En avril 2018, 300 personnes signaient un manifeste dénonçant l’antisémitisme prétendu de versets du Coran. Trois théologiens musulmans avaient répondu et réfuté cette fausse allégation comme étant sans fondement. Aujourd’hui, la même antienne est reprise sans discernement par Michel Onfray et Eric Zemmour. Mizane.info republie à cette occasion quelques extraits de l’argumentaire de Tareq Oubrou, Tarik Abou Nour et Mohamed Bajrafil.
Tarik Abou Nour : « Les juifs ont vécu en paix avec les musulmans pendant des siècles »
Tarik Abou Nour est théologien, spécialiste en droit malikite et en finance islamique, et l’auteur du « Guide du musulman ».
« J’aimerais bien savoir quels sont ces versets qui appellent au meurtre. En tant que théologien connaissant bien le Coran, je ne vois pas quels sont ces versets. Ensuite, Vatican II n’a pas frappé d’obsolescence ni la Torah, ni l’Evangile.
Il a seulement développé une autre exégèse, une interprétation contextuelle de textes millénaires. J’en ai discuté avec des rabbins libéraux qui me disent eux-mêmes qu’il n’est pas question de changer un point de la Torah.
Ces rabbins sont soucieux de sauvegarder, de préserver les textes tels qu’ils sont. Il est hors de question pour eux comme pour tout religieux de changer ces textes ou de les frapper d’obsolescence pour faire plaisir à des politiciens ou des intellectuels.
Un travail exégétique des textes religieux a été fait par des juifs, chrétiens et musulmans. Les juifs séfarades ont vécu en paix avec les musulmans pendant des siècles. Ils n’ont jamais été tués. Si le Coran incitait les musulmans à le faire, l’histoire aurait été différente.
Le terme d’épuration ethnique a été utilisé. C’est un terme très fort. Sous la période de l’Empire abbasside ou ottoman, cela n’a jamais été fait. Sous l’Empire ottoman, des vizirs juifs ont même gouvernés. Même chose en Andalousie. Le Coran n’appelle jamais au meurtre. Une religion ne peut pas appeler au meurtre.
Il s’agit d’une idéologie wahhabite qui est la matrice d’où est née Al Qaida, Daesh, qui appelle au meurtre non pas au nom d’une théologie mais d’une idéologie. C’est une idéologie meurtrière comme l’a été l’idéologie de l’Inquisition, de Slobodan Milosevic en Bosnie-Herzégovine ou de Georges Bush en Irak.
Aucun spécialiste sérieux ne pourrait expliquer ces crimes par des analyses théologiques. Les sources du terrorisme sont tout autant liées à cette idéologie qu’elles le sont de la politique britannique au Moyen-Orient au 19e/20e siècle, du conflit israélo-palestinien depuis 1948, etc.
Aujourd’hui, il y a une vague autour de cette idée d’un antisémitisme musulman. Beaucoup surfent dessus. Je suis contre l’antisémitisme qui vise les juifs comme les musulmans. En tant qu’humains, nous sommes tous égaux par nature devant la loi et devant Dieu. »
Tareq Oubrou : « Dire que l’antisémitisme tire sa source du Coran est une ineptie »
Tareq Oubrou est l’imam de la mosquée de Bordeaux, théologien, écrivain et auteur de plusieurs ouvrages. Citons « Profession imam », « Ce que vous ne savez pas sur l’islam », « La féministe et l’imam », etc.
« L’appel au meurtre n’existe pas dans le Coran. Il existe un appel au combat. Le qital (combat) n’est pas le qatl (meurtre). Il y a un travail de traduction et d’interprétation à faire, à supposer que les gens ont lu le Coran directement. Il y a ce qu’on appelle la pragmatique des langages.
Cela signifie que le sens du mot dans le Coran se déplace en fonction de son usage, du contexte scripturaire et du contexte historique. Sans globalité du Texte et de l’histoire, on ne peut pas saisir le sens.
Il s’agit de combat et non de meurtre, et il ne s’agit pas de combat contre le juif parce que juif mais de combat juste contre des individus hostiles dans un contexte donné. Le djihad coranique, dans le sens de combat, est un djihad défensif. Tel est le paradigme qui doit orienter notre lecture du Texte.
Le combat ne vise pas un individu parce qu’incroyant, ou juif, mais pour des actes d’injustices commis. Dans le Coran, il y a même dans un passage la notion de combat contre des musulmans qui ont été injustes à un moment donné.
Une idée s’installe de plus en plus dans la société et les milieux intellectuels : la transposition de l’ancien antisémitisme catholique chez les musulmans. Il y a un antisémitisme chez certains musulmans, mais dire que l’idéologie de l’antisémitisme tire sa source du Coran est une ineptie.
L’antisémitisme comme le terrorisme s’expliquent par beaucoup de facteurs : l’exclusion, le sentiment d’injustice, etc. Il est demandé aux musulmans de condamner l’injustice commise dans le monde musulman mais il n’est jamais demandé aux autorités juives de condamner la politique d’Israël, ce qui augmente les frustrations.
N’oublions pas que nous parlons d’une infime minorité d’individus mais ce sont les minorités qui font l’histoire. Nous sommes pris en otage par des personnes qui n’arrivent pas à contrôler leur sentiment d’injustice. »
Mohamed Bajrafil : « Aucun verset du Coran n’appelle à tuer le juif parce que juif »
Mohamed Bajrafil est secrétaire général du Conseil Théologique Musulman de France, chercheur associé au Laboratoire de Linguistique Formelle (Université Paris Diderot-CNRS) et imam à la mosquée d’Ivry-Sur-Seine. Il est l’auteur du livre « L’attestation de foi. La shahada », aux éditions Albouraq.
« Ce dont sont victimes les juifs n’est nullement différent que ce dont sont victimes les musulmans dans le monde. L’idéologie qui assassine des gens parce que juifs est la même que celle qui a tué 300 personnes dans une mosquée en Egypte, parce que soufies.
Pour ces assassins, entrer dans une synagogue et tirer est la même chose que rentrer dans une mosquée et tirer sous prétexte que les fidèles seraient chiites, sunnites, soufis, etc. La phrase stipulant qu’il y aurait des versets du Coran « appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants » est fausse !
Aucun verset du Coran n’appelle à tuer le juif parce que juif. Ou il appelle à riposter à des attaques dans une logique de légitime défense, ou il raconte des événements liés à des circonstances précises dans l’histoire de l’islam ou de l’humanité – que d’aucuns ont généralisés.
D’où l’importance de l’interprétation et de la contextualisation. J’aborde cette question dans mon dernier ouvrage, « Réveillons-nous ! Lettre à un jeune français musulman » – et beaucoup d’autres le font ou l’ont fait également avant moi.
Ce n’est pas en opposant le musulman au juif que l’on peut espérer lutter contre la propagation de l’antisémitisme. Le plus étonnant est que lorsque nous dénonçons l’antisémitisme et le combattons, on nous dit soit que nous n’en faisons pas assez, soit que nous pratiquons la taqiya (dissimulation, double discours, ndlr). »
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