir, du fait de l’incompréhension commune, ce que cherche à prévenir ce genre de rhétorique, à savoir un « intellectualisme pédant » qui serait aux antipodes de l’expérience gustative de toute spiritualité authentique et il vrai, soyons honnête, que ce danger existe ( soulignons que c’est la disparition du « goût » qui rend nécessaire l’exposition théorique de la doctrine, le but étant de mieux retrouver celui-ci et non de se satisfaire de celle-là ).

A lire du même auteur : Réflexions sur l’identité musulmane

Par-contre nous pensons que les « outils » utilisés pour prévenir cet obstacle potentiel sont bien plus dangereux que ce pourquoi on les utilise.

Il est évident que la dimension morale et éthique dépend de l’élévation intérieure et de la dimension initiatique d’une manière ou d’une autre sinon la spiritualité ne serait que de la charité profane, la transformation intérieure qui aura un impact sur l’environnement immédiat se fait par le truchement d’influences non strictement humaines ; mais là encore sur tout cela on ne peut que renvoyer aux autorités reconnues afin de mieux appréhender la notion d’élite ainsi que la relation entre exotérisme et ésotérisme en Islam, on fera simplement remarquer qu’un maître comme Al Ghazali lorsqu’il entend parler des sciences du comportement en s’adressant au commun ne nie pas pour autant les sciences du dévoilement qu’il ne souhaite simplement pas aborder outre mesure par crainte d’une probable incompréhension du commun des croyants.

L’élite intellectuelle au sens guénonien est la même que celle d’Al Ghazali et des autres chuyukhs, ceci n’a rien à voir avec une pseudo-élite de philosophe universitaire ! Laissez entendre cela relève soit de l’ignorance soit de la malhonnêteté.

Soyons donc circonspect et respectueux des maîtres qui nous ont précédé. Les termes utilisés par Guénon pour exposer les doctrines orientales ont été choisis minutieusement pour des raisons bien précises ; il serait vain ici d’approfondir la question, on peut dire toutefois qu’il a notamment souhaiter déconstruire les mentalités du marasme « humaniste » dans et par lequel s’est fourvoyé l’Occident depuis plusieurs siècles, marasme qui rend impossible toute véritable spiritualité, puisque cela consiste en deux mots en une conception réduite de la nature humaine et de l’univers manifesté et donc des liens entre l’homme et Dieu.

Le caractère essentiel de la modernité est en effet la négation de toute transcendance, de tout dépassement de l’idée que l’homme moderne se fait de lui-même, de telle sorte qu’il refuse par principe l’idée de Dieu sinon en le réduisant à ce à quoi il a accès directement, c’est-à-dire lui-même et rien d’autre que lui, ainsi « l’homme accompli » moderne s’auto-proclame souverain et ne souhaite se développer que dans la mesure où ses facultés immédiates le lui permettent.

Est-ce là la conception du Taçawuf ? Que signifie donc el-ârif bi’Llah, le connaissant par Dieu… Dieu n’est-il pas supérieur à l’homme individuel ?

Nous ne comprenons pas certaines attaques injustifiées, les intentions peuvent ne pas être mauvaises mais nous croyons que certains ne s’imaginent pas vraiment les conséquences consistant à cautionner d’une manière ou d’une autre toutes les idées qui ont rendu l’Occident incapable de concevoir certaines choses au point de considérer ceux qui malgré tout conservent leur foi comme de doux rêveurs naïfs et sentimentaux.

Face à cela, faut-il démontrer que la religion est autre chose de beaucoup plus qualitatif ou au contraire faut-il cautionner le coté réducteur qui a fait fuir des milliers d’âmes vers le rationalisme ou vers les rêveries New âge, faut-il clarifier ou rendre ambiguë et confus ?

Nous ne parlons pas des individus qui peuvent toujours être touché par la grâce mais de l’orientation d’une société.

Nous rappelons sans pouvoir malheureusement développer que ce réductionnisme nous conduit actuellement au transhumanisme, c’est-à-dire à une chute qui est proportionnelle à l’idée que nous nous faisons de nous-même, après avoir réduit Dieu à l’homme, nous réduisons l’homme aux animaux et aux machines non pas selon la réalité de leur nature mais toujours selon la conception toujours plus réduite que nous en avons.

Alors oui osons penser notre destinée spirituelle au-delà d’une politesse mondaine que les classes sociales bourgeoises ont parfaitement acquise sans pour autant avoir de modèle prophétique, osons donc la quête de l’être supérieur, supérieur à notre petit ego, osons la quête de ne plus être par nous-même…

Osons dans ce sens bien compris le « suprahumains ».

Melchi Sédech al Mahi

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